Quelles ont été, à votre sens, les évolutions les plus marquantes de ces dernières années pour la biologie médicale ?
Sandrine Roussel : J’évoquerai en premier lieu la forte automatisation de la spécialité, où les techniques manuelles ont quasiment disparu sous l’impulsion du COFRAC – il faut dire qu’elles sont assez difficiles à accréditer. Ce virage, initié il y a déjà une dizaine d’années pour la biochimie et les immunoanalyses, s’est depuis étendu à la bactériologie, où l’on assiste désormais au déploiement de chaînes de culture complètes associant automation et digitalisation. Les résultats des boîtes de Petri, par exemple, peuvent aujourd’hui être automatiquement photographiés et lus sur un poste de travail plutôt qu’à l’œil nu, ce qui diminue assurément l’exposition aux bactéries pour les techniciens de laboratoire. La tendance continue de s’accélérer au fil des renouvellements de marchés, car l’automation présente de nombreux avantages : accélération des délais de rendu des résultats et par conséquent amélioration du service médical rendu aux patients, sécurisation accrue des processus grâce à une traçabilité des événements de bout en bout, appui à la constitution de filières territoriales, etc.
Quid de la biologie moléculaire ?
Les investissements ont été très nombreux sur ce champ durant la pandémie Covid, avec la généralisation des tests de dépistage PCR. Cette méthode a donc connu des avancées rapides en 2020-2021, ce qui a élargi d’autant ses applications. Le groupe de travail Biologie, que je co-pilote avec Mélanie Blanchard (Hospices Civils de Lyon) pour le compte de l’AFIB, s’est d’ailleurs concentré sur la biologie moléculaire en 2022 afin d’offrir à nos collègues et confrères une vision précise de l’état de l’art, et leur permettre ainsi d’accompagner les nouvelles pratiques au sein de leurs établissements.
Quelles tendances identifiez-vous pour 2023 ?
Le principal enjeu, aujourd’hui, a trait à la mise en œuvre de la pathologie numérique. Les investissements alloués dans le cadre du Fonds pour la modernisation de l’investissement en santé (FMIS) ont conduit quasi toutes les Agences régionales de santé (ARS) à lancer des appels à projets pour la numérisation de l’activité d’anatomocytopathologie hospitalière. Ce virage est d’autant plus stratégique que la spécialité est en première ligne pour le diagnostic et la prise de décision thérapeutique en oncologie. D’ailleurs, un accompagnement financier de 30 millions d’euros, répartis entre 2022 et 2023, a été apporté aux établissements de santé dans le cadre de la stratégie décennale de lutte contre les cancers. Ces subventions ciblées ont donc initié un véritable mouvement de fond dans lequel sont en train de s’engager tous les établissements concernés.
Quels sont, à votre sens, les principaux atouts de la pathologie numérique ?
Elle porte en elle les germes d’une transformation profonde d’une spécialité où, jusqu’à peu, les analyses étaient encore effectuées sur microscope. Désormais, les lames d’anatomocytopathologie sont scannées et lues sur écran, sur le modèle de ce que nous évoquions plus haut pour la digitalisation de la bactériologie. Cette tendance entend répondre à plusieurs enjeux actuels, comme le développement de la télé-expertise et des pratiques en mobilité, tout en facilitant les échanges dans le cadre de programmes de recherche à plus grande échelle. Elle est en outre en adéquation avec les attentes des jeunes générations de praticiens, très demandeurs d’un recours accru aux nouvelles technologies. La pathologie numérique permet aussi de mieux faire face à l’augmentation des demandes, eu égard à la place croissante de la spécialité dans la prise en charge des cancers. Bien qu’il n’y ait pas, ici, de crise des vocations, les établissements de santé manquent de pathologistes pour traiter ces volumes.
La digitalisation s’impose donc ici comme une solution pertinente…
Cela est d’autant plus vrai lorsqu’elle est couplée à des algorithmes d’intelligence artificielle facilitant l’interprétation des images. L’IA peut par exemple effectuer un pré-tri afin de prioriser la lecture des lames nécessitant l’expertise du pathologiste. Bien que l’impact de ces technologies sur les flux de travail ne soit pas encore tout à fait perceptible, il le sera sensiblement à terme, comme nous l’avons déjà vu pour l’imagerie médicale. Cette dernière représente d’ailleurs une source d’enseignements précieuse en matière de modalités de mise en œuvre et d’intégration des technologies digitales. L’anatomocytopathologie a tout intérêt à s’en inspirer pour réussir rapidement sa transformation. Pour accompagner cette dynamique, l’AFIB mène ici aussi une veille technologique, notamment lors de congrès nationaux et internationaux. Nous proposons ainsi des ressources documentaires pour informer les ingénieurs biomédicaux sur les dernières avancées, les organisations à mettre en place et les éventuels points de vigilance.
Justement, ces évolutions observées sur le champ de la biologie médicale ont-elles un impact sur le métier d’ingénieur biomédical ?
La gestion des projets s’est en effet complexifiée, car le nombre d’interlocuteurs s’est élargi. Auparavant, nous travaillions essentiellement avec les ingénieurs travaux et le comité hygiène et sécurité. Aujourd’hui, nous entretenons également des relations étroites avec les services informatiques. Par exemple, le déploiement de la pathologie numérique nécessite la disponibilité de postes de travail à jour, dotés d’écrans haute définition et d’une connectivité forte au réseau informatique, mais aussi d’espaces de stockage supplémentaires, d’interfaçages avec les logiciels métier, etc. La direction des systèmes d’information (DSI), le responsable de la sécurité des systèmes d’information (RSSI), le délégué à la protection des données (DPO), sont désormais étroitement associés aux projets, dont la coordination technique est souvent effectuée par l’ingénieur biomédical. Le cadrage en amont est plus exigeant et le soutien de l’institution plus que jamais essentiel, afin que chacun puisse pleinement jouer son rôle.
> Article publié dans l'édition de septembre d'Hospitalia à lire ici.
Sandrine Roussel : J’évoquerai en premier lieu la forte automatisation de la spécialité, où les techniques manuelles ont quasiment disparu sous l’impulsion du COFRAC – il faut dire qu’elles sont assez difficiles à accréditer. Ce virage, initié il y a déjà une dizaine d’années pour la biochimie et les immunoanalyses, s’est depuis étendu à la bactériologie, où l’on assiste désormais au déploiement de chaînes de culture complètes associant automation et digitalisation. Les résultats des boîtes de Petri, par exemple, peuvent aujourd’hui être automatiquement photographiés et lus sur un poste de travail plutôt qu’à l’œil nu, ce qui diminue assurément l’exposition aux bactéries pour les techniciens de laboratoire. La tendance continue de s’accélérer au fil des renouvellements de marchés, car l’automation présente de nombreux avantages : accélération des délais de rendu des résultats et par conséquent amélioration du service médical rendu aux patients, sécurisation accrue des processus grâce à une traçabilité des événements de bout en bout, appui à la constitution de filières territoriales, etc.
Quid de la biologie moléculaire ?
Les investissements ont été très nombreux sur ce champ durant la pandémie Covid, avec la généralisation des tests de dépistage PCR. Cette méthode a donc connu des avancées rapides en 2020-2021, ce qui a élargi d’autant ses applications. Le groupe de travail Biologie, que je co-pilote avec Mélanie Blanchard (Hospices Civils de Lyon) pour le compte de l’AFIB, s’est d’ailleurs concentré sur la biologie moléculaire en 2022 afin d’offrir à nos collègues et confrères une vision précise de l’état de l’art, et leur permettre ainsi d’accompagner les nouvelles pratiques au sein de leurs établissements.
Quelles tendances identifiez-vous pour 2023 ?
Le principal enjeu, aujourd’hui, a trait à la mise en œuvre de la pathologie numérique. Les investissements alloués dans le cadre du Fonds pour la modernisation de l’investissement en santé (FMIS) ont conduit quasi toutes les Agences régionales de santé (ARS) à lancer des appels à projets pour la numérisation de l’activité d’anatomocytopathologie hospitalière. Ce virage est d’autant plus stratégique que la spécialité est en première ligne pour le diagnostic et la prise de décision thérapeutique en oncologie. D’ailleurs, un accompagnement financier de 30 millions d’euros, répartis entre 2022 et 2023, a été apporté aux établissements de santé dans le cadre de la stratégie décennale de lutte contre les cancers. Ces subventions ciblées ont donc initié un véritable mouvement de fond dans lequel sont en train de s’engager tous les établissements concernés.
Quels sont, à votre sens, les principaux atouts de la pathologie numérique ?
Elle porte en elle les germes d’une transformation profonde d’une spécialité où, jusqu’à peu, les analyses étaient encore effectuées sur microscope. Désormais, les lames d’anatomocytopathologie sont scannées et lues sur écran, sur le modèle de ce que nous évoquions plus haut pour la digitalisation de la bactériologie. Cette tendance entend répondre à plusieurs enjeux actuels, comme le développement de la télé-expertise et des pratiques en mobilité, tout en facilitant les échanges dans le cadre de programmes de recherche à plus grande échelle. Elle est en outre en adéquation avec les attentes des jeunes générations de praticiens, très demandeurs d’un recours accru aux nouvelles technologies. La pathologie numérique permet aussi de mieux faire face à l’augmentation des demandes, eu égard à la place croissante de la spécialité dans la prise en charge des cancers. Bien qu’il n’y ait pas, ici, de crise des vocations, les établissements de santé manquent de pathologistes pour traiter ces volumes.
La digitalisation s’impose donc ici comme une solution pertinente…
Cela est d’autant plus vrai lorsqu’elle est couplée à des algorithmes d’intelligence artificielle facilitant l’interprétation des images. L’IA peut par exemple effectuer un pré-tri afin de prioriser la lecture des lames nécessitant l’expertise du pathologiste. Bien que l’impact de ces technologies sur les flux de travail ne soit pas encore tout à fait perceptible, il le sera sensiblement à terme, comme nous l’avons déjà vu pour l’imagerie médicale. Cette dernière représente d’ailleurs une source d’enseignements précieuse en matière de modalités de mise en œuvre et d’intégration des technologies digitales. L’anatomocytopathologie a tout intérêt à s’en inspirer pour réussir rapidement sa transformation. Pour accompagner cette dynamique, l’AFIB mène ici aussi une veille technologique, notamment lors de congrès nationaux et internationaux. Nous proposons ainsi des ressources documentaires pour informer les ingénieurs biomédicaux sur les dernières avancées, les organisations à mettre en place et les éventuels points de vigilance.
Justement, ces évolutions observées sur le champ de la biologie médicale ont-elles un impact sur le métier d’ingénieur biomédical ?
La gestion des projets s’est en effet complexifiée, car le nombre d’interlocuteurs s’est élargi. Auparavant, nous travaillions essentiellement avec les ingénieurs travaux et le comité hygiène et sécurité. Aujourd’hui, nous entretenons également des relations étroites avec les services informatiques. Par exemple, le déploiement de la pathologie numérique nécessite la disponibilité de postes de travail à jour, dotés d’écrans haute définition et d’une connectivité forte au réseau informatique, mais aussi d’espaces de stockage supplémentaires, d’interfaçages avec les logiciels métier, etc. La direction des systèmes d’information (DSI), le responsable de la sécurité des systèmes d’information (RSSI), le délégué à la protection des données (DPO), sont désormais étroitement associés aux projets, dont la coordination technique est souvent effectuée par l’ingénieur biomédical. Le cadrage en amont est plus exigeant et le soutien de l’institution plus que jamais essentiel, afin que chacun puisse pleinement jouer son rôle.
> Article publié dans l'édition de septembre d'Hospitalia à lire ici.