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Le magazine de l'innovation hospitalière
Hygiène

L’hygiène hospitalière prend de plain-pied le virage numérique


Rédigé par Joëlle Hayek le Mercredi 10 Janvier 2024 à 10:25 | Lu 2210 fois


Observant avec attention le virage numérique à l’œuvre au sein des établissements de santé, les hygiénistes hospitaliers entendent eux aussi bénéficier pleinement de ses apports. Le CHU de Limoges fait ici office de précurseur, ayant opté pour la mise en œuvre d’une infectiovigilance automatisée, soutenue par des algorithmes décisionnels en cours de développement. Nous découvrons ces travaux pilotes, leurs applications et leurs perspectives avec le Dr Nathalie D'Hollander-Pestourie, responsable de l'unité de prévention du risque infectieux, et le Dr Élodie Couvé-Deacon, Maître de conférence des Universités - Praticien hygiéniste.



Vous vous intéressez de longue date aux logiciels spécialisés dans la prévention et le contrôle des infections (PCI). Pourriez-vous nous en parler ?

Dr Élodie Couvé-Deacon : Bien qu’il existe un certain nombre d’initiatives locales mises en œuvre au sein des établissements de santé français, notamment des solutions développées en interne et ciblées sur un recueil précis, le recours à des logiciels experts – et donc offrant une couverture fonctionnelle plus large – est encore peu répandu dans notre pays. Il est en revanche déjà entré dans les mœurs ailleurs, particulièrement en Amérique du Nord. Il faut dire que ces outils ont un intérêt de taille, puisqu’ils permettent d’exploiter, à des fins d’infectiovigilance, la masse importante de données contenues dans les dossiers patients informatisés (DPI) et les logiciels métiers. En automatisant l’extraction et la colligation de ces informations, voire en y apposant des algorithmes décisionnels, il est plus aisé de détecter des infections, de suivre individuellement les patients concernés, et de transmettre les informations clés aux professionnels de santé. Les surveillances locales et nationales sont en outre facilitées, de même que les activités de recherche clinique.

Dr Nathalie D’Hollander-Pestourie : De manière très pratique, ces logiciels spécialisés permettent donc de décharger les équipes d’hygiène hospitalières de certaines tâches administratives aujourd’hui particulièrement chronophages. Les surveillances, par exemple, sont pour l’essentiel encore effectuées manuellement, pour la gestion des alertes, la recherche d’informations complémentaires et le renseignement de tableurs Excel. Cela est d’autant plus consommateur de temps dans le contexte actuel, marqué par une augmentation du risque épidémique – Covid, bactéries multi-résistantes (BMR), bactéries hautement résistantes émergentes (BHRe) – et des nécessaires investigations épidémiques associées. Libérer du temps pour les équipes opérationnelles d’hygiène (EOH), c’est donc leur permettre de se consacrer à des activités à meilleure valeur ajoutée, pour les professionnels de santé comme pour les patients.

Le CHU de Limoges est l’un des tout premiers établissements de santé à avoir lui-même pris ce virage…

Dr Nathalie D’Hollander-Pestourie : Cela faisait déjà plusieurs années que nous disposions d’une solution développée en interne pour la surveillance des infections du site opératoire. Mais cette modalité n’était que semi-automatisée, ce qui demeurait sensiblement chronophage. Elle ne pouvait donc pas être pérennisée en l’état. Le recours à un logiciel PCI spécialisé nous a semblé être une piste intéressante, car nous pourrions alors aussi bien l’appliquer à ce suivi des infections du site opératoire qu’à d’autres actions de surveillance quotidiennes, sans qu’il soit nécessaire de ressaisir les données. Le projet a néanmoins mis plusieurs années à se concrétiser : bien que la réflexion ait été initiée dès 2016, la solution n’a été implémentée que début 2021, pour une première utilisation en octobre de la même année. Cela dit, nous avons désormais deux années de recul ; nous avons pu confirmer la pertinence de cette démarche et continuons d’élargir son champ applicatif.

Pourriez-vous revenir sur votre expérience ?

Dr Nathalie D’Hollander-Pestourie : Nous avons démarré avec la surveillance des infections à Clostridium et SARS-COV-2, avant d’élargir rapidement aux autres surveillances microbiologiques effectuées en routine, par exemple pour les patients porteurs de BMR, de BHRe, et des virus de la grippe ou de la tuberculose. Une fois les résultats microbiologiques validés, ils sont récupérés en quasi-temps réel par le logiciel, qui génère automatiquement une alerte afin que nous puissions rapidement mener les actions adéquates. Les exigences du programme national SPIADI, relatif à la surveillance et la prévention des infections associées aux dispositifs invasifs, ont également été intégrées dès les premiers mois d’utilisation, car leur mise en œuvre est relativement aisée. Nous cherchons désormais à optimiser le suivi des épidémies, en particulier pour les patients contacts BHRe, qui représente aujourd’hui un véritable casse-tête. Nous travaillons donc à la mise en place d’un système de gestion intégrée, à travers une interface unique offrant la visualisation de tableaux synoptiques en temps réel.

Dr Élodie Couvé-Deacon : En ce qui concerne plus particulièrement la surveillance des infections du site opératoire, nous sommes aujourd’hui site pilote pour le développement d’un algorithme décisionnel qui permettra d’enrichir le champ applicatif initial du logiciel dont nous nous sommes équipés – celui-ci a en effet, à l’origine, été uniquement conçu pour le repérage des infections associées aux soins (IAS) et le calcul des courbes épidémiques de surveillance. Ce système intelligent, actuellement en cours de développement, entend faciliter l’identification des interventions à risque, sur la base de critères prédéfinis. Aujourd’hui, chaque dossier doit être revu individuellement, y compris pour les patients hors situation infectieuse, ce qui est fastidieux. À terme, l’algorithme sera en mesure de pré-trier les dossiers, selon qu’il y ait absence de risque ou risque potentiel. Nous pourrons alors nous concentrer sur les cas d’intérêt et gagner ainsi un temps conséquent. Ce même principe devrait aussi être décliné pour la surveillance des infections en réanimation cardiaque, car il s’agit d’une spécialité où le recueil de données est précis et exhaustif. C’est d’ailleurs un prérequis important pour pouvoir exploiter un logiciel expert à hauteur de son potentiel.

Justement, auriez-vous ici des recommandations particulières ?

Dr Élodie Couvé-Deacon : Ce type de logiciel métier n’est pas sans impact sur notre spécialité, car il modifie considérablement les habitudes et les pratiques. Son adoption nécessite donc une certaine appétence pour l’informatique, ne serait-ce que pour comprendre ses différents processus logiques. Mais cette difficulté potentielle est en train d’être dépassée, eu égard à l’accélération du virage numérique au sein des établissements de santé. En tout état de cause, ces solutions ont un intérêt bien réel et offrent un potentiel applicatif énorme, sous réserve de disposer d’un logiciel nativement modulable, c’est-à-dire permettant des paramétrages poussés, dont l’architecture « pieuvre » pourra s’interconnecter avec les autres logiciels métiers de l’établissement.

Le mot de la fin ?

Dr Nathalie D’Hollander-Pestourie : Bien que le quota d’hygiénistes par nombre de lits ait été récemment revu à la hausse, nous n’en sommes pas moins confrontés à de réelles tensions sur les ressources disponibles. Le recours à un logiciel spécialisé permet de répondre à cette pénurie. Il ne doit en revanche pas devenir un prétexte pour ne pas pourvoir les postes. Une telle solution permet certes de gagner du temps sur les tâches administratives, mais uniquement pour recentrer les hygiénistes hospitaliers sur leur cœur de métier.

Dr Élodie Couvé-Deacon : Pour résumer, ces outils nous libèrent des tâches qui nous ont fait perdre beaucoup de temps ces dernières années – multiplication des épidémies, modalités de surveillances toujours plus exigeantes, etc. Nos activités de gestion administrative se sont amplifiées, au détriment de notre capacité à investir les services de soins. En ce qui me concerne, un tel logiciel permet, in fine, de revenir à une situation normale, à l’instar de celle que nous connaissions il y a une décennie, pour que nous puissions mener toutes nos missions de front, en particulier celles imposant notre présence sur le terrain, malgré des moyens et des effectifs contraints.

Pour aller plus loin

• Élodie Couvé-Deacon, Camille Bataille, Automatisation de la surveillance des infections associées aux soins : intérêt et choix d’un outil informatique. Hygiènes Volume XXIX - n°6 - Décembre 2021
https://www.hygienes.net/publication-scientifique/automatisation-de-la-surveillance-des-infections-associees-aux-soins-interet-et-choix-dun-outil-informatique  

 Élodie Couvé-Deacon, Gervais Deschenes, Camille Bataille, Automatisation de la surveillance des infections associées aux soins : accompagner l’implémentation d’un outil informatique, Hygiènes Volume XXIX - n°6 - Décembre 2021
https://www.hygienes.net/publication-scientifique/automatisation-de-la-surveillance-des-infections-associees-aux-soins-accompagner-limplementation-dun-outil-informatique

• Alexis Daudé, Jean-Philippe Rasigade, Élodie Couvé-Deacon, Automatisation de la surveillance des infections associées aux soins : la valorisation des données, Hygiènes Volume XXX - n°2 - Mai 2022
https://www.hygienes.net/publication-scientifique/automatisation-de-la-surveillance-des-infections-associees-aux-soins-la-valorisation-des-donnees

> Article paru dans Hospitalia #63, édition de décembre 2023, à lire ici






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