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« Ce n’est pas tant une innovation qu’un changement de culture qui est aujourd’hui espéré »


Rédigé par Rédaction le Vendredi 29 Janvier 2021 à 09:50 | Lu 984 fois


Directeur d’hôpital et philosophe, Frédéric Spinhirny* se penche depuis de nombreuses années sur la question sensible du management hospitalier. Expert reconnu en la matière, il estime que la crise du Covid-19 a notamment permis d’engager des réflexions indispensables au renouvellement des approches managériales.



Frédéric Spinhirny, directeur d’hôpital et philosophe. ©DR
Frédéric Spinhirny, directeur d’hôpital et philosophe. ©DR
Dans l’ouvrage collectif Huit regards sur le métier de DRH hospitalier**, vous mettez en avant plusieurs exemples d’innovations managériales en établissements hospitaliers. Quelles constantes avez-vous identifiées ?
Frédéric Spinhirny : Certaines innovations commencent à être connues et à se diffuser dans les établissements. J’en expose certaines dans cet ouvrage, comme le lean management, le design thinking, le coaching, la médiation, le co-développement, l’apprentissage de l’intelligence émotionnelle, le management libéré, le slow management… Ce qui m’intéresse c’est de mettre en avant deux manières de faire avec, en premier lieu, le recours à de nouvelles perspectives pour améliorer le quotidien. Il s’agit alors de considérer un problème sous un autre angle, souvent de manière très pragmatique avec l’atteinte de résultats rapides et utiles. L’autre volet qui m’intéresse particulièrement, c’est quand le management prime sur le reste. Dans ce cas, la politique d’établissement est véritablement incarnée pour améliorer les conditions de travail, notamment à travers la participation directe des équipes, la remise en question des circuits décisionnels classiques... Un trait majeur ressort d’ailleurs ici : au commencement, l’innovation naît souvent d’une volonté individuelle. Elle est portée dès le départ par quelqu’un « qui y croit » et qui met en mouvement tout un établissement.

Dans un billet*** paru en 2019, vous posiez la question : « Peut-on ré-enraciner le management à l’hôpital ? ». Quelles sont ici vos conclusions ?
Ré-enraciner le management à l’hôpital est un enjeu majeur, d’autant plus actuel que la pandémie a rebattu les cartes de la gouvernance, en pointant du doigt l’urgence de coller aux nécessités de la vie réelle au sein des services de soins. Ce qui est assez clair, c’est que les dirigeants hospitaliers ont beau lire des traités et se former à la critique de leur pratiques, leurs manières de manager ne changent pas.Cherchant à atteindre une optimisation somme toute théorique, ils en oublient de considérer des solutions intermédiaires, certes imparfaites, mais pourtant sûres et performantes. Aujourd’hui encore, il existe l’illusion d’un management éthéré, scientifique, qui pourrait s’appliquer uniformément. Cela est notamment vrai dans le secteur de la santé, où le management actuel veut aplanir, « horizontaliser », rendre l’individu docile. Or il faut respecter la verticalité propre à tout collectif, surtout lorsque des valeurs sont portées en héritage par l’institution. L’encadrement est un art délicat. À mon sens, les managers éclairés doivent en priorité considérer les facteurs humains pour comprendre les besoins de la société et les valeurs non marchandes partagées par les employés puis, dans un second temps, assurer l’équilibre économique de l’organisation. C’est en comprenant où se situent véritablement le besoin et sa réponse, en favorisant l’échange autour des inadéquations constatées, qu’une organisation sera pérenne et verra sa viabilité économique durablement assurée. 

Vous l’avez évoqué, la crise sanitaire a eu un impact non-négligeable sur le management des équipes. Pensez-vous que les effets de ces nouvelles approches se maintiendront sur le long terme ?
Comme toute crise, la pandémie a eu un double impact : elle a contribué à concentrer le pouvoir en réduisant le circuit décisionnel, mais aussi à abaisser le niveau hiérarchique en positionnant le service de soins comme donneur d’ordre. Le sentiment partagé après la première vague a assurément été celui d’une « parenthèse managériale enchantée », où la levée du formalisme a permis aux chaînes de décision d’être plus rapides et plus efficaces. Malgré tout, il faut aussi constater que crise et flexibilité sont antinomiques : plan blanc, suspension des congés, incitation à rester joignable, rappel sur les jours de repos… Toujours ambivalents, ces moments de crise restent un état d’exception qui révèle aussi la vérité de la structure hospitalière : multiplication des strates de décision, centralisme excessif, nécessité de se recentrer sur les services de soins plutôt que sur les pôles, meilleure prise en compte des établissements de proximité, effectifs en berne… Je pense que la crise sanitaire, dans sa gestion exceptionnelle, a fait entrevoir une possibilité de travailler à l’hôpital autrement. Ce n’est pas tant une innovation qu’un changement de culture qui est aujourd’hui espéré. 

Le Ségur de la santé avait notamment pour objectif de redonner de l’attractivité aux métiers de la santé. Pensez-vous que cela aura réellement un impact sur le management hospitalier ?
Si l’on considère que le management des dernières années est réduit aux préoccupations quotidiennes de l’attractivité et de la fidélisation des équipes, et qu’il est plus ou moins lié aux contraintes budgétaires, il est probable que les pistes annoncées par le Ségur aient un impact. Revoir la T2A, améliorer les rémunérations des professionnels, cela peut jouer sur les modes de management. Tout comme il est probable que certaines simplifications attendues ouvrent la voie à un management plus participatif. C’est ce que l’on entend par « retrouver des marges de manœuvre ». Beaucoup aimeraient en effet manager autrement mais estiment ne pas en avoir les moyens. Après, il faut en revenir au point évoqué précédemment : derrière le management, il y a la personne qui manage, avec ses croyances et ses valeurs. À l’évidence, on peut mettre en place le système de gouvernance le plus simple et la participation la plus directe, si le manager n’y croit pas, cela ne servira à rien.Il y a des managers qui sont fondamentalement des adeptes du contrôle et de la défiance envers les agents, et qui considèrent que les assouplissements ou les libéralités sont des faiblesses, des reculades, des abandons de pouvoir. L’inverse est vrai aussi. Le tout est de coller aux aspirations de l’époque. À mon sens, c’est l’enjeu profond du management hospitalier : considérer à nouveau les personnalités qui managent. C’est un aspect invisible que l’on ne retrouve pas dans les discussions en cours, mais que de nombreux spécialistes du management ont su observer : la formation au management, au-delà des aspects techniques, ne peut occulter les facteurs humains. 



*Par ailleurs rédacteur en chef de Gestions Hospitalières et auteur de plusieurs essais dont Hôpital et modernité. Comprendre les nouvelles conditions de travail (Editions Sens&Tonka, 2018).
**Codirigé par Jean-Marie Barbot et Sophie Marchandet. Préface par Cécile Courrèges. Éditions Berger-Levrault, collection Les Indispensables, Septembre 2019.
***Publié le 24 mai 2019. À lire sur https://managersante.com/2019/05/24/24639/

 
Article publié dans le numéro de décembre 2020 d'Hospitalia à consulter ici.






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