Pourriez-vous, pour commencer, évoquer votre parcours ?
Pr Véronique Merle : Gastroentérologue de formation, je me suis rapidement réorientée vers la santé publique. Je suis professeur d’université en épidémiologie, prévention et économie de la santé. Sur le plan hospitalier, j’ai longuement exercé au sein d’équipes d’hygiène hospitalière, notamment au CHU de Rouen. Progressivement, je me suis aussi intéressée, comme de nombreux hygiénistes, à la gestion des risques, qui offre une vision complémentaire de celle de l’hygiéniste. Ces deux spécialités mobilisent des méthodologies similaires, et imposent une vision transversale des pratiques et des métiers. J’ai donc bifurqué vers la coordination de la gestion des risques en rejoignant la Direction Qualité du Groupe hospitalier du Havre.
Vous continuez néanmoins à travailler avec les Équipes opérationnelles d’hygiène (EOH) de Normandie…
Nous collaborons régulièrement sur des enjeux ponctuels, par exemple pour la gestion d’une crise épidémique. Par sa fonction pivot, le coordonnateur de la gestion des risques est en effet bien positionné pour faire le lien entre la direction de l’établissement, l’EOH et l’Agence régionale de santé. Mais ma proximité avec les EOH normandes relève essentiellement du champ de la recherche : je travaille principalement aujourd’hui sur deux thématiques en partenariat avec mes collègues hygiénistes hospitaliers, l’une sur l’hygiène en hémodialyse, l’autre, portée avec le CHU de Rouen, sur la douche préopératoire.
Pourquoi avoir opté pour ce deuxième sujet ?
Parce que la douche préopératoire est certes une étape de prévention incontournable, mais elle n’est la plupart du temps pas véritablement formalisée. Il s’agit d’un savoir souvent délégué par les médecins aux infirmiers, et par les infirmiers aux aides-soignants, sans que personne n’ait de réelle visibilité sur les actions des professionnels sur le terrain. Savez-vous que la propreté du patient avant son départ au bloc n’est vérifiée visuellement que dans un cas sur cinq ? Il y a souvent ici des questions en lien avec le rapport au corps, l’intimité, mais aussi l’organisation du travail ou le rôle du professionnel. Nous travaillons donc avec des sociologues de la santé, pour réfléchir à l’amélioration des pratiques et des parcours chirurgicaux, qui sont souvent complexes. Il existe en effet tellement de cas de figure… et plus encore aujourd’hui, avec le développement de la chirurgie ambulatoire. La douche préopératoire est alors déléguée au patient lui-même, quels que soient son âge et son niveau de compréhension des consignes. D’où la nécessité de proposer un cadre formalisé.
Avez-vous identifié d’autres sujets de recherche sur lesquels vous aimeriez travailler ?
Nous avons en effet demandé des financements pour une étude autour d’une thématique plus émergente, celui de la chrono-vaccination contre la grippe en EHPAD. En effet, 90 % des résidents sont aujourd’hui vaccinés contre la grippe, ce qui est assez exceptionnel lorsque l’on sait que seulement 50 % des patients âgés le sont en ville. Pour autant, le grand âge limite la réponse de leur organisme à la vaccination. Pour améliorer la protection des résidents, notre seul espoir a longtemps résidé dans l’immunité collective, c’est-à-dire la vaccination des soignants et des proches – qui reste très perfectible. Lors du congrès 2024 de la Société française d’hygiène hospitalière (SF2H), qui s’était tenu à Nancy, le Professeur Stéphane Paul, du Centre international de recherche en infectiologie, avait évoqué d’autres pistes, dont la chrono-vaccination. Ainsi, d’après la littérature, un vaccin serait plus efficace lorsqu’il est administré le matin. À l’hiver 2025, nous souhaiterions donc tester cette approche en EHPAD par la mise en place d’un essai randomisé contrôlé. En fonction des résultats, nous pourrions alors déployer la chrono-vaccination pour le Covid, ou pour la grippe chez les patients âgés en ville. Ce sujet intéresse beaucoup les équipes mobiles d’hygiène en EHPAD.
Sur un autre registre, vous pilotez également la Commission Recherche de la SF2H. Pourriez-vous nous en parler ?
Comme vous le savez, la SF2H a pour spécificité d’être une société savante mixte, fédérant des médecins et des infirmiers – ce qui, en soi, est assez rare dans le paysage sanitaire français. Dans cette optique, la Commission Recherche entend soutenir la recherche en hygiène hospitalière, et spécifiquement la recherche en soins infirmiers. En France, celle-ci n’est pas encore véritablement développée dans la formation initiale des infirmiers diplômés d’État (IDE). Nous cherchons donc à y amener les professionnels en exercice, en les soutenant dans l’identification de thématiques de recherche, mais aussi dans l’acquisition des méthodologies permettant de mener une étude épidémiologique, de trouver des financements ou de rédiger une publication. Vous l’aurez compris, la Commission Recherche de la SF2H n’a pas elle-même une activité de recherche, mais elle travaille à la faciliter. À cet égard, je suis convaincue que la recherche en soins infirmiers représente un enjeu d’avenir majeur pour notre système de santé. Il est impératif de mettre en place des parcours de formation initiale et continue spécifiques, mais aussi d’acculturer les directions hospitalières pour qu’elles reconnaissent cette mission des IDE.
La SF2H travaille d’ailleurs activement à faire avancer la cause…
Le site de la SF2H recense en effet les formations existantes. Chaque année, notre congrès attribue également un Prix junior paramédical, et nous comptons réactiver une bourse de recherche qui sera spécifiquement fléchée sur la recherche en soins infirmiers. Nous avons également lancé, fin 2024, une enquête en ligne auprès de nos adhérents infirmiers, pour mieux connaître leurs attentes, leurs difficultés et leurs besoins. Par ailleurs, nous sommes en train de constituer un Comité éthique pour faciliter les publications dans des revues internationales. La présence de ce comité est en effet requise par de nombreuses revues internationales, mais elle n’est pas obligatoire en France, où l’avis du Comité de protection des personnes (CPP) tient souvent lieu d’avis du Comité éthique. Pour autant, plusieurs études, particulièrement en hygiène hospitalière, ne relèvent pas du CPP. D’où ce projet de la SF2H, pour faciliter la recherche en hygiène et notamment la recherche en soins infirmiers.
Évoquons à présent votre vision terrain. Quels enjeux observez-vous en matière de prévention et de contrôle de l’infection (PCI) ?
Le respect des précautions standards est une thématique qui ressort à chaque fois qu’émerge un sujet infectieux. Et, à chaque fois, nous nous rendons compte à quel point celles-ci sont peu connues en dehors du milieu des hygiénistes, et leur efficacité sous-estimée. La crise Covid a d’ailleurs, à mon sens, mis en évidence une méconnaissance des mécanismes de transmission des agents infectieux chez les professionnels de santé, hors spécialistes de la PCI. Nos compétences sur ce champ, qui étaient pourtant au cœur de l’enjeu, n’ont d’ailleurs probablement pas été suffisamment utilisées par la puissance publique. Il n’y avait par exemple aucun hygiéniste au sein du Conseil scientifique Covid-19. Il faut donc muscler la communication sur cette spécialité, et la SF2H y travaille aujourd’hui. Il est également nécessaire de renforcer la présence des hygiénistes auprès des professionnels de ville, où la marge de progression est importante, alors que des progrès sensibles ont pu être obtenus dans le secteur médico-social avec une accélération notable des dispositifs d’Équipes mobiles d’hygiène (EMH).
Vous estimez que l’hygiène hospitalière est l’objet de nombreux fantasmes de la part des non-hygiénistes. Pourquoi ?
Les professionnels non-hygiénistes ont parfois des difficultés pour réellement faire la part des choses entre ce qui relève du risque infectieux et ce qui relève des normes sociales de propreté. Par exemple, la question des professionnels (médecins en particulier) allant manger au self du personnel en blouse reste un sujet sensible... Par ailleurs, il y a souvent autant d’avis que de personnes, dès lors que l’on évoque la prévention d’un risque infectieux. Certains aspects semblent relever du bon sens, qui est lui-même fonction de l’individu et de son histoire. D’autres sont en lien avec des références inculquées durant l’enfance, dont il est difficile de se détacher. Chacun perçoit finalement l’hygiène hospitalière à travers son propre prisme social et culturel. C’est une réelle difficulté pour les hygiénistes sur le terrain, qui sont de fait parfois moins audibles. Cette spécialité comporte en réalité une importante dimension sociologique et psychologique, dont il faut tenir compte pour assurer l’adhésion aux bonnes pratiques de la PCI. Par exemple, l’on pense souvent que les médecins ne s’intéressent pas à l’hygiène hospitalière. Ce qui est erroné : ils sont très sensibilisés à ses enjeux, mais l’hygiène hospitalière existe sous d’autres étiquettes dans leur formation initiale – « pneumopathie sous ventilation », « infection du site opératoire », etc. Les hygiénistes doivent donc continuellement adapter leur discours à leur interlocuteur, ce qui est une véritable gymnastique mentale !
Vous avez mentionné plus haut les précautions standards. Quid des précautions complémentaires ?
Dans de nombreux cas, par exemple pour l’isolement d’un patient porteur d’une bactérie multirésistante (BMR), celles-ci n’ont finalement réellement d’intérêt que lorsque les précautions standards n’ont pas été respectées. Lorsqu’elles le sont, les précautions complémentaires sont moins souvent nécessaires, ce qui augmente mécaniquement leur observance par les équipes soignantes. Donc, une fois encore, tout tient aux précautions standards, qui sont la base de la PCI. Bien sûr, il est aussi nécessaire de disposer de protocoles formalisés pour les différents actes et procédures, mais dans les faits, il est rare que les professionnels de santé s’y réfèrent au quotidien, sauf pour des actes inhabituels. Un infirmier réalisant un sondage vésical n’ira pas relire, au préalable, le protocole associé. En ce qui me concerne, le réel intérêt des protocoles réside dans le moment de leur rédaction, lorsque toutes les parties prenantes se réunissent pour réfléchir ensemble aux bonnes pratiques et bien les comprendre. C’est cette étape qui a une valeur pédagogique. Le processus est certes plus long que lorsqu’un protocole est rédigé par un seul professionnel dans son bureau, mais il joue in fine un rôle primordial dans l’appropriation des protocoles. Nous l’observons également pour les audits de pratiques, dont l’intérêt pédagogique réside aussi, principalement, dans l’étape de préparation avec les professionnels concernés. L’on en revient à cette dimension psychologique et sociologique qui sous-tend les missions de l’hygiéniste hospitalier, dont le rôle est finalement plus complexe qu’il n’en a l’air.
> Article paru dans Hospitalia #67, édition de décembre 2024, à lire ici
Pr Véronique Merle : Gastroentérologue de formation, je me suis rapidement réorientée vers la santé publique. Je suis professeur d’université en épidémiologie, prévention et économie de la santé. Sur le plan hospitalier, j’ai longuement exercé au sein d’équipes d’hygiène hospitalière, notamment au CHU de Rouen. Progressivement, je me suis aussi intéressée, comme de nombreux hygiénistes, à la gestion des risques, qui offre une vision complémentaire de celle de l’hygiéniste. Ces deux spécialités mobilisent des méthodologies similaires, et imposent une vision transversale des pratiques et des métiers. J’ai donc bifurqué vers la coordination de la gestion des risques en rejoignant la Direction Qualité du Groupe hospitalier du Havre.
Vous continuez néanmoins à travailler avec les Équipes opérationnelles d’hygiène (EOH) de Normandie…
Nous collaborons régulièrement sur des enjeux ponctuels, par exemple pour la gestion d’une crise épidémique. Par sa fonction pivot, le coordonnateur de la gestion des risques est en effet bien positionné pour faire le lien entre la direction de l’établissement, l’EOH et l’Agence régionale de santé. Mais ma proximité avec les EOH normandes relève essentiellement du champ de la recherche : je travaille principalement aujourd’hui sur deux thématiques en partenariat avec mes collègues hygiénistes hospitaliers, l’une sur l’hygiène en hémodialyse, l’autre, portée avec le CHU de Rouen, sur la douche préopératoire.
Pourquoi avoir opté pour ce deuxième sujet ?
Parce que la douche préopératoire est certes une étape de prévention incontournable, mais elle n’est la plupart du temps pas véritablement formalisée. Il s’agit d’un savoir souvent délégué par les médecins aux infirmiers, et par les infirmiers aux aides-soignants, sans que personne n’ait de réelle visibilité sur les actions des professionnels sur le terrain. Savez-vous que la propreté du patient avant son départ au bloc n’est vérifiée visuellement que dans un cas sur cinq ? Il y a souvent ici des questions en lien avec le rapport au corps, l’intimité, mais aussi l’organisation du travail ou le rôle du professionnel. Nous travaillons donc avec des sociologues de la santé, pour réfléchir à l’amélioration des pratiques et des parcours chirurgicaux, qui sont souvent complexes. Il existe en effet tellement de cas de figure… et plus encore aujourd’hui, avec le développement de la chirurgie ambulatoire. La douche préopératoire est alors déléguée au patient lui-même, quels que soient son âge et son niveau de compréhension des consignes. D’où la nécessité de proposer un cadre formalisé.
Avez-vous identifié d’autres sujets de recherche sur lesquels vous aimeriez travailler ?
Nous avons en effet demandé des financements pour une étude autour d’une thématique plus émergente, celui de la chrono-vaccination contre la grippe en EHPAD. En effet, 90 % des résidents sont aujourd’hui vaccinés contre la grippe, ce qui est assez exceptionnel lorsque l’on sait que seulement 50 % des patients âgés le sont en ville. Pour autant, le grand âge limite la réponse de leur organisme à la vaccination. Pour améliorer la protection des résidents, notre seul espoir a longtemps résidé dans l’immunité collective, c’est-à-dire la vaccination des soignants et des proches – qui reste très perfectible. Lors du congrès 2024 de la Société française d’hygiène hospitalière (SF2H), qui s’était tenu à Nancy, le Professeur Stéphane Paul, du Centre international de recherche en infectiologie, avait évoqué d’autres pistes, dont la chrono-vaccination. Ainsi, d’après la littérature, un vaccin serait plus efficace lorsqu’il est administré le matin. À l’hiver 2025, nous souhaiterions donc tester cette approche en EHPAD par la mise en place d’un essai randomisé contrôlé. En fonction des résultats, nous pourrions alors déployer la chrono-vaccination pour le Covid, ou pour la grippe chez les patients âgés en ville. Ce sujet intéresse beaucoup les équipes mobiles d’hygiène en EHPAD.
Sur un autre registre, vous pilotez également la Commission Recherche de la SF2H. Pourriez-vous nous en parler ?
Comme vous le savez, la SF2H a pour spécificité d’être une société savante mixte, fédérant des médecins et des infirmiers – ce qui, en soi, est assez rare dans le paysage sanitaire français. Dans cette optique, la Commission Recherche entend soutenir la recherche en hygiène hospitalière, et spécifiquement la recherche en soins infirmiers. En France, celle-ci n’est pas encore véritablement développée dans la formation initiale des infirmiers diplômés d’État (IDE). Nous cherchons donc à y amener les professionnels en exercice, en les soutenant dans l’identification de thématiques de recherche, mais aussi dans l’acquisition des méthodologies permettant de mener une étude épidémiologique, de trouver des financements ou de rédiger une publication. Vous l’aurez compris, la Commission Recherche de la SF2H n’a pas elle-même une activité de recherche, mais elle travaille à la faciliter. À cet égard, je suis convaincue que la recherche en soins infirmiers représente un enjeu d’avenir majeur pour notre système de santé. Il est impératif de mettre en place des parcours de formation initiale et continue spécifiques, mais aussi d’acculturer les directions hospitalières pour qu’elles reconnaissent cette mission des IDE.
La SF2H travaille d’ailleurs activement à faire avancer la cause…
Le site de la SF2H recense en effet les formations existantes. Chaque année, notre congrès attribue également un Prix junior paramédical, et nous comptons réactiver une bourse de recherche qui sera spécifiquement fléchée sur la recherche en soins infirmiers. Nous avons également lancé, fin 2024, une enquête en ligne auprès de nos adhérents infirmiers, pour mieux connaître leurs attentes, leurs difficultés et leurs besoins. Par ailleurs, nous sommes en train de constituer un Comité éthique pour faciliter les publications dans des revues internationales. La présence de ce comité est en effet requise par de nombreuses revues internationales, mais elle n’est pas obligatoire en France, où l’avis du Comité de protection des personnes (CPP) tient souvent lieu d’avis du Comité éthique. Pour autant, plusieurs études, particulièrement en hygiène hospitalière, ne relèvent pas du CPP. D’où ce projet de la SF2H, pour faciliter la recherche en hygiène et notamment la recherche en soins infirmiers.
Évoquons à présent votre vision terrain. Quels enjeux observez-vous en matière de prévention et de contrôle de l’infection (PCI) ?
Le respect des précautions standards est une thématique qui ressort à chaque fois qu’émerge un sujet infectieux. Et, à chaque fois, nous nous rendons compte à quel point celles-ci sont peu connues en dehors du milieu des hygiénistes, et leur efficacité sous-estimée. La crise Covid a d’ailleurs, à mon sens, mis en évidence une méconnaissance des mécanismes de transmission des agents infectieux chez les professionnels de santé, hors spécialistes de la PCI. Nos compétences sur ce champ, qui étaient pourtant au cœur de l’enjeu, n’ont d’ailleurs probablement pas été suffisamment utilisées par la puissance publique. Il n’y avait par exemple aucun hygiéniste au sein du Conseil scientifique Covid-19. Il faut donc muscler la communication sur cette spécialité, et la SF2H y travaille aujourd’hui. Il est également nécessaire de renforcer la présence des hygiénistes auprès des professionnels de ville, où la marge de progression est importante, alors que des progrès sensibles ont pu être obtenus dans le secteur médico-social avec une accélération notable des dispositifs d’Équipes mobiles d’hygiène (EMH).
Vous estimez que l’hygiène hospitalière est l’objet de nombreux fantasmes de la part des non-hygiénistes. Pourquoi ?
Les professionnels non-hygiénistes ont parfois des difficultés pour réellement faire la part des choses entre ce qui relève du risque infectieux et ce qui relève des normes sociales de propreté. Par exemple, la question des professionnels (médecins en particulier) allant manger au self du personnel en blouse reste un sujet sensible... Par ailleurs, il y a souvent autant d’avis que de personnes, dès lors que l’on évoque la prévention d’un risque infectieux. Certains aspects semblent relever du bon sens, qui est lui-même fonction de l’individu et de son histoire. D’autres sont en lien avec des références inculquées durant l’enfance, dont il est difficile de se détacher. Chacun perçoit finalement l’hygiène hospitalière à travers son propre prisme social et culturel. C’est une réelle difficulté pour les hygiénistes sur le terrain, qui sont de fait parfois moins audibles. Cette spécialité comporte en réalité une importante dimension sociologique et psychologique, dont il faut tenir compte pour assurer l’adhésion aux bonnes pratiques de la PCI. Par exemple, l’on pense souvent que les médecins ne s’intéressent pas à l’hygiène hospitalière. Ce qui est erroné : ils sont très sensibilisés à ses enjeux, mais l’hygiène hospitalière existe sous d’autres étiquettes dans leur formation initiale – « pneumopathie sous ventilation », « infection du site opératoire », etc. Les hygiénistes doivent donc continuellement adapter leur discours à leur interlocuteur, ce qui est une véritable gymnastique mentale !
Vous avez mentionné plus haut les précautions standards. Quid des précautions complémentaires ?
Dans de nombreux cas, par exemple pour l’isolement d’un patient porteur d’une bactérie multirésistante (BMR), celles-ci n’ont finalement réellement d’intérêt que lorsque les précautions standards n’ont pas été respectées. Lorsqu’elles le sont, les précautions complémentaires sont moins souvent nécessaires, ce qui augmente mécaniquement leur observance par les équipes soignantes. Donc, une fois encore, tout tient aux précautions standards, qui sont la base de la PCI. Bien sûr, il est aussi nécessaire de disposer de protocoles formalisés pour les différents actes et procédures, mais dans les faits, il est rare que les professionnels de santé s’y réfèrent au quotidien, sauf pour des actes inhabituels. Un infirmier réalisant un sondage vésical n’ira pas relire, au préalable, le protocole associé. En ce qui me concerne, le réel intérêt des protocoles réside dans le moment de leur rédaction, lorsque toutes les parties prenantes se réunissent pour réfléchir ensemble aux bonnes pratiques et bien les comprendre. C’est cette étape qui a une valeur pédagogique. Le processus est certes plus long que lorsqu’un protocole est rédigé par un seul professionnel dans son bureau, mais il joue in fine un rôle primordial dans l’appropriation des protocoles. Nous l’observons également pour les audits de pratiques, dont l’intérêt pédagogique réside aussi, principalement, dans l’étape de préparation avec les professionnels concernés. L’on en revient à cette dimension psychologique et sociologique qui sous-tend les missions de l’hygiéniste hospitalier, dont le rôle est finalement plus complexe qu’il n’en a l’air.
> Article paru dans Hospitalia #67, édition de décembre 2024, à lire ici