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Design fiction : quel soin apporter sur Mars ?


Rédigé par Aurélie Pasquelin le Mardi 13 Juin 2023 à 11:54 | Lu 1971 fois


Née dans le cadre du projet « Spaceship » du Centre National d’Études Spatiales (CNES), qui entend réfléchir aux futurs habitats lunaires et martiens, l’initiative « Le soin sur Mars, une design fiction » s’est plus particulièrement attachée à imaginer le soin sur la future base martienne, en modélisant plusieurs situations et les réponses à y apporter. Un travail prospectif mené par Matthieu Robert, designer spécialisé dans le domaine de la santé, que l’on vous invite à découvrir.



Matthieu Robert, designer spécialisé dans le domaine de la santé. ©DR
Matthieu Robert, designer spécialisé dans le domaine de la santé. ©DR
Comment en êtes-vous arrivé à travailler sur le soin sur Mars ?

Matthieu Robert : Designer en santé depuis déjà douze ans, j’ai récemment repris une formation au sein de l’École Nationale Supérieure de Création Industrielle. Je souhaitais alors concentrer mes travaux sur la salle de chirurgie du futur. Mais, après avoir échangé avec les équipes du Centre National d’Études Spatiales (CNES) lors d’un salon, j’ai élargi ce champ à la salle de chirurgie des futures bases martiennes et lunaires puis, progressivement, aux actes de soins qui seraient réalisés sur cette future base martienne. Faudra-t-il intégrer à l’équipe spatiale un chirurgien formé ? Quel matériel emporter ? Comment aménager une salle de soin optimale ?... Le champ de questionnement sur ce sujet est vraiment très vaste et nécessite une réflexion approfondie.

Quelles ont été vos méthodes de travail ?

J’ai, tout naturellement, commencé par étudier la littérature existante sur le sujet, et notamment les documents émis par la NASA. L’agence spatiale américaine a en effet déjà répertorié plus de 200 pathologies susceptibles d’être rencontrées par les équipes en poste sur mars. Elle a également listé les difficultés potentielles pour réaliser des soins, ainsi que les contraintes inhérentes aux équipements disponibles et aux connaissances des équipes. À partir de là, la NASA a pu catégoriser les pathologies pour déterminer s’il était prévu, ou non, de les traiter. Ce raisonnement est donc avant tout pragmatique, et sera certainement utile lors des prochaines étapes de la conquête spatiale. Il nous a toutefois paru intéressant de nous pencher sur les séquences où il n’est pas prévu de soigner. Nous avons ici adopté la méthode du design fiction, qui consiste à imaginer, en groupe, des scénarios répondant à une problématique donnée.

Par exemple ?

Nous avons plus particulièrement identifié trois problématiques : un trou dans la combinaison en sortie extravéhiculaire ; un mal mystérieux, ou quand un astronaute est touché par une pathologie inconnue ; et une explosion qui fait deux blessés. Pour y travailler, nous avons constitué des groupes de huit personnes, composés d’ingénieurs du CNES, mais aussi de médecins exerçant à l’Institut de Médecine et de Physiologie Spatiale (MEDES), la clinique spatiale de Toulouse ou encore la chaire d’innovation BOPA (Bloc Opératoire Augmenté), rattachée au GHU AP-HP Université Paris-Saclay.

Comment se sont déroulés ces ateliers ?

Réunis à Toulouse, les participants ont tout d’abord reçu un rappel des contraintes liées au voyage spatial, et plus particulièrement au voyage sur Mars : un voyage long de neuf mois, des délais de communication pouvant atteindre 20 minutes, une pesanteur d’un tiers inférieure à celle que l’on connaît sur Terre, une température particulièrement basse… Le « décor » a ainsi pu être planté, pour une mise en situation décrivant un voyage sur Mars qui aura lieu dans 20 ans, accompagnée de quelques éléments de contexte politique afin de créer une ambiance générale crédible. Chaque groupe s’est ensuite scindé en deux, les uns décrivant l’état du patient, les autres travaillant sur les événements qui ont mené à cette situation. Une fois les deux parties de l’histoire reliées, la phase de brainstorming pouvait commencer : les participants ont réfléchi aux outils nécessaires, pour le diagnostic comme pour le traitement, depuis la formation des utilisateurs jusqu’à la rééducation du patient. Soumis aux contraintes de l’histoire, ou à celles, extérieures, que j’ajoutais au fur et à mesure des réflexions, ils ont été particulièrement créatifs quant aux possibles réponses à l’incident. Enfin, une fois la problématique résolue, les participants ont été réunis par groupes de deux et invités à imaginer un récit de ces événements, raconté par une personne interne ou tierce.

Pourriez-vous évoquer quelques-unes des idées mises sur la table ?

Il y en a tellement ! Pas moins de 250 idées ont émergé au cours des six ateliers [chaque sujet ayant été traité deux fois, NDLR], depuis le scotch gaffeur au robot chirurgical intégrant des technologies de pointe. Une fois classées et triées de la plus à la moins réalisable, nous en avons conservé 80 pour nos travaux finaux. Naturellement, la dimension technique ou technologique y est très présente, mais il y a également eu de nombreuses propositions sur le plan organisationnel, ainsi qu’une large variété de problématiques et de notions soulevées lors des discussions. Que fait-on d’une personne malade ? À quel point faut-il faire confiance à l’Intelligence Artificielle ? Comment travaille-t-on cette confiance ? Quelle priorisation donner aux soins ? Que se passe-t-il quand plusieurs personnes sont blessées ?... Toutes ces questions, qui sont plutôt d’ordre éthique et philosophique, doivent être posées à partir du moment où l’on envoie des humains dans l’espace, d’autant plus sur une durée aussi longue.

Pourquoi avoir plus particulièrement retenu la méthode du design fiction pour ces travaux ?

À la différence de l’analyse prospective, qui part des outils d’aujourd’hui pour réfléchir à ceux dont on aurait besoin demain, le design fiction permet d’imaginer directement les besoins futurs en plongeant les participants dans un avenir fictif mais réaliste. Libérés de certains impératifs, les participants sont donc plus créatifs, sans pour autant être surréalistes : par exemple, les contraintes liées à l’espace restent toujours valables. Cette méthode, et les travaux qui en découlent, permettent alors d’initier une phase de « Back casting », c’est-à-dire que l’on peut réfléchir aux innovations à porter aujourd’hui pour accompagner la santé de demain. Certains outils imaginés par les participants sont d’ailleurs déjà en développement, je pense notamment ici aux technologies de jumeau numérique ou de réalité augmentée. Par ailleurs, et comme l’histoire l’a déjà démontré, les avancées portées par le domaine spatial ont un impact sur Terre. C’est une force majeure de la recherche spatiale : soumise à des contraintes particulièrement drastiques, elle est de fait pressée de porter des innovations qui, à terme, bénéficient à la population terrestre.

Article publié dans l'édition de mai 2023 d'Hospitalia à lire ici.

Un livret pour plonger au cœur d’une base martienne

S’inspirant des débats nés au sein des ateliers, ainsi que des récits imaginés par les participants, Matthieu Robert a rédigé trois nouvelles, reprenant chacune l’une des thématiques abordées durant ces échanges. Édité à 600 exemplaires et disponible en ligne, l’ouvrage a pour but de sensibiliser les acteurs de la santé à ces problématiques, incitant notamment « les entreprises à contacter le CNES et le MEDES si l’une de leurs solutions pourrait s’adapter à la situation », indique Matthieu Robert.

- Le livret est disponible en ligne sur : 
https://www.dropbox.com/s/29befz74srpnd61/Le%20soin%20sur%20MARS_Matthieu%20Robert-CNES-web.pdf?dl=0
 






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