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Hôpital : crise passagère ou rupture épistémologique ?


Rédigé par Bertrand MAS, Laurent VERCOUSTRE le Mercredi 19 Février 2014 à 19:09 | Lu 481 fois


L’un s’est confronté aux difficultés de l’hôpital à travers ses engagements citoyens, l’autre les a interprétés au détour d’une démarche plus spéculative. Par des chemins différents, nous sommes arrivés à la même conclusion : la crise de l’hôpital est une crise structurelle. Assez les lamentations, suffit les discours incantatoires : il faut inventer autre chose !



Les médecins, les responsables politiques, les autorités de santé se sont-ils déjà posé les questions radicales : qu’est-ce qu’un hôpital ? Quels sont les problèmes de santé de notre société ? En quoi les progrès techniques en particulier la révolution numérique bouleversent-ils les pratiques médicales ?
C’est en allant au bout de ces trois questions que le découplage de l’hôpital et de la santé publique surgit comme une scandaleuse évidence : l’hôpital n’est plus du tout l’instrument central qui convient pour résoudre les problèmes de santé de notre modernité, il doit devenir le satellite d’un modèle à construire.

Ce découplage, il convient, pour en saisir le sens profond, de l’envisager selon une démarche généalogique. Analyser comment s’est nouée à un certain moment de notre histoire « l’institution l’hôpital », à travers des modes de pensée et des pratiques, et faire jouer cette analyse pour déchiffrer notre présent.

L’hôpital s’est constitué en hôpital médical dans le dernier tiers du XVIIIe siècle. Or les hommes du XVIIIe siècle se sont trouvés devant une situation analogue à celle que nous rencontrons aujourd’hui : celle de réformer l’hôpital public qui, à vrai dire avait peu de fonction médicale et pesait lourdement sur les finances de l’État. Fondé au milieu du XVIIe siècle par Louis XIV, l’hôpital était un lieu ambigu d’accueil et d’enferment, de soins et d’insalubrité.

L’analyse de la transformation de l’hôpital à la fin du XVIIIe siècle révèle trois faits exemplaires et essentiels pour dénouer la crise actuelle :
- Elle a été conduite par des médecins et s’est appuyée sur la rationalité médicale de cette époque ;
- Conformément à cette rationalité, l’architecture hospitalière, la taille des hôpitaux, la distribution des espaces ont été conçus conformément aux idées médicales comme espace analytique, espace de classement et lieu d’épreuve ou d’observation des maladies ;
- La pensée clinique et avec elle la scientificité de médecine est née à l’hôpital, elle a été la récompense imprévue de l’extraordinaire émulation intellectuelle de la période révolutionnaire.

Solidarité féconde de la pensée médicale et des espaces médicaux au XVIIIe siècle; cela n’est plus vrai aujourd’hui. Mais nous restons à de nombreux égards prisonniers de ces conceptions originelles. On comprend mieux la force qu’il faut trancher, la révolution copernicienne qu’il faut oser si l’on veut réformer notre système et convaincre les médecins que l’hôpital ne doit plus être le centre du dispositif de santé, la structure suzeraine.

En effet si la médecine actuelle s’est radicalement transformée, l’hôpital a conservé pour l’essentiel les structures qui l’ont fondé et n’est plus adapté à la nouvelle configuration épistémologique de la médecine. Il n’est plus adapté en particulier au nouveau statut épidémiologique qui se caractérise par la prédominance des maladies chroniques et environnementales. C’est en amont de l’hôpital, c’est dans son extérieur que les grands enjeux de santé publique nous pressent d’agir. Il faut repenser complètement le rapport de la médecine avec les espaces médicaux. Repenser les nécessités de contiguïté de ces espaces médicaux ou au contraire de dispersion.

Repenser les espaces médicaux, c’est aussi repenser la distribution du pouvoir médical, et c’est sans doute la clé du problème. Ainsi il apparaît que le service ne peut plus, ne doit plus être, le territoire de projection du pouvoir des médecins. C’est à la mesure d’un bassin de population, comme une région que le pouvoir médical doit se déployer. La médecine ne se joue plus dans la dimension du service mais dans le maillage d’un parcours de soins qui a aujourd’hui la dimension du réseau régional.

Par ailleurs la force centripète représentée par la technologie médicale et les regroupements à tout prix autour et au nom des moyens techniques les plus sophistiqués n’est pas un gage de sécurité. Nous pensons, au contraire, que la sécurité repose sur une gradation de prise en charge, chaque échelon étant bien différentié dans l’espace et dans son domaine d’intervention. Principe d’unité plus vaste pour les systèmes d’organisation, plus réduits pour les structures architecturales.

Concrètement la France, à l’image d’autres pays, doit s’engager rapidement dans une réforme de type « virage ambulatoire ».

Ainsi, c’est autour de maisons se santé de premier recours libérales, publics ou mixtes capables de travailler en réseau avec les structures hospitalières et les EPHAD, assurant une mission de service public recentrée sur la prévention, le soin, l’éducation thérapeutique et la coordination, quadrillant le territoire et comblant les espaces vides des déserts médicaux, que doit s’organiser un système de soins destiné aux citoyens et capable de coordonner le parcours de soins. Les soignants de premier recours décentralisés, regroupés, connectés, ouverts sur la société civile, doivent devenir les acteurs essentiels de notre système de soins. L’hôpital doit être réduit à sa pure essence, celle d’être aujourd’hui un ensemble de services de soins et de plateaux techniques de haut niveau technologique.

Et si l’on osait vraiment la réforme, il faudrait alors se poser la question de la pertinence des ordonnances de 1958 qui régissent encore les fonctionnements et les féodalités hospitalières d’aujourd’hui. A-t-on besoin d’autant de Centres Hospitaliers Universitaires (CHU), un CHU ne doit-il pas fédérer l’ensemble des services de soins et des compétences de niveau universitaire sur un territoire indistinctement des murs et du statut de l’établissement de soins qui les abritent ; les professeurs d’universités, ces mandarins, ne sont-ils pas eux-aussi trop nombreux au regard des missions d’excellence qui leur sont confiés, tous les assument-ils ?

Enfin, bon nombre d’hôpitaux locaux – et certains l’ont démontrés - ne devraient-il pas réorienter leurs missions de soins vers plus de proximité, vers plus de soins primaires et vers plus de soins de suites en lien avec les professionnels du territoire, plutôt que de sanctuariser – avec l’appui des élus locaux - une maternité ici, un bloc opératoire là-bas ? Sans préjuger des réponses, ces questions méritent en tout cas d’être posé dans l’optique d’une réforme qui devra s’inscrire, quelque soit l’échéance, dans un cadre budgétaire contraint.

Nous avons conscience de l’audace de notre message car, aux yeux de nos concitoyens, l’hôpital reste une espace sanctuarisé. Sur lui, l’opinion commune projette un certains nombres de valeurs humanistes ou républicaines.

Le simple questionnement ou la simple critique vis à vis de l’hôpital sonnent toujours un peu comme un sacrilège.

Difficile donc de faire comprendre qu’une recomposition de fond en comble est nécessaire et que loin de représenter une disparition du service public, cette recomposition peut être aujourd’hui la condition de survie d’un véritable service public de santé.

Par conséquent, dans nos propos, il ne s’agit pas d’une volonté de renier l’hôpital, mais il s’agit plutôt de défendre avec conviction une vision renouvelée de ses missions, vision éprouvée par notre confrontation aux réalités du terrain : nous devons construire un système de santé cohérent et coordonné où chaque acteur tient sa place sereinement.

Et face aux enjeux d’aujourd’hui, face à la transition épidémiologique que nous vivons depuis de nombreuses années, cette réforme ne peut plus attendre, elle s’impose.



Bertrand Mas
Praticien Hospitalier, Anesthésiste Réanimateur à l’hôpital de la Timone Enfants à Marseille, responsable de l’unité « Anesthésie et Réanimation des Cardiopathies de l’Enfant », ancien président du SNPHAR-E membre de l’intersyndicale « Avenir Hospitalier », vice-président du Groupe Pasteur Mutualité, membre de l’équipe de direction du Laboratoire Politique « Think Tank Différent », auteur de la note « L’État ne peut plus ignorer ses déserts médicaux » et coauteur du livre « L’Hôpital en réanimation » paru en 2011 aux éditions du Croquant.

Laurent Vercoustre
Praticien Hospitalier, Gynécologue Obstétricien au Groupe Hospitalier du Havre, auteur du livre « Faut-il supprimer les hôpitaux ? L’Hôpital au feu de Michel Foucault » paru en 2009 aux éditions L’harmattan






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