Avec le Pr Éric Vibert, chirurgien au centre hépatobiliaire de l’hôpital Paul Brousse, vous avez co-créé la chaire d’innovation BOPA en janvier 2020. Pourquoi ?
Pr Patrick Duvaut : Nous sommes partis d’un constat, celui de la nécessité de disposer d’outils pour une médecine pluridisciplinaire, en accord avec les innovations du XXIème siècle. Nous avons donc pensé la chaire BOPA comme un nouvel instrument, révolutionnaire à la fois par sa dimension systémique et son écosystème innovant – puisque médecins, étudiants, ingénieurs, industriels, créateurs de start-ups et chercheurs s’y côtoient pour développer et expérimenter ensemble de nouvelles solutions. C’est un système bénéfique pour tous, les équipes médicales qui pourront disposer d’outils testés sous leur contrôle, et les entrepreneurs qui pourront valider leurs produits lors d’une preuve de concept de trois mois.
Quels sont vos principaux axes de travail ?
Dès le début du projet, nous avons identifié deux thématiques de recherche et développement : la transformation du rapport à l’erreur en chirurgie, et l’accélération de l’utilisation du numérique afin augmenter les sens – la vision, la parole et le toucher – de l’équipe chirurgicale. La chaire BOPA a donc été divisée en six blocs systémiques, chacun se penchant sur un aspect particulier de la recherche en matière de bloc augmenté. Le « Bloc-Viz », par exemple, prévoit la création d’un système de vision augmentée : les acteurs de la chaire sont d’ailleurs en train de développer une lentille de contact avec visée intégrée, qui permettra de capter l’image de ce que voient précisément les yeux du chirurgien pour la restituer ensuite sur les écrans du bloc, ou sur des écrans déportés dans le cadre de formations.
Cette innovation s’inscrit dans la série d’augmentations sensorielles que vous avez précédemment évoquées…
Effectivement, le « Bloc-Touch » se concentre, lui, sur le toucher à travers la co-botique [collaboration homme-robot, NDLR]. Ce champ permet d’imaginer des dispositifs d’aide pour fixer un geste ou en améliorer la précision, à travers par exemple des « butées virtuelles ». La parole est pour sa part au cœur du « Bloc-Bot » : l’une des start-ups que nous suivons développe ainsi un agent conversationnel qui pourra venir en aide aux équipes chirurgicales. Une première étape, celle de la définition des ontologies utilisées au bloc, a été franchie et permet au chatbot de retranscrire, sous forme de liste clinique et en temps réel, tout ce qui s’y passe. Pour aller plus loin, notamment sur le plan du suivi des procédures, nous espérons arriver à mettre en place un système d’alerte contextualisé. Ce serait là l’étape suivante, nécessaire pour pouvoir à terme créer un agent capable de converser avec les spécialistes et de répondre à leurs interrogations en contexte.
Tous ces travaux imposent une sécurisation forte des données de santé. Comment appréhendez-vous ce point précis ?
C’est le rôle du « Bloc - BlackBox », où sont développés des coffres-forts de données utilisant la cryptographie post-quantique, c’est-à-dire des algorithmes de protection des données capables de résister à une attaque provenant d’un ordinateur quantique. En parallèle, la chaire BOPA travaille également sur la technologie blockchain : véritable « notaire digital », ce système peut aisément horodater et certifier des comptes-rendus, par exemple, de manière automatique et sans outils annexes. Cette « notarisation » en temps réel est actuellement en développement et devrait être finalisée pour cet été.
Comment combiner ces technologies avec une dimension humaine ?
Plusieurs spécialistes travaillent sur l’appropriation et les comportements des professionnels de santé face à ces changements. Gérard Dubey, sociologue à l’Institut Mines-Télécom Business school, mène d’ailleurs des recherches pour évaluer la manière dont les équipes chirurgicales perçoivent cette augmentation du bloc opératoire. Par ailleurs, et à l’image de ce qui a pu être fait pour les pilotes d’avions de chasse, l’une des start-ups inscrites à la chaire développe en ce moment-même un outil permettant d’évaluer la charge émotionnelle et cognitive des équipes opératoires.
La chaire a-t-elle également une vocation de formation ?
C’est effectivement l’un des objectifs principaux de BOPA, pour les professionnels de l’IMT comme pour ceux du monde de la santé. Nous travaillons par exemple sur la formation par simulation des médecins et des chirurgiens, et collaborons à ce titre avec l’INRIA pour développer des jumeaux d’organes numériques utilisables en pré et post-opératoire. Ce champ a été initié il y a déjà quelques années, et il est aujourd’hui possible de simuler les organes en réalité augmentée. Pour être parfaitement réalistes, il ne leur manque que les flux, et notamment l’irrigation sanguine.
Est-ce là votre vision de la médecine du futur ?
Il est évident que toutes ces technologies ont un impact sur la médecine. Nous travaillons aujourd’hui sur le bloc opératoire, mais les outils que nous développons pourraient s’appliquer à tous les champs de la santé. Pourtant, au-delà de l’innovation technique et technologique, c’est bien l’organisation de la chaire BOPA, cette nouvelle façon de travailler ensemble, qui est marqueur d’avenir. Ce concept n’est d’ailleurs pas propre à la médecine. Nous envisageons ainsi la création d’une seconde chaire d’innovation, « Data for Planet », qui travaillera sur les déchets, l’énergie, l’empreinte carbone et l’inclusion citoyenne.
Article publié dans le numéro de mai d'Hospitalia à consulter ici
Pr Patrick Duvaut : Nous sommes partis d’un constat, celui de la nécessité de disposer d’outils pour une médecine pluridisciplinaire, en accord avec les innovations du XXIème siècle. Nous avons donc pensé la chaire BOPA comme un nouvel instrument, révolutionnaire à la fois par sa dimension systémique et son écosystème innovant – puisque médecins, étudiants, ingénieurs, industriels, créateurs de start-ups et chercheurs s’y côtoient pour développer et expérimenter ensemble de nouvelles solutions. C’est un système bénéfique pour tous, les équipes médicales qui pourront disposer d’outils testés sous leur contrôle, et les entrepreneurs qui pourront valider leurs produits lors d’une preuve de concept de trois mois.
Quels sont vos principaux axes de travail ?
Dès le début du projet, nous avons identifié deux thématiques de recherche et développement : la transformation du rapport à l’erreur en chirurgie, et l’accélération de l’utilisation du numérique afin augmenter les sens – la vision, la parole et le toucher – de l’équipe chirurgicale. La chaire BOPA a donc été divisée en six blocs systémiques, chacun se penchant sur un aspect particulier de la recherche en matière de bloc augmenté. Le « Bloc-Viz », par exemple, prévoit la création d’un système de vision augmentée : les acteurs de la chaire sont d’ailleurs en train de développer une lentille de contact avec visée intégrée, qui permettra de capter l’image de ce que voient précisément les yeux du chirurgien pour la restituer ensuite sur les écrans du bloc, ou sur des écrans déportés dans le cadre de formations.
Cette innovation s’inscrit dans la série d’augmentations sensorielles que vous avez précédemment évoquées…
Effectivement, le « Bloc-Touch » se concentre, lui, sur le toucher à travers la co-botique [collaboration homme-robot, NDLR]. Ce champ permet d’imaginer des dispositifs d’aide pour fixer un geste ou en améliorer la précision, à travers par exemple des « butées virtuelles ». La parole est pour sa part au cœur du « Bloc-Bot » : l’une des start-ups que nous suivons développe ainsi un agent conversationnel qui pourra venir en aide aux équipes chirurgicales. Une première étape, celle de la définition des ontologies utilisées au bloc, a été franchie et permet au chatbot de retranscrire, sous forme de liste clinique et en temps réel, tout ce qui s’y passe. Pour aller plus loin, notamment sur le plan du suivi des procédures, nous espérons arriver à mettre en place un système d’alerte contextualisé. Ce serait là l’étape suivante, nécessaire pour pouvoir à terme créer un agent capable de converser avec les spécialistes et de répondre à leurs interrogations en contexte.
Tous ces travaux imposent une sécurisation forte des données de santé. Comment appréhendez-vous ce point précis ?
C’est le rôle du « Bloc - BlackBox », où sont développés des coffres-forts de données utilisant la cryptographie post-quantique, c’est-à-dire des algorithmes de protection des données capables de résister à une attaque provenant d’un ordinateur quantique. En parallèle, la chaire BOPA travaille également sur la technologie blockchain : véritable « notaire digital », ce système peut aisément horodater et certifier des comptes-rendus, par exemple, de manière automatique et sans outils annexes. Cette « notarisation » en temps réel est actuellement en développement et devrait être finalisée pour cet été.
Comment combiner ces technologies avec une dimension humaine ?
Plusieurs spécialistes travaillent sur l’appropriation et les comportements des professionnels de santé face à ces changements. Gérard Dubey, sociologue à l’Institut Mines-Télécom Business school, mène d’ailleurs des recherches pour évaluer la manière dont les équipes chirurgicales perçoivent cette augmentation du bloc opératoire. Par ailleurs, et à l’image de ce qui a pu être fait pour les pilotes d’avions de chasse, l’une des start-ups inscrites à la chaire développe en ce moment-même un outil permettant d’évaluer la charge émotionnelle et cognitive des équipes opératoires.
La chaire a-t-elle également une vocation de formation ?
C’est effectivement l’un des objectifs principaux de BOPA, pour les professionnels de l’IMT comme pour ceux du monde de la santé. Nous travaillons par exemple sur la formation par simulation des médecins et des chirurgiens, et collaborons à ce titre avec l’INRIA pour développer des jumeaux d’organes numériques utilisables en pré et post-opératoire. Ce champ a été initié il y a déjà quelques années, et il est aujourd’hui possible de simuler les organes en réalité augmentée. Pour être parfaitement réalistes, il ne leur manque que les flux, et notamment l’irrigation sanguine.
Est-ce là votre vision de la médecine du futur ?
Il est évident que toutes ces technologies ont un impact sur la médecine. Nous travaillons aujourd’hui sur le bloc opératoire, mais les outils que nous développons pourraient s’appliquer à tous les champs de la santé. Pourtant, au-delà de l’innovation technique et technologique, c’est bien l’organisation de la chaire BOPA, cette nouvelle façon de travailler ensemble, qui est marqueur d’avenir. Ce concept n’est d’ailleurs pas propre à la médecine. Nous envisageons ainsi la création d’une seconde chaire d’innovation, « Data for Planet », qui travaillera sur les déchets, l’énergie, l’empreinte carbone et l’inclusion citoyenne.
Article publié dans le numéro de mai d'Hospitalia à consulter ici