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Hygiène

Lutte contre l’antibiorésistance : les Hospices Civils de Lyon misent sur la phagothérapie


Rédigé par Aurélie Pasquelin le Lundi 31 Janvier 2022 à 09:23 | Lu 1013 fois


Porté depuis 2019 par les Hospices Civils de Lyon, le programme PHAGEinLYON se décline en plusieurs projets, dont PHAG-ONE. Lancée cet automne, cette initiative qui vise à produire des phages thérapeutiques afin de lutter contre les antibiorésistances les plus complexes a récemment obtenu un financement de 2,85 millions d’euros.



L’équipe du CRIOAc Lyon. ©DR
L’équipe du CRIOAc Lyon. ©DR
Découverts par Félix d’Hérelle au début du XXème siècle, les bactériophages, ou plus simplement phages (du grec phageton : nourriture/consommation), sont nés il y a trois milliards d’années, « en même temps que les bactéries », indique le Pr Tristan Ferry, infectiologue aux Hospices Civils de Lyon (HCL) et chef de service adjoint du service des Maladies Infectieuses et Tropicales. Depuis cette époque lointaine, les couples « phages-bactéries » se développent et évoluent, apportant parfois des bénéfices à l’un, parfois à l’autre. Ainsi, si certains phages offrent un avantage sélectif aux bactéries, d’autres, les phages dits lytiques, sont pour leur part capables de les détruire, « en les piratant, en quelque sorte », ajoute Tristan Ferry. « Ces phages lytiques investissent la bactérie pour se multiplier, ce qui mène à sa destruction », complète l’infectiologue.

Ce principe, couplé à un phénomène d’auto-amplification dû à la multiplication rapide des phages, est à la base des traitements de phagothérapie, dont se sont saisis les HCL avec le programme PHAGEinLYON et le projet PHAG-ONE. Lancé il y a deux ans par le Pr Tristan Ferry et le Pr Frédéric Laurent, microbiologiste et chef du service de Bactériologie au sein de l’Institut des Agents Infectieux, le programme PHAGEinLYON compte en effet développer l’accès à la phagothérapie en France. L’initiative, qui a bénéficié d’un fonds d’amorçage de la Fondation HCL, a déjà permis d’isoler de premiers phages à Lyon, mais ils ne sont pour l’instant pas utilisables chez les patients. Dans le même temps, 30 patients à ce jour ont pu être traités « dans un cadre compassionnel et sous la supervision de l'Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM), avec les rares phages disponibles en France, fournis par l’industrie ou par l’Hôpital militaire Reine Astride en Belgique », indique le Pr Tristan Ferry.
 

Produire des phages actifs sur trois bactéries

Développée en Europe de l’Est, et plus particulièrement en Russie et en Géorgie, la phagothérapie n’est pas présente dans la pharmacopée d’Europe de l’Ouest. « Il est aujourd’hui interdit d’importer des phages de ces pays, qui certes en produisent mais ne répondent pas aux normes de qualité européennes, principalement au niveau de la purification », ajoute l’infectiologue. Étape cruciale dans la production de phages, cette dernière consiste à « nettoyer » la solution, en éliminant les débris de bactéries utilisées dans la phase de multiplication.

Pour justement y remédier et favoriser l’utilisation de la phagothérapie en France, les infectiologues lyonnais ont également misé sur la recherche, en lançant le 8 septembre dernier le projet PHAG-ONE, financé par programme prioritaire de recherche (PPR) sur l'antibiorésistance de l’INSERM. Intégré au programme PHAGEinLYON, celui-ci est piloté par les Hospices Civils de Lyon, en lien avec l’Université Claude Bernard Lyon 1, le Centre International de Recherche en Infectiologie, le Commissariat à l’Énergie Atomique (CEA) de Grenoble, ainsi que des équipes INSERM et CNRS de Montpellier, Paris-Saclay, Versailles-Saint Quentin et Bordeaux. Il s’attachera à isoler, produire, purifier, conditionner et contrôler la qualité de phages thérapeutiques actifs sur trois bactéries impliquées dans l’antibiorésistance : Staphylococcus aureus, Staphylococcus epidermidis et Escherichia coli.
 

Une trentaine de phages présélectionnés

« Les phages thérapeutiques produits seront ensuite utilisés pour traiter les infections à bactéries multi-résistantes aux antibiotiques, dans un cadre compassionnel et dans le cadre d’essais cliniques », complète Tristan Ferry, qui compte faire ici appel à FRIPHARM®, la plateforme hospitalo-universitaire de Fabrication, de Recherche et d’Innovation pharmaceutique des HCL. À terme, le professeur prévoit ainsi la « cohabitation de phages produits par des industriels et des hôpitaux » dans le but de ne pas être limité dans le nombre de phages actifs à disposition, pour pouvoir traiter un maximum de patient et faciliter donc l’accès à ce traitement qui devrait être considéré comme un « bien commun ».

À ce jour, les équipes lyonnaises ont pu isoler une trentaine de phages, principalement issus des effluents d’hôpitaux ou des eaux d’égout. « Nous sommes actuellement en train de les tester sur des bactéries prélevées chez des patients ou issues de notre collection », détaille l’infectiologue. Après cette sélection largement basée sur la virulence des phages, le projet prévoit ensuite de les multiplier et de les purifier pour en tirer une solution médicamenteuse utilisable en traitement. « Cette phase finale devrait être atteinte d’ici quatre à cinq ans. Nous pourrons alors lancer une phase clinique ou une utilisation compassionnelle de ces phages auprès de patients éligibles », précise Tristan Ferry.
 

2,85 millions d’euros pour développer PHAG-ONE

Favorisant l’élimination de bactéries, y compris les bactéries résistantes aux antibiotiques, le développement de la phagothérapie apparaît pour certains comme une solution possible afin de lutter contre l’antibiorésistance. Dans le cadre de l’appel à projets « Antibiorésistance : comprendre, innover, agir », piloté par l’Agence Nationale de Recherche (ANR), le projet PHAG-ONE a ainsi reçu un financement de 2,85 millions d’euros pour réaliser toutes ces tâches. « L’utilisation couplée d’antibiotiques et de phages permet de limiter les risques d’acquisition de résistance aux antibiotiques, mais aussi d’acquisition de résistance aux phages, car la phagorésistance existe ! », indique le Pr Tristan Ferry, par ailleurs rattaché au Centre de Référence des Infections Ostéo-Articulaires complexes (CRIOAc) de Lyon.

Regroupant les cas les plus complexes d’infections, le CRIOAc s’est depuis longtemps spécialisé dans la prise en charge de cas difficiles et sensibles. « Nombre de nos patients souffrent d’infections de prothèses au genou ou à la hanche. Le traitement de référence consiste alors à changer la prothèse, ce qui implique à chaque fois une réduction osseuse et une perte fonctionnelle », détaille le spécialiste qui compte donc trouver des solutions médicales pour « se débarrasser des bactéries et du biofilm » qui se dépose sur les prothèses.

Et les équipes lyonnaises sont loin de s’en arrêter là. Si le projet PHAG-ONE prévoit de découvrir de nouveaux phages, le programme PHAGEinLYON compte, à terme, poser les jalons d’un centre de phagothérapie qui pourrait être un établissement français du phage, basé à Lyon et capable de fournir en bactériophages l’ensemble des hôpitaux français, afin de traiter les patients en impasse thérapeutique. « Ce centre regroupera toutes nos activités de recherche, de production de phages académiques, d’expertise, mais aussi si besoin d’accueil des patients », décrit Tristan Ferry, qui espère ainsi créer un véritable centre de référence pour toutes les activités de phagothérapie en France. 

Article publié dans l'édition de décembre 2021 d'Hospitalia à lire ici.
 

Le CRIOAc de Lyon
Regroupant chirurgiens orthopédistes, infectiologues et microbiologistes, le Centre de Référence des Infections Ostéo-Articulaires complexes (CRIOAc) de Lyon s’est depuis longtemps spécialisé dans la prise en charge d’infections lourdes. Installé dans l’hôpital de la Croix-Rousse des Hospices Civils de Lyon (HCL), il accueille chaque année environ 500 nouveaux patients provenant de toutes les régions françaises, et même parfois d’autres pays. Si le centre prend en charge les patients à partir de 15 ans, 30 % de ceux qu’il traite ont plus de 70 ans, portant la moyenne d’âge de ses patients à 62 ans. La majorité des infections prises en charge sont les infections de prothèse.
 






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