Quel bilan tirez-vous de la vague 1 du Ségur, sur le couloir Établissements de santé ?
David Vincent : Celle-ci a permis d’initier une dynamique positive, et surtout collaborative – ce qui est une grande première ! – entre les hôpitaux et cliniques, l’écosystème industriel et les pouvoirs publics (le ministère de la Santé via la DNS et l’ANS, la CNAM, l’ASP…)*. Nous ne pouvons donc que saluer cette dimension innovante, qui fait déjà date. Mais elle n’a pas été de tout repos, en particulier sur les volets administratif et juridique. La vague 1 était donc à la fois intéressante par son côté inédit, et difficile du fait de sa nécessaire adaptation constante à la réalité du terrain. Les dispositifs d’aide financière, eux, n’étaient en revanche pas à la hauteur, eu égard au coût réel du Ségur pour les industriels. La charge de travail pour mener à bien cette première vague a été intense !
Guillaume Reynaud : Nous étions heureux de nous y impliquer, car nous étions convaincus de sa nécessité. Pour preuve, en trois ans seulement, la santé numérique a pu atteindre plus de jalons que durant les vingt dernières années. Mais le bilan financier de la vague 1 est incontestablement négatif pour les éditeurs industriels. C’est un constat que nous avons partagé avec les pouvoirs publics, et sur lequel nous serons particulièrement vigilants pour la vague 2. Nos entreprises ne cherchent pas à s’enrichir avec le Ségur. Mais il nous faut maintenir une certaine capacité d’investissement, pour aboutir aux objectifs visés collectivement et continuer de nous développer.
Justement, comment envisagez-vous la vague 2 ?
David Vincent : Elle sera certainement plus périlleuse que la vague 1 car elle porte de fortes ambitions techniques et technologiques. D’après nos estimations, la charge de travail pour la mener à bien sera multipliée par deux voire trois, ce qui représentera un défi de taille, pour l’écosystème industriel comme pour les établissements de santé. Pour autant, les grilles tarifaires annoncées pour la vague 2 n’ont, semble-t-il, pas évolué, ce qui nous questionne : comment accompagner correctement les nouveaux usages dans un calendrier aussi contraint, sans un réel appui financier par les pouvoirs publics ? La qualité a un coût.
Guillaume Reynaud : Nous pouvons d’ailleurs déplorer que les programmes nationaux se matérialisent comme des plans exceptionnels, dont l’empilement s’impose à un écosystème industriel et des établissements de santé déjà mobilisés sur de nombreux autres chantiers. Peu de temps est finalement laissé pour les comprendre et pouvoir les implémenter de manière optimale. C’est un sujet que nous évoquons régulièrement avec la puissance publique : il faut plus de visibilité sur l’ensemble des réformes de l’État et leur cohérence calendaire, Ségur inclus.
Avez-vous identifié des difficultés particulières du côté des établissements de santé ?
David Vincent : Celles-ci sont justement à mettre en regard avec le point que nous venons d’évoquer. Cela fait plusieurs années que nous sommes embolisés par l’accumulation de réformes et d’évolutions règlementaires, qui ont quasi toutes un impact en matière de virage numérique, et donc sur nos propres développements. Or nos plans d’action sont habituellement déclinés deux à trois ans à l’avance. Cette anticipation est rendue difficile par l’amoncellement des textes, et cela se ressent auprès de nos clients. Comment donner de la visibilité aux établissements de santé, qui eux aussi doivent se mettre en ordre de marche, si nous en manquons nous-mêmes ? Nos équipes ont été surchargées de travail, celles des DSI des hôpitaux aussi. D’un côté comme de l’autre, quasiment tous les projets de développement numérique, hors Ségur, ont été mis à l’arrêt pour pouvoir tenir le calendrier.
Guillaume Reynaud : Il faut aussi rappeler que les industriels français sont non seulement tenus d’appliquer les évolutions législatives françaises, mais aussi européennes. C’est par exemple le cas de la règlementation applicable aux dispositifs médicaux, ce qui se traduira par des tensions supplémentaires sur nos équipes de recherche et développement – alors même qu’elles seront mobilisées par la vague 2 Ségur. Un meilleur alignement entre les dynamiques françaises et européennes serait grandement apprécié… D’autant que nous équipes terrain seront, elles, certainement mobilisées pour accompagner les établissements de santé dans la compréhension des attendus de la vague 2, comme elles l’ont fait pour la vague 1 – un travail, d’ailleurs, non pris en compte dans les financements Ségur.
David Vincent : Celle-ci a permis d’initier une dynamique positive, et surtout collaborative – ce qui est une grande première ! – entre les hôpitaux et cliniques, l’écosystème industriel et les pouvoirs publics (le ministère de la Santé via la DNS et l’ANS, la CNAM, l’ASP…)*. Nous ne pouvons donc que saluer cette dimension innovante, qui fait déjà date. Mais elle n’a pas été de tout repos, en particulier sur les volets administratif et juridique. La vague 1 était donc à la fois intéressante par son côté inédit, et difficile du fait de sa nécessaire adaptation constante à la réalité du terrain. Les dispositifs d’aide financière, eux, n’étaient en revanche pas à la hauteur, eu égard au coût réel du Ségur pour les industriels. La charge de travail pour mener à bien cette première vague a été intense !
Guillaume Reynaud : Nous étions heureux de nous y impliquer, car nous étions convaincus de sa nécessité. Pour preuve, en trois ans seulement, la santé numérique a pu atteindre plus de jalons que durant les vingt dernières années. Mais le bilan financier de la vague 1 est incontestablement négatif pour les éditeurs industriels. C’est un constat que nous avons partagé avec les pouvoirs publics, et sur lequel nous serons particulièrement vigilants pour la vague 2. Nos entreprises ne cherchent pas à s’enrichir avec le Ségur. Mais il nous faut maintenir une certaine capacité d’investissement, pour aboutir aux objectifs visés collectivement et continuer de nous développer.
Justement, comment envisagez-vous la vague 2 ?
David Vincent : Elle sera certainement plus périlleuse que la vague 1 car elle porte de fortes ambitions techniques et technologiques. D’après nos estimations, la charge de travail pour la mener à bien sera multipliée par deux voire trois, ce qui représentera un défi de taille, pour l’écosystème industriel comme pour les établissements de santé. Pour autant, les grilles tarifaires annoncées pour la vague 2 n’ont, semble-t-il, pas évolué, ce qui nous questionne : comment accompagner correctement les nouveaux usages dans un calendrier aussi contraint, sans un réel appui financier par les pouvoirs publics ? La qualité a un coût.
Guillaume Reynaud : Nous pouvons d’ailleurs déplorer que les programmes nationaux se matérialisent comme des plans exceptionnels, dont l’empilement s’impose à un écosystème industriel et des établissements de santé déjà mobilisés sur de nombreux autres chantiers. Peu de temps est finalement laissé pour les comprendre et pouvoir les implémenter de manière optimale. C’est un sujet que nous évoquons régulièrement avec la puissance publique : il faut plus de visibilité sur l’ensemble des réformes de l’État et leur cohérence calendaire, Ségur inclus.
Avez-vous identifié des difficultés particulières du côté des établissements de santé ?
David Vincent : Celles-ci sont justement à mettre en regard avec le point que nous venons d’évoquer. Cela fait plusieurs années que nous sommes embolisés par l’accumulation de réformes et d’évolutions règlementaires, qui ont quasi toutes un impact en matière de virage numérique, et donc sur nos propres développements. Or nos plans d’action sont habituellement déclinés deux à trois ans à l’avance. Cette anticipation est rendue difficile par l’amoncellement des textes, et cela se ressent auprès de nos clients. Comment donner de la visibilité aux établissements de santé, qui eux aussi doivent se mettre en ordre de marche, si nous en manquons nous-mêmes ? Nos équipes ont été surchargées de travail, celles des DSI des hôpitaux aussi. D’un côté comme de l’autre, quasiment tous les projets de développement numérique, hors Ségur, ont été mis à l’arrêt pour pouvoir tenir le calendrier.
Guillaume Reynaud : Il faut aussi rappeler que les industriels français sont non seulement tenus d’appliquer les évolutions législatives françaises, mais aussi européennes. C’est par exemple le cas de la règlementation applicable aux dispositifs médicaux, ce qui se traduira par des tensions supplémentaires sur nos équipes de recherche et développement – alors même qu’elles seront mobilisées par la vague 2 Ségur. Un meilleur alignement entre les dynamiques françaises et européennes serait grandement apprécié… D’autant que nous équipes terrain seront, elles, certainement mobilisées pour accompagner les établissements de santé dans la compréhension des attendus de la vague 2, comme elles l’ont fait pour la vague 1 – un travail, d’ailleurs, non pris en compte dans les financements Ségur.
Identifiez-vous des leviers particuliers pour accélérer la transformation numérique de notre système de santé ?
David Vincent : Le premier levier est sans surprise financier : la santé numérique doit bénéficier d’un budget pérenne, à la hauteur de l’enjeu, là où elle est aujourd’hui essentiellement financée par des subventions issues de plans exceptionnels – ce qui est quelque peu en contradiction avec la volonté de la positionner comme un étendard national. Le deuxième levier a trait à la gouvernance du virage numérique au sein des établissements de santé. Un projet de transformation numérique aboutit mieux lorsqu’il est porté par la direction générale. Or il est encore, trop souvent, délégué à des personnels n’ayant pas véritablement de pouvoir décisionnaire, ce qui est problématique lorsqu’il faut arbitrer entre des intérêts divergents et prioriser les actions. Un autre levier serait à mobiliser du côté des industriels, qui doivent, aussi, s’attacher à mieux comprendre les besoins et les attentes des utilisateurs et se positionner à leurs côtés pour devenir de véritables partenaires stratégiques efficients.
Guillaume Reynaud : Le co-développement des nouveaux outils et usages, et leur validation en conditions réelles, sont plus que jamais nécessaires. Ce qui impose deux prérequis. Du côté des industriels, et comme nous l’avons déjà évoqué, il nous faut disposer d’une visibilité à suffisamment long terme pour pouvoir mettre en œuvre des plans d’action cohérents. De celui des établissements de santé, il faudrait accentuer l’acculturation numérique des équipes, en particulier la communauté médicale, avec des profils experts positionnés au bon niveau hiérarchique. Il est en outre nécessaire de mener à terme certains projets fondamentaux, comme la convergence informatique des GHT, pour que nous puissions justement disposer d’une base solide sur laquelle construire les usages de demain. Le futur programme HOP’EN 2 devrait probablement permettre de finaliser cette convergence, démarrée en 2016.
D’autres pistes quant à la contribution des industriels au virage numérique ?
Daniel Vincent : Qu’il s’agisse des projets Ségur ou des autres programmes nationaux, notre mission première est de fournir les solutions les plus agiles, les plus fluides et les plus interconnectées possible, qui soient les mieux orientées sur les usages professionnels. D’où la nécessité de les co-développer avec les utilisateurs finaux car, rappelons-le aussi, des outils numériques bien conçus, ont un impact favorable sur la qualité de vie et les conditions de travail des soignants. C’est pour nous un réel point de vigilance. Nous sommes aussi attentifs à ne pas passer à côté des révolutions technologiques en cours, comme l’intelligence artificielle pour laquelle les attentes sont nombreuses. Mais comme vous le savez, l’innovation a un coût, et ni nos budgets ni ceux des établissements de santé ne sont illimités…
Guillaume Reynaud : En tout état de cause, les adhérents de Numeum rêvent tous de participer à la co-construction de l’hôpital de demain. Il faudrait néanmoins lisser la bande passante pour que nous puissions, à la fois, continuer de poser ses fondamentaux technologiques, et créer dès à présent les innovations qui élargiront son champ des possibles. L’écosystème industriel a été au rendez-vous de tous les projets et programmes nationaux, car tout retard de notre côté aurait été préjudiciable aux établissements de santé. Mais pour mettre toutes nos équipes sur le pont, il nous a fallu retarder certains développements pourtant très attendus. Un équilibre est à trouver pour que nous puissions rapidement proposer de nouveaux services à haute valeur ajoutée.
Le mot de la fin ?
Daniel Vincent : Le numérique est aujourd’hui devenu un élément central dans le quotidien d’un établissement de santé. Il n’y a pas de retour en arrière. Pour autant, il est encore trop souvent perçu comme une source de coûts, alors qu’il représente en réalité une opportunité précieuse pour renforcer la qualité des prises en charge, améliorer l’efficience des organisations, et faciliter le quotidien des équipes. Il impose certes des financements importants – même si la part qui lui est allouée par les budgets hospitaliers est bien en deçà de ce que nous pouvons observer ailleurs en Europe ou en Amérique du Nord –, mais il promet également d’importants retours sur investissement.
Guillaume Reynaud : Nous devons travailler de concert avec les établissements de santé pour le démontrer. Cela passera par une confiance mutuelle dans les outils, les usages, la sécurité des systèmes, la qualité des données produites, etc., mais aussi par une vision partagée de ce que sera la santé numérique de demain, pour les professionnels de santé comme pour les citoyens-patients, que nous sommes tous. En tout état de cause, l’écosystème industriel est pleinement mobilisé pour jouer le rôle qui est le sien dans cette transformation.
(*) DNS : Délégation ministérielle au numérique en santé. ANS : Agence du numérique en santé. CNAM : Caisse nationale de l’assurance maladie. ASP : Agence de service et de paiement.
> Article paru dans Hospitalia #64, édition de février 2024, à lire ici
David Vincent : Le premier levier est sans surprise financier : la santé numérique doit bénéficier d’un budget pérenne, à la hauteur de l’enjeu, là où elle est aujourd’hui essentiellement financée par des subventions issues de plans exceptionnels – ce qui est quelque peu en contradiction avec la volonté de la positionner comme un étendard national. Le deuxième levier a trait à la gouvernance du virage numérique au sein des établissements de santé. Un projet de transformation numérique aboutit mieux lorsqu’il est porté par la direction générale. Or il est encore, trop souvent, délégué à des personnels n’ayant pas véritablement de pouvoir décisionnaire, ce qui est problématique lorsqu’il faut arbitrer entre des intérêts divergents et prioriser les actions. Un autre levier serait à mobiliser du côté des industriels, qui doivent, aussi, s’attacher à mieux comprendre les besoins et les attentes des utilisateurs et se positionner à leurs côtés pour devenir de véritables partenaires stratégiques efficients.
Guillaume Reynaud : Le co-développement des nouveaux outils et usages, et leur validation en conditions réelles, sont plus que jamais nécessaires. Ce qui impose deux prérequis. Du côté des industriels, et comme nous l’avons déjà évoqué, il nous faut disposer d’une visibilité à suffisamment long terme pour pouvoir mettre en œuvre des plans d’action cohérents. De celui des établissements de santé, il faudrait accentuer l’acculturation numérique des équipes, en particulier la communauté médicale, avec des profils experts positionnés au bon niveau hiérarchique. Il est en outre nécessaire de mener à terme certains projets fondamentaux, comme la convergence informatique des GHT, pour que nous puissions justement disposer d’une base solide sur laquelle construire les usages de demain. Le futur programme HOP’EN 2 devrait probablement permettre de finaliser cette convergence, démarrée en 2016.
D’autres pistes quant à la contribution des industriels au virage numérique ?
Daniel Vincent : Qu’il s’agisse des projets Ségur ou des autres programmes nationaux, notre mission première est de fournir les solutions les plus agiles, les plus fluides et les plus interconnectées possible, qui soient les mieux orientées sur les usages professionnels. D’où la nécessité de les co-développer avec les utilisateurs finaux car, rappelons-le aussi, des outils numériques bien conçus, ont un impact favorable sur la qualité de vie et les conditions de travail des soignants. C’est pour nous un réel point de vigilance. Nous sommes aussi attentifs à ne pas passer à côté des révolutions technologiques en cours, comme l’intelligence artificielle pour laquelle les attentes sont nombreuses. Mais comme vous le savez, l’innovation a un coût, et ni nos budgets ni ceux des établissements de santé ne sont illimités…
Guillaume Reynaud : En tout état de cause, les adhérents de Numeum rêvent tous de participer à la co-construction de l’hôpital de demain. Il faudrait néanmoins lisser la bande passante pour que nous puissions, à la fois, continuer de poser ses fondamentaux technologiques, et créer dès à présent les innovations qui élargiront son champ des possibles. L’écosystème industriel a été au rendez-vous de tous les projets et programmes nationaux, car tout retard de notre côté aurait été préjudiciable aux établissements de santé. Mais pour mettre toutes nos équipes sur le pont, il nous a fallu retarder certains développements pourtant très attendus. Un équilibre est à trouver pour que nous puissions rapidement proposer de nouveaux services à haute valeur ajoutée.
Le mot de la fin ?
Daniel Vincent : Le numérique est aujourd’hui devenu un élément central dans le quotidien d’un établissement de santé. Il n’y a pas de retour en arrière. Pour autant, il est encore trop souvent perçu comme une source de coûts, alors qu’il représente en réalité une opportunité précieuse pour renforcer la qualité des prises en charge, améliorer l’efficience des organisations, et faciliter le quotidien des équipes. Il impose certes des financements importants – même si la part qui lui est allouée par les budgets hospitaliers est bien en deçà de ce que nous pouvons observer ailleurs en Europe ou en Amérique du Nord –, mais il promet également d’importants retours sur investissement.
Guillaume Reynaud : Nous devons travailler de concert avec les établissements de santé pour le démontrer. Cela passera par une confiance mutuelle dans les outils, les usages, la sécurité des systèmes, la qualité des données produites, etc., mais aussi par une vision partagée de ce que sera la santé numérique de demain, pour les professionnels de santé comme pour les citoyens-patients, que nous sommes tous. En tout état de cause, l’écosystème industriel est pleinement mobilisé pour jouer le rôle qui est le sien dans cette transformation.
(*) DNS : Délégation ministérielle au numérique en santé. ANS : Agence du numérique en santé. CNAM : Caisse nationale de l’assurance maladie. ASP : Agence de service et de paiement.
> Article paru dans Hospitalia #64, édition de février 2024, à lire ici