Enjeu primordial lors de la crise sanitaire, la désinfection des lieux potentiellement contaminés par le SARS-CoV-2 a été fortement mise en avant ces dernières semaines. Rarement les protocoles de nettoyage des lieux de passage courants – métros, magasins, etc. – n’ont autant intéressé le grand public, conscient de leur complémentarité avec les gestes barrières pour assurer la sécurité de tous. Mais les plus concernés n’en ont pas moins été les établissements sanitaires et médico-sociaux, au sein desquels la circulation du virus était la plus active. « Il a fallu s’assurer de la bonne efficacité des produits désinfectants sur le virus, trouver les bonnes doses et les bonnes concentrations », se rappelle Marie-Christine Arbogast, infirmière hygiéniste du Centre Hospitalier de Fains-Véel, dans la Meuse. Il fallait, à la fois, garantir la bonne efficacité des produits de désinfection et leur conformité avec les normes européennes. Très mobilisées, les équipes d’hygiène hospitalière ont ainsi testé et approuvé plusieurs solutions progressivement utilisées pour désinfecter les lieux à risques. « Nous avons dû vérifier leur bon fonctionnement sur le plan du nettoyage comme de la désinfection, par exemple pour retirer la poussière et désactiver le virus en un seul passage », continue l’infirmière qui a validé prioritairement des produits au temps d’action assez court : « Certains sont actifs en 5 minutes seulement, d’autres le sont en une heure, poursuit-elle. Vu les attendus au sein des établissements de santé, nous avons bien sûr privilégié ceux à action rapide ».
« Des biocides très puissants »
Cette réflexion, effectuée dans bon nombre d’établissements de santé français et européens, a rapidement dépassé les frontières des services de soins. En effet, face à l’inquiétude ambiante, grand public et pouvoirs publics se sont, eux aussi, saisis de ces produits, sans toujours en maîtriser l’usage. Une situation que beaucoup regrettent, appelant à la plus grande vigilance pour éviter une utilisation « déraisonnée »des désinfectants. « Dans ce climat de tension, certains ont eu ce que l’on pourrait appeler une vraie “frénésie de la désinfection”, allant bien au-delà du nécessaire », constate le Docteur Philippe Carenco, praticien hygiéniste à Hyères, dans le Var. Outre les risques pour la santé, notamment lors de mélanges mal maîtrisés, l’hygiéniste craint surtout un impact majeur sur l’environnement car, « il ne faut pas l’oublier, les désinfectants sont des biocides très puissants ». Cette inquiétude, et cet appel à la modération, le Comité pour le Développement Durable en Santé (C2DS) et l’agence Primum non nocere les ont également relayés. Dans un communiqué de presse commun, daté du 18 juin, ils constatent ainsi un « regrettable retour à une désinfection chimique au mépris d’une logique de base d’hygiène, du code de l’environnement et du respect des milieux air et eau », appelant à ce que « les bonnes pratiques » développées en milieu hospitalier « inspirent les autres secteurs économiques ».
Bien faire la différence entre nettoyage et désinfection
« Il faut noter que dans un hôpital, seul le sol des blocs opératoires justifie une désinfection, tous les autres sols peuvent simplement être nettoyés. Or, nous assistons actuellement à des désinfections massives inutiles dans des lieux publics », s’inquiète Philippe Carenco qui rappelle que nettoyage et désinfection« ne sont pas des synonymes ». « Alors que le nettoyage à l’aide d’un détergeant ou d’un savon élimine les microbes des zones sales, ce qui, dans le cas du Covid-19, désactive le virus, la désinfection tue les agents pathogènes mais aussi tous les microorganismes présents sur les surfaces », précise l’hygiéniste. « De plus, la désinfection est une opération au résultat éphémère : 2 heures en moyenne seulement », ajoute le C2DS qui recommande d’effectuer, avant toute désinfection, un nettoyage préalable des surfaces avec un détergent. « Les “simples” détergents sont efficaces aussi parce qu'ils sont appliqués avec une action mécanique : le frottement par exemple, poursuit le Docteur Carenco. À l’instar des sols à l’hôpital, ceux des écoles, des crèches, des EHPAD ou des restaurants peuvent donc être simplement nettoyés et non désinfectés ».
Un impact sur la santé…
D’autant que les enjeux sont loin d’être anodins. Certaines molécules présentes dans plusieurs produits désinfectants sont connues pour leur nocivité pour la peau et les voies respiratoires, sans oublier leurs possibles propriétés cancérigènes, mutagènes, reprotoxiques, de perturbation endocrinienne ou favorisant l’obésité chez les jeunes enfants. Souvent sujettes à controverse, elles imposent donc cet « usage raisonné » que Philippe Carenco appelle de ses vœux, lui qui a été témoin de l’augmentation des intoxications domestiques liées à la mésutilisation de ces produits, dont l’eau de Javel. Entre le 9 et le 15 mars, ses ventes ont ainsi augmenté de 120 % en France, engendrant un risque de pénurie de chlore pourtant nécessaire au processus de conservation de l’eau potable. L’utilisation de ce produit ancien, bénéficiant d’une bonne image auprès du grand public, n’est pourtant pas sans conséquences : « les mélanges avec d’autres substances ou l’utilisation trop importante de ce produit, peut libérer le chlore sous forme de gaz, ce qui est très dangereux pour la santé », poursuit le spécialiste.
… et sur l’environnement
Dans la sphère publique, les produits désinfectants utilisés lors du confinement et surtout du déconfinement dans certaines communes pour désinfecter les plages et les trottoirs, se sont ensuite retrouvés dans la nature, car déversés dans des zones où l’eau n’est pas traitée avant d’être rejetée. « Les égouts se souviendront longtemps de ces désinfections », ironise le Docteur Philippe Carenco. Outre l’impact environnemental indéniable de ces pratiques, notamment sur la qualité de l’eau, les hygiénistes en appellent à une prise de conscience de leurs risques sanitaires. « Utilisés dans des concentrations normales, les désinfectants permettent de tuer les microorganismes, dont les agents pathogènes, explique le praticien. Mais, rejetés dans l’environnement, ils sont dilués dans l’eau des rivières et de la mer. Les agents pathogènes peuvent alors développer des résistances ». En effet, des travaux menés depuis plusieurs années mettent en lien l’utilisation et le rejet important de ces désinfectants avec le développement de bactéries multi-résistantes, « qui sont la cause de 25 000 décès par an », rappelle le C2DS. « Il faut savoir que certaines molécules utilisées dans les produits désinfectants, entraînent des mécanismes de résistances identiques à ceux que provoquent les antibiotiques chez les bactéries », ajoute Philippe Carenco qui renouvelle son appel à« une utilisation raisonnée »de ces produits. « Comme pour les antibiotiques, on pourrait également dire que “les désinfectants, ce n’est pas automatique” », résume l’hygiéniste qui demande également une plus grande vigilance dans la commercialisation de ces biocides, « véritables armes de destruction microbiologique massives laissées dans les mains du grand public ».
Des alternatives pour limiter l’usage des biocides issus de la pétrochimie
Si certaines associations et hygiénistes appellent aujourd’hui à une réduction de l’usage des désinfectants, ils n’en oublient pas leur nécessité dans certains cas, et notamment au sein des établissements de santé. Mais ceux-ci sont tout autant conscients de leurs dangers, puisqu’ils sont nombreux à avoir choisi de limiter les désinfections chimiques, optant plutôt pour la vapeur ou les ultra-violets. En effet, les problématiques soulevées par cet appel concernent surtout le processus de désinfection chimique, basé sur l’utilisation d’une majorité de produits issus de la pétrochimie qui, rappelle Philippe Carenco « mettent énormément de temps à se dégrader ». Il existe pourtant des alternatives, bien qu’elles ne soient pas encore tout à fait entrées dans les mœurs. « On sait fabriquer des produits biosourcés, issus des plantes, ainsi que des produits probiotiques, développés à partir de cultures de “bonnes bactéries” », continue l’hygiéniste qui indique que ces derniers bénéficient en plus « d’une action plus pérenne » et « moins destructrice ». « Plus visibles sur les végétaux et les animaux, les enjeux de biodiversité doivent également prendre en compte les microorganismes indispensables à toute vie », conclut Philippe Carenco.
Article publié sur le numéro de septembre d'Hospitalia à consulter ici.
Pour aller plus loin :
- L’Association Santé Environnement France a mis en ligne un mini-guide des gestes écoresponsables à adopter face au Covid-19. Il est consultable sur : www.asef-asso.fr/production/mini-guide-covid-19-les-bons-gestes-eco-responsables-a-adopter/.
- Le « Guide pour le choix des désinfectants. Produits de désinfection chimique pour les dispositifs médicaux, les sols et les surfaces » publié par la Société Française d’Hygiène Hospitalière (SF2H) est disponible sur : www.sf2h.net/publications/le-choix-des-desinfectants.
Article publié sur le numéro de septembre d'Hospitalia à consulter ici.
Pour aller plus loin :
- L’Association Santé Environnement France a mis en ligne un mini-guide des gestes écoresponsables à adopter face au Covid-19. Il est consultable sur : www.asef-asso.fr/production/mini-guide-covid-19-les-bons-gestes-eco-responsables-a-adopter/.
- Le « Guide pour le choix des désinfectants. Produits de désinfection chimique pour les dispositifs médicaux, les sols et les surfaces » publié par la Société Française d’Hygiène Hospitalière (SF2H) est disponible sur : www.sf2h.net/publications/le-choix-des-desinfectants.