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Le magazine de l'innovation hospitalière
Hygiène

« L’antibiorésistance est un sujet dont il faut s’emparer dès aujourd’hui »


Rédigé par Aurélie Pasquelin le Mercredi 20 Mars 2024 à 07:42 | Lu 1749 fois


Pharmacienne de formation, le Dr Maïder Coppry s’est très tôt intéressée à l’hygiène hospitalière et aux enjeux d’antibiorésistance. Aujourd’hui responsable de l’Équipe de prévention du risque infectieux (EPRI) du CHU de Guadeloupe, et Maître de conférences associée à l’Université des Antilles, la jeune hygiéniste fait également partie du conseil scientifique de la SF2H, de la commission de recherche de la société savante ainsi que du JePPRI, sa section pour les Jeunes professionnels de la prévention du risque infectieux. Rencontre.



Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ? 

Dr Maïder Coppry : Guadeloupéenne, j’ai fait mes études de pharmacie à Nantes et mon internat essentiellement au CHU de Bordeaux. Au cours de ce cursus, je me suis très tôt orientée vers l’hygiène hospitalière, avec une appétence particulière pour l’enseignement et la recherche. Rapidement, je me suis engagée dans un double parcours alliant internat de pharmacie, Master 2 et réalisation d’une thèse de science. À l’issue de ces travaux et de mon assistanat au CHU de Bordeaux, j’ai été recrutée à Pointe-à-Pitre, au CHU de Guadeloupe. Nous étions alors en décembre 2021. Aujourd’hui, je suis responsable de son Équipe de prévention du risque infectieux (EPRI). Il faut savoir qu’au départ, comme je souhaitais m’inscrire dans une approche hospitalo-universitaire, je ne pensais pas pouvoir exercer en Guadeloupe, car le département ne possède pas de Faculté de pharmacie. Néanmoins, puisque l’hygiène hospitalière associe médecine, pharmacie et santé publique, j’ai pu être recrutée par l’Université des Antilles au titre de Maître de conférences associée. Si ma candidature est retenue par le Conseil national des Universités, j’espère bien devenir Maître de conférences de plein droit dans les prochains mois. 

Pourquoi s’être plus particulièrement orientée vers l’hygiène hospitalière ? 

Au début de mon internat, je m’intéressais davantage à la santé publique. Puis j’ai découvert l’hygiène hospitalière au cours d’un stage, et j’ai adoré cette spécialité ! J’ai tout particulièrement aimé sa transversalité, notamment vis-à-vis des professionnels avec lesquels on interagit. Et j’aime aussi beaucoup la diversité des activités offertes par la discipline, qui va de l’investigation autour d’un épisode épidémique à la formation des soignants, en passant par l’évaluation des pratiques et la surveillance épidémiologique… Ce champ large, couplé aux nombreux échanges qu’a l’hygiéniste avec d’autres spécialités, est assez unique et fait partie des spécificités de l’hygiène hospitalière.    

Vous l’avez évoqué, vous êtes actuellement praticien hygiéniste responsable de l’EPRI du CHU de la Guadeloupe. Quelles sont les missions de cette équipe ? 

Elles sont justement très variées ! En premier lieu, l’EPRI a une activité de terrain, qui porte essentiellement sur la veille sanitaire : nous nous assurons, notamment, que l'alerte se diffuse bien au niveau des services de soins pour mettre en place les précautions adéquates lorsque la situation l’exige, particulièrement en cas de pathologie contagieuse. Et, comme tous nos homologues hygiénistes partout en France, nous avons aussi des activités d'investigation et de surveillance épidémiologique. Nous nous appuyons ici sur les méthodes de référence nationales pour produire des indicateurs, qui reflètent la qualité et la sécurité des soins offerts dans notre établissement. Dans la continuité de ces actions, nous intervenons aussi auprès des professionnels, des patients et même du grand public pour les sensibiliser aux enjeux de l’hygiène hospitalière. 

Qu’en est-il de vos actions de formation ? 

Effectivement, l’EPRI du CHU de Guadeloupe a aussi pour mission de former des professionnels, à la fois ceux déjà en activité que ceux en devenir. Nous intervenons donc régulièrement dans la Faculté de médecine, dans les écoles paramédicales et, bien sûr, dans les différents services de l’hôpital pour réactualiser les connaissances des équipes. À ce titre, nous développons cette année un nouveau plan de formation que nous souhaitons plus attractif avec, notamment, la mobilisation de méthodes pédagogiques plus actives par rapport à ce que nous proposions jusque-là. Pendant longtemps, nous nous en sommes tenus à un enseignement très magistral. Nous essayons, aujourd’hui, d'amener les professionnels dans une démarche réflexive. D’ailleurs, maintenant, les participants à une session de formation sont d’emblée invités à s’assoir autour d’une table pour échanger et réfléchir sur leurs pratiques. Cette approche semble plaire. À nous de la faire monter en charge, mais aussi de continuer à l’enrichir avec de nouveaux outils.

Par exemple ?

Je pense tout particulièrement au numérique, ou à la pédagogie par simulation. Sur ce dernier point, je suis actuellement moi-même une formation pour justement pouvoir utiliser davantage cet outil. Il faut dire que nous disposons d’un beau terrain de jeu, car le CHU de Guadeloupe dispose de son propre Centre de simulation où nous pouvons recréer une chambre, et quasiment donner vie aux mannequins, avec des dialogues, des mouvements thoraciques… Mais celui-ci est aujourd’hui sous-exploité, et je suis déterminée à y remédier parce que je suis convaincue que la simulation est un outil précieux pour se former à la prévention et au contrôle des infections – et, plus largement, à toutes les disciplines de la santé. 

Y a-t-il des spécificités propres à la Guadeloupe en matière de prévention et de contrôle des infections ? 

Pas vraiment. En 2022, lors de la dernière enquête de prévalence des infections nosocomiales, les taux d'infection relevés étaient tout à fait comparables aux chiffres en Métropole. La seule particularité de notre département, a trait à une forte incidence des infections liées à la bactérie Klebsiella pneumoniae, très fréquemment résistante aux ß-lactamines. C’est réellement une spécificité guadeloupéenne puisque même la Martinique ou la Guyane n’ont pas cette écologie-là. Nous n’expliquons pour l'instant pas cette épidémiologie spécifique à notre département, mais j’aimerais beaucoup me pencher sur le sujet, pourquoi pas dans le cadre de futures recherches.

Vous êtes d’ailleurs rattachée à l’unité de recherche Population Health, au sein de l’équipe AHeaD, et faites partie du groupe de travail Information et sensibilisation du métaréseau Promise. Quelles sont vos actions au sein de ces structures ? 
 
Située à Bordeaux, AHeaD reste en effet mon équipe de rattachement. Je participe activement à ses différents travaux qui, s’ils ne me sont pas propres, restent tous en lien avec l’usage des médicaments sur la santé, l’impact des antibiotiques et le développement de l’antibiorésistance. Quant au métaréseau Promise, il s’intéresse lui aussi à l’antibiorésistance, mais d’une manière plus globale, que l’on pourrait qualifier d’approche « One Health ». Il réunit ainsi des professionnels de santé, des académiques, des scientifiques… qui travaillent sur la résistance aux antibiotiques dans les trois champs de la santé, humaine, animale et environnementale. J’y suis, pour ma part, intégrée à un groupe de travail qui développe des outils d'information et de sensibilisation à destination des spécialistes et du grand public. Nous avons par exemple créé un diplôme universitaire en antibiorésistance « One Health ».

Pourquoi s’être engagée sur cette thématique de l’antibiorésistance ? 

Je me suis toujours intéressée à la consommation antibiotique, et à son impact sur l'émergence de résistances. Dès mon externat, j’ai d’ailleurs fait un stage dans l’un des premiers centres de référence en antibiothérapie, Medqual, aujourd’hui intégré au Centre de Prévention des infections associées aux soins (CPias) Pays de la Loire. Il s’agit, vous le savez, d’une véritable menace en termes de santé publique : d'ici 2050, le nombre de décès dus à une infection bactérienne devenue résistante ou multirésistante devrait être supérieur à ceux par cancer. L’antibiorésistance est donc un sujet dont il faut s’emparer dès aujourd’hui pour limiter son impact à l’avenir. Actuellement, les antibiotiques sont souvent prescrits de manière inutile et inappropriée, avec parfois des anomalies de dosage. Des leviers d'action sont donc possibles, dès à présent. Mais il ne faut pas s’y méprendre : l’antibiorésistance n’est pas un enjeu isolé. Il va de pair avec la prévention et le contrôle des infections car, s’il faut certes « mieux » utiliser les antibiotiques, il nous faut aussi éviter autant que possible les infections. Cette notion, qui fait donc la part belle à la prévention, reste malheureusement sous-exploitée en France ; mais elle est primordiale pour limiter le nombre d’infections et ainsi justement limiter l’usage, ou le mésusage, des antibiotiques.  

Vous êtes également très active au sein de la SF2H, dans son conseil scientifique, sa commission Recherche, et le JePPRI. Quels messages y portez-vous ?  

Au sein du conseil scientifique, j’essaie de représenter au mieux les Ultra-marins, notamment dans l’émission de recommandations – qui ne sont pas toujours adaptées aux particularités des Outre-mer. C’était le cas, par exemple, pour les dernières recommandations parues sur les infections respiratoires en période hivernale. J'ai alors alerté sur le fait qu'il n'y a pas vraiment d'hiver dans certaines régions de France, ce qui ne veut pas dire qu’elles ne sont pas confrontées à des épidémies dues à des virus respiratoires. En définitive, même si le titre de l’avis a conservé la notion « d’épidémies hivernales », il a bien été indiqué dans le texte que, « quelle que soit la période », le facteur important était bien la flambée épidémique. 

Vous êtes aussi très impliquée dans le JePPRI… 

C’est une commission très dynamique, qui vise à promouvoir les métiers de l’hygiène et à donner de la visibilité à notre société savante. J’y participe particulièrement sur le volet éditorial, avec la rédaction des newsletters et articles, mais aussi la coordination des auteurs pour la parution du bulletin de la SF2H. L’objectif est ici double, promouvoir la Société française d’hygiène hospitalière, mais aussi les actions des jeunes hygiénistes impliqués dans la prévention et le contrôle des infections. À cet égard, lors du prochain congrès de la SF2H qui se déroulera en juin à Nancy, un prix « Jeune » sera décerné au meilleur abstract présenté par un jeune hygiéniste médical et un jeune hygiéniste paramédical. L’idée étant tout autant de valoriser leurs travaux que plus largement les opportunités offertes par notre spécialité, afin d’inciter les générations à venir de s’engager dans cette voie.

> Article paru dans Hospitalia #64, édition de février 2024, à lire ici 
 






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