Pourriez-vous revenir sur la genèse du projet d’escape game en antibiorésistance ?
Dr Yann Guegan : Intervenant partout en Bretagne, le CRAtb a plusieurs missions, et notamment celle de former les professionnels de santé au bon usage des antibiotiques. Un objectif dans le cadre duquel nous collaborons avec des structures spécialisées, telles que les Unions Régionales des Professionnels de Santé (URPS), pour organiser régulièrement des journées de formation, à l’instar de celle proposée chaque année lors de la Semaine de l’antibiorésistance. Pour élargir notre audience et amplifier la réception de nos messages, nous avons souhaité offrir, en parallèle, un outil de formation qui soit à la fois ludique et accessible toute l’année. Il nous a alors paru intéressant de nous pencher sur le format de l’escape game, et plus particulièrement de l’escape game numérique.
Quelle a été ici votre démarche ?
Avec le Dr Marine Cailleaux, responsable du CRAtb, nous avons retenu l’idée d’un jeu interactif intégrant la notion de temps imparti, c’est-à-dire où la partie sera chronométrée, ce qui permettait à la fois de définir un cadre précis et d’y accoler un défi. Rapidement, nous avons été rejoints par le Centre de Prévention des infections associées au soin (CPias) de Bretagne, qui y a ajouté un volet plus particulièrement axé sur l’hygiène, notamment l’hygiène des mains. Ce travail collaboratif a été initié début 2022, puis nous avons démarché différentes entreprises spécialisées dans la création de jeux interactifs pour pouvoir développer l’outil en tant que tel. Notre choix s’est finalement porté sur Emeraude Escape, et nous avons travaillé avec ses développeurs pour mettre au point notre escape game numérique. Près de six mois plus tard – nous étions alors en novembre 2022 –, le jeu était prêt et a pu être présenté lors de notre journée de formation à l’antibiorésistance, qui se tient en novembre durant la Semaine de l’antibiorésistance.
Pourquoi avoir plus particulièrement opté pour un format numérique ?
Nous souhaitions créer un outil qui soit réellement simple d’utilisation et accessible à tous, tout au long de l’année. En cela, le numérique est un vecteur formidable : l’on peut faire une partie à n’importe quelle heure de la journée, durant la pause déjeuner par exemple, que l’on soit en Bretagne ou ailleurs. Le nombre de joueurs est en outre illimité : ceux qui le souhaitent peuvent jouer seuls, d’autres peuvent rejoindre une partie de groupe. Ce format est aussi celui qui nous a semblé être le plus propice pour toucher les médecins de ville, habituellement moins ciblés par ce type d’actions et d’informations.
S’il traite de l’antibiorésistance en général, le jeu se concentre aussi fortement sur les infections urinaires. Pourquoi ce choix ?
Dès les premières réflexions autour de la création de l’escape game, nous avons regardé plus en détail les problématiques rencontrées dans le cadre des prescriptions d’antibiotiques. Et le constat est sans appel : 70 % de ces prescriptions ont lieu en ville autour de trois thématiques principales, les infections urinaires, les infections ORL et les infections pulmonaires. En étudiant le sujet, nous nous sommes rendu compte qu’il y avait de nombreuses demandes sur les infections urinaires : quand faut-il faire un ECBU [examen cytobactériologique des urines, NDLR] ? Obtient-on les mêmes taux avec une sonde urinaire ? Quand faut-il traiter ?... Nous nous sommes donc concentrés sur le sujet, tandis que le CPias a ajouté un volet sur l’hygiène des mains et les bonnes pratiques de pose des dispositifs médicaux. Pour conserver l’aspect ludique, nous nous sommes servis de ces travaux pour inventer une histoire dans laquelle, conformément aux codes de l’escape game, le joueur fait face à un défi qui lui impose de réunir des informations et de résoudre des énigmes pour gagner la partie.
Pourquoi s’intéresser autant à l’antibiorésistance ?
Parce que, d’ici une trentaine d’années, l’antibiorésistance représentera en fréquence une cause majeure de décès en France. Il faut donc agir en amont, en essayant de réduire autant que possible l’émergence de souches multirésistantes aux antibiotiques. Plusieurs moyens s’offrent ici à nous, notamment à travers les missions promues par le CPias : précautions d’hygiène, bonnes pratiques de pose de dispositifs médicaux, gestion des épidémies et des contaminations… Mais cette lutte impose aussi, vous vous en doutez, tout un volet autour du bon usage des antibiotiques : les indications et modalités d’utilisation, la durée de traitement, le choix d’un antibiotique offrant le spectre le plus étroit possible… Toutes ces questions primordiales sont au cœur des actions du CRAtb, qui intervient entre autres sur la juste prescription auprès des professionnels du soin. En matière d’antibiorésistance, savoir ne pas prescrire est aussi important que savoir prescrire.
Est-il difficile de faire passer ce message ?
De nombreuses campagnes d’information et de sensibilisation ont déjà eu lieu sur cette thématique en France et, dans une certaine mesure, cela fonctionne. La campagne « Les antibiotiques, c’est pas automatique » a beaucoup marqué les esprits, mais c’est loin d’être la seule à avoir été lancée ces dernières décennies. Tout comme les recommandations en hygiène, les mécanismes d’appropriation des gestes de lutte contre l’antibiorésistance sont complexes. Lorsque l'on pose la question de l'antibiorésistance, personne ne se sent personnellement responsable. Le ressenti est plus large, à l’échelle du groupe. Pourtant, les professionnels de santé et les usagers se sentent concernés par cette problématique. Ils se déplacent, et se connectent d’ailleurs en nombre, aux réunions et aux actions organisées par le CRAtb. Notre travail de prévention est quotidien et s’inscrit sur le temps long.
Quels sont les projets du CRAtb ?
Comme vous l’aurez compris, la formation représente un composant crucial de nos missions. Chaque année, le CRAtb organise d’ailleurs deux journées particulièrement importantes : la journée des référents en antibiotique, qui se tient au printemps, et la journée de formation à l’antibiorésistance dont nous avons déjà parlé et qui a lieu en novembre. Mais nous proposons également des formations de manière plus ponctuelle, ainsi que des soirées d’information en lien avec les URPS. Par exemple, une session dédiée aux dentistes a eu lieu récemment, et nous comptons dispenser bientôt des cours aux internes du département de médecine générale. Cela dit, nos missions s’adressent aussi au grand public. Lors de la prochaine édition de la Fête de la Science, destinée à un public scolaire et qui se tiendra à l’Espace des Sciences des Champs Libres, à Rennes, un médecin du CRAtb interviendra pour sensibiliser les enfants et leurs parents aux bons gestes liés à la lutte contre l’antibiorésistance. C’est dans ce même objectif que s’inscriront les podcasts et autres supports informatifs qui devraient alimenter notre futur site internet, dont la mise en ligne est prévue pour mai 2023. Nous disposerons ainsi d'un nouveau vecteur pour communiquer avec le grand public, mais aussi avec les professionnels de santé qui auront accès aux recommandations et aux différents outils que nous développons, tel que l’escape game.
Le CRAtb est également en train de créer des Équipes Multidisciplinaires en Antibiothérapie (EMA)…
La constitution des EMA, qui se fait en lien avec l'Agence Régionale de Santé (ARS) de Bretagne, représente un projet majeur qui nous occupera pour les mois à venir. Quatre EMA ont déjà obtenu des financements et se déploient à Rennes, Vannes, Quimper et Brest. Quatre autres équipes les rejoindront progressivement afin de couvrir l’ensemble de la région, conformément aux recommandations nationales. Intervenant aussi bien dans les établissements sanitaires et médico-sociaux qu’auprès des professionnels de ville, où elles pourront à la fois répondre aux demandes d’avis expert et contribuer à la formalisation des bonnes pratiques, ces EMA seront une plus-value indéniable dans la prévention de l’antibiorésistance. Leur impact sera je l’espère significatif une fois qu’elles seront déployées partout sur le territoire.
- Le site du CRAtb Bretagne (www.antibiotiques-bretagne.fr) devrait être prochainement mis en ligne. En attendant, l’escape game est accessible en ligne sur le site du Répias : https://www.preventioninfection.fr/actualites/antibioresistance-decouvrez-lescape-game-du-cratb-et-cpias-bretagne/
Article publié dans l'édition de mai 2023 d'Hospitalia à lire ici.
Dr Yann Guegan : Intervenant partout en Bretagne, le CRAtb a plusieurs missions, et notamment celle de former les professionnels de santé au bon usage des antibiotiques. Un objectif dans le cadre duquel nous collaborons avec des structures spécialisées, telles que les Unions Régionales des Professionnels de Santé (URPS), pour organiser régulièrement des journées de formation, à l’instar de celle proposée chaque année lors de la Semaine de l’antibiorésistance. Pour élargir notre audience et amplifier la réception de nos messages, nous avons souhaité offrir, en parallèle, un outil de formation qui soit à la fois ludique et accessible toute l’année. Il nous a alors paru intéressant de nous pencher sur le format de l’escape game, et plus particulièrement de l’escape game numérique.
Quelle a été ici votre démarche ?
Avec le Dr Marine Cailleaux, responsable du CRAtb, nous avons retenu l’idée d’un jeu interactif intégrant la notion de temps imparti, c’est-à-dire où la partie sera chronométrée, ce qui permettait à la fois de définir un cadre précis et d’y accoler un défi. Rapidement, nous avons été rejoints par le Centre de Prévention des infections associées au soin (CPias) de Bretagne, qui y a ajouté un volet plus particulièrement axé sur l’hygiène, notamment l’hygiène des mains. Ce travail collaboratif a été initié début 2022, puis nous avons démarché différentes entreprises spécialisées dans la création de jeux interactifs pour pouvoir développer l’outil en tant que tel. Notre choix s’est finalement porté sur Emeraude Escape, et nous avons travaillé avec ses développeurs pour mettre au point notre escape game numérique. Près de six mois plus tard – nous étions alors en novembre 2022 –, le jeu était prêt et a pu être présenté lors de notre journée de formation à l’antibiorésistance, qui se tient en novembre durant la Semaine de l’antibiorésistance.
Pourquoi avoir plus particulièrement opté pour un format numérique ?
Nous souhaitions créer un outil qui soit réellement simple d’utilisation et accessible à tous, tout au long de l’année. En cela, le numérique est un vecteur formidable : l’on peut faire une partie à n’importe quelle heure de la journée, durant la pause déjeuner par exemple, que l’on soit en Bretagne ou ailleurs. Le nombre de joueurs est en outre illimité : ceux qui le souhaitent peuvent jouer seuls, d’autres peuvent rejoindre une partie de groupe. Ce format est aussi celui qui nous a semblé être le plus propice pour toucher les médecins de ville, habituellement moins ciblés par ce type d’actions et d’informations.
S’il traite de l’antibiorésistance en général, le jeu se concentre aussi fortement sur les infections urinaires. Pourquoi ce choix ?
Dès les premières réflexions autour de la création de l’escape game, nous avons regardé plus en détail les problématiques rencontrées dans le cadre des prescriptions d’antibiotiques. Et le constat est sans appel : 70 % de ces prescriptions ont lieu en ville autour de trois thématiques principales, les infections urinaires, les infections ORL et les infections pulmonaires. En étudiant le sujet, nous nous sommes rendu compte qu’il y avait de nombreuses demandes sur les infections urinaires : quand faut-il faire un ECBU [examen cytobactériologique des urines, NDLR] ? Obtient-on les mêmes taux avec une sonde urinaire ? Quand faut-il traiter ?... Nous nous sommes donc concentrés sur le sujet, tandis que le CPias a ajouté un volet sur l’hygiène des mains et les bonnes pratiques de pose des dispositifs médicaux. Pour conserver l’aspect ludique, nous nous sommes servis de ces travaux pour inventer une histoire dans laquelle, conformément aux codes de l’escape game, le joueur fait face à un défi qui lui impose de réunir des informations et de résoudre des énigmes pour gagner la partie.
Pourquoi s’intéresser autant à l’antibiorésistance ?
Parce que, d’ici une trentaine d’années, l’antibiorésistance représentera en fréquence une cause majeure de décès en France. Il faut donc agir en amont, en essayant de réduire autant que possible l’émergence de souches multirésistantes aux antibiotiques. Plusieurs moyens s’offrent ici à nous, notamment à travers les missions promues par le CPias : précautions d’hygiène, bonnes pratiques de pose de dispositifs médicaux, gestion des épidémies et des contaminations… Mais cette lutte impose aussi, vous vous en doutez, tout un volet autour du bon usage des antibiotiques : les indications et modalités d’utilisation, la durée de traitement, le choix d’un antibiotique offrant le spectre le plus étroit possible… Toutes ces questions primordiales sont au cœur des actions du CRAtb, qui intervient entre autres sur la juste prescription auprès des professionnels du soin. En matière d’antibiorésistance, savoir ne pas prescrire est aussi important que savoir prescrire.
Est-il difficile de faire passer ce message ?
De nombreuses campagnes d’information et de sensibilisation ont déjà eu lieu sur cette thématique en France et, dans une certaine mesure, cela fonctionne. La campagne « Les antibiotiques, c’est pas automatique » a beaucoup marqué les esprits, mais c’est loin d’être la seule à avoir été lancée ces dernières décennies. Tout comme les recommandations en hygiène, les mécanismes d’appropriation des gestes de lutte contre l’antibiorésistance sont complexes. Lorsque l'on pose la question de l'antibiorésistance, personne ne se sent personnellement responsable. Le ressenti est plus large, à l’échelle du groupe. Pourtant, les professionnels de santé et les usagers se sentent concernés par cette problématique. Ils se déplacent, et se connectent d’ailleurs en nombre, aux réunions et aux actions organisées par le CRAtb. Notre travail de prévention est quotidien et s’inscrit sur le temps long.
Quels sont les projets du CRAtb ?
Comme vous l’aurez compris, la formation représente un composant crucial de nos missions. Chaque année, le CRAtb organise d’ailleurs deux journées particulièrement importantes : la journée des référents en antibiotique, qui se tient au printemps, et la journée de formation à l’antibiorésistance dont nous avons déjà parlé et qui a lieu en novembre. Mais nous proposons également des formations de manière plus ponctuelle, ainsi que des soirées d’information en lien avec les URPS. Par exemple, une session dédiée aux dentistes a eu lieu récemment, et nous comptons dispenser bientôt des cours aux internes du département de médecine générale. Cela dit, nos missions s’adressent aussi au grand public. Lors de la prochaine édition de la Fête de la Science, destinée à un public scolaire et qui se tiendra à l’Espace des Sciences des Champs Libres, à Rennes, un médecin du CRAtb interviendra pour sensibiliser les enfants et leurs parents aux bons gestes liés à la lutte contre l’antibiorésistance. C’est dans ce même objectif que s’inscriront les podcasts et autres supports informatifs qui devraient alimenter notre futur site internet, dont la mise en ligne est prévue pour mai 2023. Nous disposerons ainsi d'un nouveau vecteur pour communiquer avec le grand public, mais aussi avec les professionnels de santé qui auront accès aux recommandations et aux différents outils que nous développons, tel que l’escape game.
Le CRAtb est également en train de créer des Équipes Multidisciplinaires en Antibiothérapie (EMA)…
La constitution des EMA, qui se fait en lien avec l'Agence Régionale de Santé (ARS) de Bretagne, représente un projet majeur qui nous occupera pour les mois à venir. Quatre EMA ont déjà obtenu des financements et se déploient à Rennes, Vannes, Quimper et Brest. Quatre autres équipes les rejoindront progressivement afin de couvrir l’ensemble de la région, conformément aux recommandations nationales. Intervenant aussi bien dans les établissements sanitaires et médico-sociaux qu’auprès des professionnels de ville, où elles pourront à la fois répondre aux demandes d’avis expert et contribuer à la formalisation des bonnes pratiques, ces EMA seront une plus-value indéniable dans la prévention de l’antibiorésistance. Leur impact sera je l’espère significatif une fois qu’elles seront déployées partout sur le territoire.
- Le site du CRAtb Bretagne (www.antibiotiques-bretagne.fr) devrait être prochainement mis en ligne. En attendant, l’escape game est accessible en ligne sur le site du Répias : https://www.preventioninfection.fr/actualites/antibioresistance-decouvrez-lescape-game-du-cratb-et-cpias-bretagne/
Article publié dans l'édition de mai 2023 d'Hospitalia à lire ici.
Le CRAtb Bretagne
L’instruction du 15 mai 2020 et le décret du 18 novembre 2022 sur la lutte contre l’antibiorésistance ont institué la création de Centres Régionaux en Antibiothérapie (CRAtb) dans chaque région française. Ces structures se constituent donc partout depuis trois ans avec, en mai 2020, la création du CRAtb Bretagne, dirigé par le Dr Marine Cailleaux. Hébergée au CHU de Rennes, l’équipe se compose d’une infirmière coordinatrice, d’une webmaster et d’une secrétaire, épaulées sur le terrain par plusieurs agents locaux implantés dans les départements bretons.
L’instruction du 15 mai 2020 et le décret du 18 novembre 2022 sur la lutte contre l’antibiorésistance ont institué la création de Centres Régionaux en Antibiothérapie (CRAtb) dans chaque région française. Ces structures se constituent donc partout depuis trois ans avec, en mai 2020, la création du CRAtb Bretagne, dirigé par le Dr Marine Cailleaux. Hébergée au CHU de Rennes, l’équipe se compose d’une infirmière coordinatrice, d’une webmaster et d’une secrétaire, épaulées sur le terrain par plusieurs agents locaux implantés dans les départements bretons.