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Le secteur aéronautique peut-il inspirer le monde de la santé ?


Rédigé par Rédaction le Lundi 11 Octobre 2021 à 12:40 | Lu 918 fois


Issue d’un partenariat entre l’AP-HP et l’Institut Mines-Télécom, la chaire d’innovation BOPA (Bloc opératoire augmenté) se divise en plusieurs blocs systémiques, dont le bloc « human factor » qui s’intéresse notamment à l’ingénierie des risques. Dans ce cadre, le professeur de sociologie Gérard Dubey mène une étude comparée des cultures de la sécurité en chirurgie et en aéronautique.



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Spécialiste du secteur aéronautique, le Professeur Gérard Dubey s’est très tôt intéressé à ce qu’il se passait dans le cockpit, et plus particulièrement les interactions entre différents acteurs confrontés à des situations potentiellement stressantes. Aujourd’hui en poste à l’Institut Mines-Télécom Business School, le sociologue a étendu son champ d’analyses en rejoignant la chaire d’innovation BOPA, où il étudie désormais ces mêmes situations de stress au sein des blocs opératoires. L’idée est ici de comparer « les cultures de la sécurité en aéronautique et en chirurgie afin d’identifier ce qui est transférable et ce qui ne l’est pas », précise-t-il.

Multipliant les initiatives en faveur de la gestion des risques, le secteur sanitaire s’attache en effet, depuis quelques années, à s’approprier – en l’adaptant – ce qui s’est fait ailleurs, y compris par l’industrie aéronautique. Une source d’inspiration guère étonnante : l’aéronautique a mis au point un modèle d’ingénierie des risques qui fascine et s’exporte vers d’autres secteurs « avec plus ou moins de réussite », précise le sociologue, qui évoque « un semi-échec » dans le cas de la chirurgie. Une situation qui n’est toutefois, à son sens, « pas imputable à un “retard”, un défaut ou un archaïsme particulier, mais signale plutôt une autre manière de faire vivre la sécurité appliquée au vivant ».

Des secteurs proches…

« Dans une large mesure, le transfert du modèle aéronautique vers le monde médical et notamment la chirurgie a déjà eu lieu », précise le spécialiste, citant par exemple les procédures de contrôle et les briefings. Ainsi, si les six caractéristiques du travail en cockpit – une préparation détaillée, un guidage procédural, un travail collectif permanent formalisé, une gouvernance externe forte, une surveillance de tous les instants et un emploi très réglé des personnels – sont bien présentes au bloc opératoire, elles s’y différencient par leur « élasticité considérable dans l’application », poursuit Gérard Dubey. Et le sociologue de détailler : « la préparation est reconnue comme utile mais est souvent mal coordonnée », « les procédures sont nombreuses, souvent amendées au jour le jour sans consultation collective », « les repos obligatoires restent des enjeux difficiles »
 

… et pourtant si lointains

Afin de mieux comprendre les raisons d’un tel décalage, il s’est donc interrogé sur les principales différences entre les deux domaines. Le chercheur a ainsi rapidement identifié des freins liés au monde hospitalier : « le sentiment d’inutilité, la surcharge administrative, les barrières hiérarchiques, les difficultés organisationnelles, le manque de temps... », qui viennent s’ajouter aux bases elles-mêmes très différentes qui fondent ces deux secteurs. « Le chirurgien est en interaction avec un être vivant, avant de l’être avec des machines », insiste le spécialiste. « En aéronautique, les pilotes se sont très tôt perçus comme des auxiliaires de la machine. Leur propre disparition, celle de leur métier, est pensée comme une évolution normale, presque naturelle, vers plus de sécurité et de technologie. Le corps de métier et les savoirs pratiques qui l’accompagnent sont, pour ainsi dire, par avance disqualifiés, presque considérés comme défectueux ». Cette différence dans l’approche et l’imaginaire pourrait donc expliquer celle des modes d’intégration de la gestion des risques dans les procédures. 
 

« Faire sens en commun »

Autre élément notable participant à la sécurité des actes au bloc opératoire, les rapports interprofessionnels ont également été étudiés par le sociologue. Ce lieu si particulier s’est en effet construit sur l’interaction d’une large diversité de métiers, les chirurgiens, les anesthésistes, les IBODE (Infirmiers de Bloc Opératoire Diplômés d’État), les aides-soignants mais aussi les cadres de santé ou encore les brancardiers. Un collectif empli de « micro-médiations » : le sourire du brancardier lors du transfert du patient, l’environnement sonore, les regards, l’humour… « Ces micro-médiations, à la fois sociales et sensibles, contribuent à lier entre elles les différentes parties et constituent un “bruit de fond tentaculaire” à partir duquel s’élabore une sorte de représentation commune et dynamique de la situation. C’est ce qui permet de “faire sens en commun” », détaille Gérard Dubey.
 

L’exemple du tableau blanc

Pour le sociologue, ce dernier point est particulièrement important puisqu’il permet de lier ces profils si variés tout en assurant « une forme de fluidité et de continuité ». « On peut rationaliser, segmenter, décomposer en tâches de plus en plus détaillées et formaliser l’activité de chacun, mettre des systèmes d’information pour la coordination, mais on perdrait alors de vue ce qu’il y a de commun à tous ces segments, ce qui passe entre eux », alerte le professeur, citant ici l’exemple du tableau blanc utilisé pour la programmation des salles, récemment remplacé par un logiciel dans le service où il fait ses observations. « Certes, l’accès est aujourd’hui plus large, mais on a perdu un temps d’échange, souvent autour d’un café. Un temps où l’on choisissait aussi avec qui on opérerait, où on composait les équipes, regrette-t-il. Du point de vue des pratiques sociales, ce nouveau dispositif est synonyme de perte en souplesse, en convivialité et en autonomie du collectif ».
 

La normalisation des pratiques en question

« Cet exemple a le mérite de montrer qu’une technique, parfois aussi simple d’un tableau blanc, peut contribuer efficacement à la réduction des incertitudes, dès lors qu’elle laisse de l’autonomie aux acteurs. De la même manière, une technique simple peut favoriser des interactions sociales complexes, tandis qu’un dispositif plus complexe, peut à l’inverse être socialement pauvre, en réduisant les possibilités de relations interpersonnelles et affinitaires », analyse le sociologue, alertant ainsi sur l’usage de ces nouvelles technologies, de leurs apports et de leur impact sur ce qui peut « faire sens en commun ». Il conclut : « Dans un monde aussi composite que l’est celui de la chirurgie, aussi marqué par l’incertitude, la standardisation et la normalisation des pratiques vont se heurter à la variabilité du vivant et aux occasions qu’elle offre aux humains de créer du sens ».
 






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