Dr Philippe Carenco, chef du service d’hygiène hospitalière du Centre Hospitalier de Hyères et président de la Blanchisserie Inter-Hospitalière du Var. ©DR
Réduction et valorisation des déchets, recours aux énergies renouvelables, recyclage systématique, limitation des produits et emballages plastiques… Partout autour de nous, les initiatives visant à réduire notre impact environnemental se multiplient. Si, pendant de nombreuses années, le secteur de la santé semblait quelque peu en retrait sur ces sujets, force est de constater qu’il s’invite aujourd’hui dans les discussions, s’interrogeant lui aussi sur la manière de diminuer son empreinte. Ses équipes et ses agents sont toujours plus nombreux à innover avec cet objectif en tête. Au Centre Hospitalier Intercommunal (CHI) Toulon-La-Seyne-sur-Mer, par exemple, a été mise en œuvre une méthode de bionettoyage à l’eau, basée sur l’utilisation de franges micro-fibres, d’électrolyse et de nettoyage vapeur*. À Toulouse, le Groupement de Coopération Sanitaire (GCS) Blanchisserie Toulousaine de Santé a pour sa part pu se connecter au réseau de chaleur de l’incinérateur équipant l’hôpital voisin. Des initiatives similaires se développent partout dans le pays, en particulier au sein des blanchisseries hospitalières, dont l’activité est par nature énergivore – et potentiellement polluante, eu égard aux substances rejetées dans l’eau. Très tôt sensibilisé à ces problématiques, le secteur a, de longue date, entamé des réflexions pour faire évoluer ses pratiques. « Dans les années 90, par exemple, nous consommions 18 litres d’eau par kg de linge traité contre 4 à 6 litres aujourd’hui », rappelait cet été le Dr Philippe Carenco, chef du service d’hygiène hospitalière du Centre Hospitalier de Hyères et président de la Blanchisserie Inter-Hospitalière du Var.**
Une crise révélatrice
Eau, énergie, produits utilisés… Plusieurs leviers ont été actionnés ou le sont actuellement pour réduire l’impact environnemental des blanchisseries hospitalières. Portant la réflexion toujours plus loin, leurs responsables en appellent depuis plusieurs années à une réduction de la part d’articles à usage unique dans les établissements sanitaires et médico-sociaux. Durant le printemps 2020, suite au choc de la première vague épidémique et aux pénuries associées, il semble bien que le débat soit désormais ouvert, et bénéficie surtout d’une oreille attentive de la part de nombreux professionnels et établissements. « La pénurie engendrée par la crise a montré à tous les limites des produits à usage unique, fabriqués à bas coût aux quatre coins du monde », nous faisait remarquer en juin dernier Andy Nguyen, président de l’Union des Responsables de Blanchisserie Hospitalière (URBH), alors que le premier déconfinement s’enclenchait. ***Pour la seule période du printemps, certaines blanchisseries avaient ainsi constaté des hausses de plus de 50 % sur les volumes de vêtements d’habillage et de sur-habillage habituellement traités. Cette situation sans précédent les a poussés à multiplier les initiatives pour s’approvisionner le plus rapidement possible en articles textiles. Mais, malgré un événement vécu par la plupart comme un électrochoc, changer de modèle est loin d’être une sinécure, les habitudes – mais aussi les contraintes organisationnelles – ayant la peau dure. Pourtant, comme le rappelait également Andy Nguyen cet été,« une blouse à usage unique non-stérile n’est pas forcément propre »et peut donc être aisément remplacée par un vêtement textile sans sacrifier aux exigences en matière d’hygiène.
Un impact écologique moindre pour les articles textiles
Sujet ô combien important pour réduire l’impact environnemental des établissements de santé, l’utilisation comparée d’articles textiles et des produits à usage unique ne fait pourtant aujourd’hui le sujet que de peu d’études. Il y a quelques années, l’American Reusable Textile Association (ARTA), une association qui milite justement, outre Atlantique, pour un recours accru aux articles réutilisables,avait analysé les cycles de vie des blouses d’isolation jetables et de leurs pendants réutilisables. « Parce que les fabricants de textiles à usage unique vendent une perception court-termiste de leurs produits, essentiellement basée sur un aspect monétaire avantageux, sans se soucier des impacts à long terme pour l’environnement, nous croyons important de sensibiliser nos clients à cette réalité », confie Raymond Morel, membre de l’ARTA et directeur général de la Buanderie Centrale de Montréal, l’une des plus importantes blanchisseries inter-hospitalières du Québec. Depuis, il multiplie les initiatives pour relayer cette étude, d’autant que son objet central, les blouses d’isolation, représente « un produit à très forte consommation en usage unique chez nos clients actuels », explique-t-il.
Concrètement, l’analyse du cycle de vie (ou Life Cycle Assessment) effectuée par l’ARTA rend compte de l’énergie et des matériaux utilisés ou perdus à chaque étape manufacturière – soit la production énergétique, la confection, le transport, l’utilisation de l’eau, les traitements des déchets… En se basant sur 1 000 utilisations, donc 1 000 blouses à usage unique et 16,7 blouses lavables pendant 60 cycles, l’étude « démontre, hors de tout doute, l’impact environnemental réduit associé à l’utilisation de blouses lavables plutôt que jetables », résume Raymond Morel. Les gains portent plus particulièrement sur quatre volets : l’énergie utilisée, qui diminue de 28 % avec les articles réutilisables ; les émissions de gaz à effet de serre (- 30 %) ; la consommation d’eau bleue**** (- 41 %) et la génération de déchets solides, dont la réduction est estimée entre 93 % et 99 %.
Concrètement, l’analyse du cycle de vie (ou Life Cycle Assessment) effectuée par l’ARTA rend compte de l’énergie et des matériaux utilisés ou perdus à chaque étape manufacturière – soit la production énergétique, la confection, le transport, l’utilisation de l’eau, les traitements des déchets… En se basant sur 1 000 utilisations, donc 1 000 blouses à usage unique et 16,7 blouses lavables pendant 60 cycles, l’étude « démontre, hors de tout doute, l’impact environnemental réduit associé à l’utilisation de blouses lavables plutôt que jetables », résume Raymond Morel. Les gains portent plus particulièrement sur quatre volets : l’énergie utilisée, qui diminue de 28 % avec les articles réutilisables ; les émissions de gaz à effet de serre (- 30 %) ; la consommation d’eau bleue**** (- 41 %) et la génération de déchets solides, dont la réduction est estimée entre 93 % et 99 %.
Une étude économique à mener
Bien que l’étude de l’ARTA, l’une des rares existantes à ce jour, ait été réalisée sur le continent américain et s’appuie à ce titre sur des valeurs certainement différentes de celles que l’on trouverait en Europe, elle n’en met pas moins en évidence des conclusions qui restent valables partout : en comparaison avec l’usage unique, l’utilisation d’éléments textiles a un impact écologique moindre. Ses ramifications économiques, qui restent à étudier, pourraient à terme peser dans le choix des établissements de santé. Mais la France ne s’est pas encore emparée du sujet. Particulièrement sensibles aux problématiques environnementales, Philippe Carenco recommande déjà à chaque établissement « d’analyser ses pratiques »pour faire les bons choix. « On avance souvent l’argument financier dans le choix de l’usage unique. Il est effectivement moins cher à l’achat. Toutefois, le prix frontal ne se résume pas à l’achat. Les coûts de stockage et d’élimination de ces produits, qui permettront d’obtenir une estimation globale, ne sont pas forcément pris en compte », note l’hygiéniste.
Plusieurs initiatives pour aller encore plus loin
Au-delà de cette double dimension écologique et économique, le débat autour du choix entre textile et usage unique vient de connaître un nouveau rebondissement avec l’arrivée de la crise sanitaire et des pénuries associées. « Cette crise a mis en lumière une problématique majeure : les tensions sur les circuits internationaux d’approvisionnement », constatait ainsi Andy Nguyen au début de l’été. L’arrêt de plusieurs chaînes de production, le ralentissement des transports intercontinentaux et les ruptures d’approvisionnements qui en ont découlé, ont en effet soulevé la question de la souveraineté de l’État – voire de l’Union Européenne. « Une meilleure compréhension de cet enjeu écologique et la réalité de la pandémie ont poussé plusieurs de nos clients vers une solution durable.L’aspect strictement monétaire a été remplacé par une préoccupation beaucoup plus axée sur la proximité d’approvisionnement et sur la continuité opérationnelle. Les articles lavables ont incontestablement gagné du terrain par rapport aux jetables », constate, outre Atlantique, Raymond Morel. Avec une industrie textile encore très performante, la France et ses partenaires européens pourraient bien avoir là une carte à jouer.
****L'eau bleue est une eau consommée lors du procédé et qui n’est donc pas retournée à son écosystème.
*Cette technique a été mise en place par le Dr Michel Brousse. Voir aussi page…
**Voir Hospitalia n°50, page 114.
***Voir Hospitalia n°49, pages 66-68. ****L'eau bleue est une eau consommée lors du procédé et qui n’est donc pas retournée à son écosystème.
Article publié dans le numéro de décembre d'Hospitalia à consulter ici.