Quels sont, à votre sens, les enjeux au cœur de l’hôpital de demain ?
Stéphane Fagot : J’en retiendrais plus particulièrement trois. D’abord, une plus grande proximité avec les territoires situés à l’extérieur des grands centres urbains, pour notamment pouvoir prendre en charge les patients nécessitant des soins récurrents – et qui éprouvent déjà de grandes difficultés pour se déplacer, pour des raisons sanitaires mais aussi économiques, eu égard à la hausse des prix de l’énergie. Ensuite, un meilleur accompagnement des nouvelles attentes sociales : nous ne pouvons pas forcer une partie de la population à vivre différemment du reste de la société, simplement parce qu’elle a choisi les métiers du soin. Cela dit, si un équilibre est à rechercher entre la vie personnelle et la vie professionnelle – par exemple à travers la semaine de 4 jours, que nous avons généralisée il y a déjà 2 ans – il faut aussi accepter les contraintes inhérentes à ces métiers, auxquelles il est difficile d’échapper entièrement. Je citerais, pour finir, l’enjeu de complémentarité, qui doit trouver des applications à tous les échelons d’un établissement de santé.
Qu’entendez-vous par là ?
La concentration des plateaux techniques, la surspécialisation médicale, impliquent une obligation supplémentaire de travailler en complémentarité, de manière interdisciplinaire mais aussi interprofessionnelle. À cet égard, je suis convaincu que l’avenir de notre système de santé réside dans l’élargissement des compétences des métiers infirmiers, pour pouvoir prendre en charge plus de patients en concentrant l’expertise médicale sur les cas les plus complexes. Nous pouvons ici nous appuyer sur les nombreux infirmiers qui, dans notre pays, ont justement envie d’innover et d’évoluer.
L’enjeu de complémentarité va toutefois au-delà des pratiques soignantes…
En effet, celui-ci doit également trouver une traduction au niveau de la gouvernance des établissements de santé, à travers un meilleur partage des bénéfices de l’effort. Je m’explique : aujourd’hui, les établissements de santé peuvent éprouver des difficultés à mobiliser leurs équipes pour atteindre des gains de productivité – par exemple en accélérant le virage ambulatoire, ou en développant la récupération accélérée après chirurgie –, car ces gains ne se traduisent pas, pour elles, par des bénéfices directs. Bien sûr, aucun modèle n’est parfait, mais le secteur privé, où les médecins sont directement intéressés aux bénéfices, peut être source d’inspiration. Ailleurs, cet intéressement peut prendre d’autres formes : il peut par exemple s’agir d’acquérir des outils pour faciliter le quotidien de ceux ayant participé à l’effort collectif. Toujours est-il que de telles mesures incitatives agiraient comme un réel levier de transformation, ce qui suppose toutefois une volonté politique pour les mettre en œuvre à grande échelle.
Quid alors de la complémentarité avec les partenaires territoriaux ?
C’est effectivement un enjeu majeur, mais cette complémentarité doit être réfléchie dans l’intérêt collectif de tous les partenaires, au risque de mettre en œuvre des actions qui seraient finalement contre-productives. Un exemple : depuis que des urgentistes de notre territoire ont créé un dispositif de soins non programmés, l’activité de notre service d’urgence a baissé, ainsi que celle des médecins généralistes. À terme, cela pourrait se traduire par une perte d’effectifs médicaux, alors que l’objectif initial était justement de les préserver. Il est donc erroné de penser que les acteurs locaux peuvent s’autogérer sans que l’État joue son rôle de régulateur. La complémentarité territoriale n’a de sens que si tout le monde y gagne. Des arbitrages sont donc nécessaires, et seule la puissance publique a la vision transversale et pluriannuelle qui permettrait de les appuyer. Il lui faut reprendre ce rôle de vigie, qu’elle a quelque peu abdiqué…
> Article paru dans Hospitalia #68, édition de février 2025, à lire ici
Stéphane Fagot : J’en retiendrais plus particulièrement trois. D’abord, une plus grande proximité avec les territoires situés à l’extérieur des grands centres urbains, pour notamment pouvoir prendre en charge les patients nécessitant des soins récurrents – et qui éprouvent déjà de grandes difficultés pour se déplacer, pour des raisons sanitaires mais aussi économiques, eu égard à la hausse des prix de l’énergie. Ensuite, un meilleur accompagnement des nouvelles attentes sociales : nous ne pouvons pas forcer une partie de la population à vivre différemment du reste de la société, simplement parce qu’elle a choisi les métiers du soin. Cela dit, si un équilibre est à rechercher entre la vie personnelle et la vie professionnelle – par exemple à travers la semaine de 4 jours, que nous avons généralisée il y a déjà 2 ans – il faut aussi accepter les contraintes inhérentes à ces métiers, auxquelles il est difficile d’échapper entièrement. Je citerais, pour finir, l’enjeu de complémentarité, qui doit trouver des applications à tous les échelons d’un établissement de santé.
Qu’entendez-vous par là ?
La concentration des plateaux techniques, la surspécialisation médicale, impliquent une obligation supplémentaire de travailler en complémentarité, de manière interdisciplinaire mais aussi interprofessionnelle. À cet égard, je suis convaincu que l’avenir de notre système de santé réside dans l’élargissement des compétences des métiers infirmiers, pour pouvoir prendre en charge plus de patients en concentrant l’expertise médicale sur les cas les plus complexes. Nous pouvons ici nous appuyer sur les nombreux infirmiers qui, dans notre pays, ont justement envie d’innover et d’évoluer.
L’enjeu de complémentarité va toutefois au-delà des pratiques soignantes…
En effet, celui-ci doit également trouver une traduction au niveau de la gouvernance des établissements de santé, à travers un meilleur partage des bénéfices de l’effort. Je m’explique : aujourd’hui, les établissements de santé peuvent éprouver des difficultés à mobiliser leurs équipes pour atteindre des gains de productivité – par exemple en accélérant le virage ambulatoire, ou en développant la récupération accélérée après chirurgie –, car ces gains ne se traduisent pas, pour elles, par des bénéfices directs. Bien sûr, aucun modèle n’est parfait, mais le secteur privé, où les médecins sont directement intéressés aux bénéfices, peut être source d’inspiration. Ailleurs, cet intéressement peut prendre d’autres formes : il peut par exemple s’agir d’acquérir des outils pour faciliter le quotidien de ceux ayant participé à l’effort collectif. Toujours est-il que de telles mesures incitatives agiraient comme un réel levier de transformation, ce qui suppose toutefois une volonté politique pour les mettre en œuvre à grande échelle.
Quid alors de la complémentarité avec les partenaires territoriaux ?
C’est effectivement un enjeu majeur, mais cette complémentarité doit être réfléchie dans l’intérêt collectif de tous les partenaires, au risque de mettre en œuvre des actions qui seraient finalement contre-productives. Un exemple : depuis que des urgentistes de notre territoire ont créé un dispositif de soins non programmés, l’activité de notre service d’urgence a baissé, ainsi que celle des médecins généralistes. À terme, cela pourrait se traduire par une perte d’effectifs médicaux, alors que l’objectif initial était justement de les préserver. Il est donc erroné de penser que les acteurs locaux peuvent s’autogérer sans que l’État joue son rôle de régulateur. La complémentarité territoriale n’a de sens que si tout le monde y gagne. Des arbitrages sont donc nécessaires, et seule la puissance publique a la vision transversale et pluriannuelle qui permettrait de les appuyer. Il lui faut reprendre ce rôle de vigie, qu’elle a quelque peu abdiqué…
> Article paru dans Hospitalia #68, édition de février 2025, à lire ici