Dès lors, l’Ordre des médecins estime que si le projet de loi n’est pas enrichi par le dialogue avec les acteurs de la santé, cette réforme peut encore échouer dans son application concrète malgré ses orientations positives.
Ce projet de loi doit être l’occasion de renforcer la coopération avec l’ensemble des acteurs, médecins, professionnels de santé, acteurs médico-sociaux, maires et élus territoriaux, usagers et patients, dans la proximité.
A l’heure du Grand débat, la méthode choisie par le recours aux ordonnances interpelle.
L’Ordre des médecins regrette le choix de recourir largement aux ordonnances. Cela va à l’encontre du désir d’ouverture et de transparence exprimé par nos concitoyens, alors même que la santé et l’accès aux soins sont des enjeux majeurs de cohésion sociale.
Le risque d’inadéquation aux attentes est d’autant plus aigu que le projet de loi n’apporte pas de solutions à court terme à des questions majeures : la garantie de l’accès aux soins pour tous, l’équité entre tous les étudiants dans leurs cursus, les formes de coopération entre professionnels de santé dans l’exercice coordonné, la définition du futur métier d’assistant médical ou encore les apports concrets du numérique pour renforcer l’accès aux soins sont reportés à des ordonnances qui par définition échappent au débat parlementaire.
Le ministère des Solidarités et de la Santé doit dès lors apporter rapidement des réponses claires à ces questions pressantes.
Territoires : un projet de loi un peu abstrait dans ses effets supposés.
Le projet se tourne bien vers les territoires, mais il conserve des aspects très normatifs et administratifs mettant « sous tutelle » les initiatives des professionnels de santé et des autres acteurs de terrain, les privant des libertés d’entreprendre dont ils auraient besoin.
Pour faire véritablement confiance aux acteurs de terrain, il faut :
- Que la loi prévoit l’élaboration de projets territoriaux de santé, à l’initiative des CPTS et des établissements et services de santé, en associant les CME à leur élaboration, pour renforcer la coordination ville-hôpital.
- Que la construction des CPTS soit accompagnée dans leur mise œuvre par les ARS plutôt que soumises à l’approbation des DGARS. Il serait contreproductif que les professionnels de santé ne soient pas laissés libres de déterminer par eux-mêmes leurs projets partagés.
- Faire confiance aux acteurs de terrain sur leur capacité à se regrouper à une échelle pertinente et à proposer des projets cohérents avec les projets territoriaux de santé. Ce sont les mieux à mêmes de définir, ensemble, le périmètre des territoires et l’organisation pertinente pour renforcer l’accès aux soins. Les élus locaux et les maires en particulier ont une place essentielle à tenir à cet effet.
- Le rôle et les missions des hôpitaux de proximité restent flous, notamment sur leurs équipements, alors que l’on prévoit déjà de fondre les commissions médicales dans celles des hôpitaux pivots des GHT, les éloignant ainsi des territoires. C’est au contraire au plus près des territoires que ces commissions trouveront toute leur utilité.
- Si l’on s’en tient à la rédaction actuelle du projet de loi, le rôle des directeurs d’établissements et des directeurs de GHT serait encore renforcé, alors que les décisions administratives devraient laisser place à des décisions partagées de co- gestion conformes à la stratégie médicale des groupements hospitaliers, définies par les commissions médicales et non par leurs seules directions administratives. Ne restons pas au milieu du gué : il faut faire autant confiance aux professionnels hospitaliers, acteurs de terrain, qu’aux directions administratives des établissements.
Là aussi l’Ordre approuve les orientations prises en matière de formation universitaire des futurs médecins, mais relève que la responsabilité des universités vis-à-vis des territoires qui les entourent est insuffisamment énoncée. L’université ne peut plus continuer de former des médecins sans se préoccuper de leurs exercices dans nos territoires.
Lui donner cette mission est indispensable, et pourrait avoir des conséquences positives à très court terme :
- Une multiplication des terrains de stage hors-hôpital permettrait d’irriguer les territoires par des internes très rapidement. Les moyens matériels doivent être prévus.
- C’est par ailleurs une condition préalable à l’augmentation du nombre de médecins formés : si l’on ne prend en compte que les capacités de formation des hôpitaux universitaires, la disparition du numerus clausus restera un travestissement de la réalité.
- En outre la mise en contact des futurs médecins avec des réalités différentes de celles qu’ils rencontrent dans les hôpitaux universitaires complétera utilement leur formation médicale.
- Enfin, il faut créer un statut d’assistant de territoire conçu et proposé par l’Ordre, en miroir du statut d’assistant hospitalier, pour encourager favoriser des installations durables dans les territoires les plus fragiles.
L’Ordre des médecins a toujours regretté que la démocratie sanitaire se limite à une démocratie de concertation.
- Il est évident que l’ARS et son DG ne peuvent pas être les seuls acteurs décisionnaires pour une politique fondée sur les territoires. Nos régions sont aujourd’hui immenses, diverses, très peuplées : le DG ARS ne peut pas être l’acteur de la même proximité en tous points de la région.
- Les DGARS doivent principalement insuffler et animer une politique de santé dans leurs régions, et accompagner les acteurs.
- Pour cela ils doivent avoir à leurs côtés d’autres acteurs co-décisionnaires, plus proches du terrain, notamment les commissions médicales de territoire, réunissant la ville et l’hôpital.
- Le suivi des projets de santé de territoire doit également être plus ouvert, notamment par la création de comités de suivi aux côtés des DGARS.
En l’état, le projet de loi n’opère pas un choix clair entre centralisation et territoires, et cette absence de lisibilité représente pour l’Ordre un facteur d’échec de la transformation du système de santé pourtant voulue par le projet de loi.
- Le principe de solidarité doit être rappelé dans la loi
L’Ordre des médecins a régulièrement réaffirmé que la solidarité est le fondement de notre système de santé et facteur majeur de cohésion sociale.
Ce principe pourrait être mis à mal, notamment par l’émergence d’offres « coupe files » proposées à leurs seuls bénéficiaires par des assurances privées et des mutuelles en matière de télémédecine. A ce titre le projet de loi devrait définir un mode de régulation de ces activités de sociétés qui se posent en offreurs de soins.
Le projet de loi doit être l’occasion solennelle de réaffirmer que nous refusons l’avènement d’un système à deux vitesses. Les Français ont besoin de retrouver confiance dans cette solidarité.