Pourriez-vous, pour commencer, nous présenter l’EOH de Haguenau ?
Docteur Olivier Meunier : Composée d’un médecin hygiéniste, en l’occurrence moi-même, d’une secrétaire, d’une infirmière, d’une cadre de santé et d’une technicienne biohygiéniste – auxquels s’ajoute ce semestre un interne –, elle intervient auprès de tous les corps de métier du CH de Haguenau, avec une attention forte portée à la formation continue des professionnels de santé.
Vous l’avez évoqué, vos missions sont pour l’essentiel centrées sur la formation. Quels outils utilisez-vous ?
Notre métier impose un effort pédagogique constant, pour sans cesse sensibiliser, convaincre, et stimuler l’adhésion aux bonnes pratiques d’hygiène hospitalière. Nous essayons donc d’utiliser tous les outils à notre disposition – formations classiques, formation par simulation, jeux sérieux, bulletins d’information – mais aussi d’en créer de nouveaux, indicateurs, enquêtes, jeux-concours, etc., afin que tous y trouvent leur compte. Cette diversification est nécessaire pour que nos messages touchent le plus de monde possible, d’autant que nous sommes souvent amenés à les répéter. En variant les formes, nous varions les modalités d’encouragement au respect des mesures de prévention des infections associées aux soins.
Avez-vous fait évoluer votre approche depuis l’épidémie ?
La crise sanitaire a sans conteste eu un impact, puisqu’il est plus compliqué de faire passer des messages dans l’urgence et que ces messages doivent être les plus clairs possibles. Elle nous a en outre fait prendre conscience que la perception du risque a un effet direct sur la modification des comportements, comme nous l’avons vu avec l’hygiène des mains, le port du masque ou encore la vaccination Covid. Or cette perception diffère d’une personne à l’autre, voire d’un moment à l’autre. C’est donc un paramètre très subjectif, qu’il nous faut néanmoins intégrer afin que nos messages soient mieux perçus.
Justement, comment opérez-vous pour être entendus ? Vous l’avez dit, il vous faut sans cesse convaincre…
Susciter un changement des pratiques n’est pas simple et impose d’avoir plusieurs arguments de poids. La littérature fourmille ici d’études internationales certes précieuses, mais réalisées dans des contextes trop lointains pour les professionnels de notre établissement. Or un argument est mieux entendu lorsqu’il est en lien avec notre propre quotidien. C’est pourquoi nous tentons, autant que possible, d’effectuer des enquêtes de terrain pour recueillir et objectiver des données locales, que nous pourrons par la suite utiliser pour mieux convaincre.
Pourriez-vous nous présenter quelques-uns de ces travaux ?
Nous avons, par exemple, réalisé une surveillance prospective des PICC-Lines, afin d’apporter des arguments objectifs pour expliquer les contraintes d’hygiène liées à ces dispositifs invasifs sensibles. Nous travaillons également sur les voies veineuses périphériques, en recueillant des données sur les taux de complication, les facteurs de risque, etc. Les résultats nous permettent de communiquer et d’affiner le contenu de nos formations, et de mieux convaincre nos interlocuteurs. Nous avons aussi mis en place, dans trois services volontaires, des distributeurs de solution hydro-alcoolique (SHA) équipés de puce électronique, afin de comptabiliser les frictions en temps réel. Nous avons ainsi pu disposer de données chiffrées et précises, qui montrent que le nombre de frictions n’augmente pas durant les week-ends, alors que les visites en chambre sont plus nombreuses. Nous comptons donc mieux communiquer à ce sujet auprès des patients et des visiteurs. Sur un autre registre, nous avons organisé deux marathons de l’hygiène hospitalière, qui visaient à faire valider par les services, 42 étapes avant une date butoir. Pour sa deuxième édition, cet engagement individuel et collectif a mobilisé sept services, qui se sont vu remettre des prix par le directeur de l’établissement.
Vous avez également mené des actions spécifiquement ciblées sur le corps médical…
Nous avons en effet effectué une enquête auprès des médecins de l’établissement, pour mieux connaître leurs habitudes en termes d’hygiène hospitalière. Il faut dire que les EOH focalisent habituellement leurs actions sur le personnel paramédical… L’envoi d’un questionnaire à la communauté médicale est donc en lui-même un acte pédagogique, car il fait office de piqûre de rappel : les bonnes pratiques d’hygiène hospitalière concernent tout le monde. Toujours est-il que cette enquête a confirmé les données de la littérature : dans notre établissement aussi, l’hygiène des mains est moins observée à l’entrée de la chambre qu’à la sortie… probablement parce que la perception du risque est justement plus élevée à ce moment-là. L’on en revient à cette notion finalement structurante pour comprendre les pratiques et parvenir à les modifier.
Quels sont, à votre sens, les enjeux à court et moyen terme pour votre spécialité ?
D’une part, la lutte contre l’antibiorésistance, dans le cadre de laquelle nous nous focalisons, aujourd’hui, sur le respect des consignes de prévention complémentaires afin de limiter la diffusion des souches déjà présentes. Mais il nous faudra à l’avenir travailler plus en amont, c’est-à-dire en lien avec les prescripteurs, pour réduire dès le départ l’émergence des bactéries résistantes. Autre chantier de taille, être plus éco-responsables. Les hygiénistes ont longtemps prôné l’usage unique, le recours à la chimie, etc. Il nous faut désormais nous inscrire dans une approche plus durable, travailler sur l’usage raisonné des désinfectants et développer des alternatives vertes, comme la désinfection par UV ou par la vapeur. L’EOH de Haguenau essaie une fois de plus d’être proactive, en mettant en place des programmes de recherche appliquée pour évaluer l’efficacité de nouvelles procédures de bio-nettoyage, plus écologiques. Cet enjeu majeur repose sur un constat globalement partagé par la communauté des hygiénistes : nous savons désormais qu’il existe un lien entre surconsommation de désinfectants chimiques et antibiorésistance.
Le mot de la fin ?
Nous allons constituer une Équipe Mobile d’Hygiène (EMH) qui pourrait intervenir auprès des établissements médico-sociaux de notre territoire. Ce projet est initié par l’Agence Régionale de Santé et le CPias Grand Est… mais il nous faut recruter un infirmier. Nous lançons donc un appel auprès des intéressés ! Cela dit, nous cherchons également des candidats pour un poste d’assistant partagé et espérons que les volontaires seront nombreux… même si notre spécialité, comme tant d’autres, commence à connaître de sérieuses pénuries.
Article publié dans l'édition de décembre 2021 d'Hospitalia à lire ici.
Docteur Olivier Meunier : Composée d’un médecin hygiéniste, en l’occurrence moi-même, d’une secrétaire, d’une infirmière, d’une cadre de santé et d’une technicienne biohygiéniste – auxquels s’ajoute ce semestre un interne –, elle intervient auprès de tous les corps de métier du CH de Haguenau, avec une attention forte portée à la formation continue des professionnels de santé.
Vous l’avez évoqué, vos missions sont pour l’essentiel centrées sur la formation. Quels outils utilisez-vous ?
Notre métier impose un effort pédagogique constant, pour sans cesse sensibiliser, convaincre, et stimuler l’adhésion aux bonnes pratiques d’hygiène hospitalière. Nous essayons donc d’utiliser tous les outils à notre disposition – formations classiques, formation par simulation, jeux sérieux, bulletins d’information – mais aussi d’en créer de nouveaux, indicateurs, enquêtes, jeux-concours, etc., afin que tous y trouvent leur compte. Cette diversification est nécessaire pour que nos messages touchent le plus de monde possible, d’autant que nous sommes souvent amenés à les répéter. En variant les formes, nous varions les modalités d’encouragement au respect des mesures de prévention des infections associées aux soins.
Avez-vous fait évoluer votre approche depuis l’épidémie ?
La crise sanitaire a sans conteste eu un impact, puisqu’il est plus compliqué de faire passer des messages dans l’urgence et que ces messages doivent être les plus clairs possibles. Elle nous a en outre fait prendre conscience que la perception du risque a un effet direct sur la modification des comportements, comme nous l’avons vu avec l’hygiène des mains, le port du masque ou encore la vaccination Covid. Or cette perception diffère d’une personne à l’autre, voire d’un moment à l’autre. C’est donc un paramètre très subjectif, qu’il nous faut néanmoins intégrer afin que nos messages soient mieux perçus.
Justement, comment opérez-vous pour être entendus ? Vous l’avez dit, il vous faut sans cesse convaincre…
Susciter un changement des pratiques n’est pas simple et impose d’avoir plusieurs arguments de poids. La littérature fourmille ici d’études internationales certes précieuses, mais réalisées dans des contextes trop lointains pour les professionnels de notre établissement. Or un argument est mieux entendu lorsqu’il est en lien avec notre propre quotidien. C’est pourquoi nous tentons, autant que possible, d’effectuer des enquêtes de terrain pour recueillir et objectiver des données locales, que nous pourrons par la suite utiliser pour mieux convaincre.
Pourriez-vous nous présenter quelques-uns de ces travaux ?
Nous avons, par exemple, réalisé une surveillance prospective des PICC-Lines, afin d’apporter des arguments objectifs pour expliquer les contraintes d’hygiène liées à ces dispositifs invasifs sensibles. Nous travaillons également sur les voies veineuses périphériques, en recueillant des données sur les taux de complication, les facteurs de risque, etc. Les résultats nous permettent de communiquer et d’affiner le contenu de nos formations, et de mieux convaincre nos interlocuteurs. Nous avons aussi mis en place, dans trois services volontaires, des distributeurs de solution hydro-alcoolique (SHA) équipés de puce électronique, afin de comptabiliser les frictions en temps réel. Nous avons ainsi pu disposer de données chiffrées et précises, qui montrent que le nombre de frictions n’augmente pas durant les week-ends, alors que les visites en chambre sont plus nombreuses. Nous comptons donc mieux communiquer à ce sujet auprès des patients et des visiteurs. Sur un autre registre, nous avons organisé deux marathons de l’hygiène hospitalière, qui visaient à faire valider par les services, 42 étapes avant une date butoir. Pour sa deuxième édition, cet engagement individuel et collectif a mobilisé sept services, qui se sont vu remettre des prix par le directeur de l’établissement.
Vous avez également mené des actions spécifiquement ciblées sur le corps médical…
Nous avons en effet effectué une enquête auprès des médecins de l’établissement, pour mieux connaître leurs habitudes en termes d’hygiène hospitalière. Il faut dire que les EOH focalisent habituellement leurs actions sur le personnel paramédical… L’envoi d’un questionnaire à la communauté médicale est donc en lui-même un acte pédagogique, car il fait office de piqûre de rappel : les bonnes pratiques d’hygiène hospitalière concernent tout le monde. Toujours est-il que cette enquête a confirmé les données de la littérature : dans notre établissement aussi, l’hygiène des mains est moins observée à l’entrée de la chambre qu’à la sortie… probablement parce que la perception du risque est justement plus élevée à ce moment-là. L’on en revient à cette notion finalement structurante pour comprendre les pratiques et parvenir à les modifier.
Quels sont, à votre sens, les enjeux à court et moyen terme pour votre spécialité ?
D’une part, la lutte contre l’antibiorésistance, dans le cadre de laquelle nous nous focalisons, aujourd’hui, sur le respect des consignes de prévention complémentaires afin de limiter la diffusion des souches déjà présentes. Mais il nous faudra à l’avenir travailler plus en amont, c’est-à-dire en lien avec les prescripteurs, pour réduire dès le départ l’émergence des bactéries résistantes. Autre chantier de taille, être plus éco-responsables. Les hygiénistes ont longtemps prôné l’usage unique, le recours à la chimie, etc. Il nous faut désormais nous inscrire dans une approche plus durable, travailler sur l’usage raisonné des désinfectants et développer des alternatives vertes, comme la désinfection par UV ou par la vapeur. L’EOH de Haguenau essaie une fois de plus d’être proactive, en mettant en place des programmes de recherche appliquée pour évaluer l’efficacité de nouvelles procédures de bio-nettoyage, plus écologiques. Cet enjeu majeur repose sur un constat globalement partagé par la communauté des hygiénistes : nous savons désormais qu’il existe un lien entre surconsommation de désinfectants chimiques et antibiorésistance.
Le mot de la fin ?
Nous allons constituer une Équipe Mobile d’Hygiène (EMH) qui pourrait intervenir auprès des établissements médico-sociaux de notre territoire. Ce projet est initié par l’Agence Régionale de Santé et le CPias Grand Est… mais il nous faut recruter un infirmier. Nous lançons donc un appel auprès des intéressés ! Cela dit, nous cherchons également des candidats pour un poste d’assistant partagé et espérons que les volontaires seront nombreux… même si notre spécialité, comme tant d’autres, commence à connaître de sérieuses pénuries.
Article publié dans l'édition de décembre 2021 d'Hospitalia à lire ici.