Pourquoi est-il important, selon vous, de s’intéresser et de parler de e-santé ?
Professeur Rémi Salomon : Le numérique dans sa globalité est un sujet important qui mérite d’avoir les idées claires pour en dégager une vision. Et ce afin de répondre à plusieurs questions : Qu'est-ce que l'on attend d'un système d'information ? Quels sont ses objectifs ? Pour en faire quoi ?... Toutes ces questions sont essentielles et peuvent être déclinées pour répondre aux attentes des différents services de l’hôpital. Les intérêts des uns et des autres n’y sont pas forcément les mêmes, mais ils convergent parfois. C’est pourquoi il est aussi essentiel de les aborder avec le plus d’acteurs possible.
La Conférence des Présidents de Commissions Médicales d’Établissement des CHU s’est d’ailleurs dotée d'une commission sur les systèmes d'information et le numérique...
Cette entité existait avant même que je ne sois élu, mais j’ai souhaité la renforcer. La commission SI et Numérique se met donc progressivement en place pour refléter la vision de la communauté médicale au sein des CHU. Au travers même de la Conférence, nous voyons d’ailleurs de grandes tendances se former. Quand on parle de système d'information, les professionnels médicaux pensent en priorité au traitement et au partage de la donnée : aux dossiers médicaux informatisés, aux moteurs de traitement de l’image, aux logiciels de prescription en ligne ou aux portails permettant de récupérer les examens de laboratoire… L’un des constats qui est le plus souvent formulé ici a trait à la lenteur de certains outils, ou aux bugs associés. Cela est certes irritant du quotidien mais, si l’on se projette dix ans en arrière, le progrès est indéniable. Nous avons aujourd’hui un accès beaucoup plus rapide et facile à la donnée.
Percevez-vous des risques dans le développement de ces technologies ?
Pour le médecin, l’un des premiers risques identifiés réside dans la présence d’un écran lors de ses échanges avec le patient. Si la téléconsultation en est la version la plus flagrante, cela perdure même dans le cas d’une consultation physique. L’écran prend de la place, c’est en quelque sorte le revers de la médaille. Par ailleurs, comme déjà évoqués, les lenteurs et les bugs font partie intégrante de ces technologies et peuvent perturber l’exercice. Mais l’insuffisance de ces systèmes est selon moi entre autres liée à un investissement insuffisant au sein de l'hôpital. En France, les hôpitaux investissent 2 à 2,5 % de leur budget dans les systèmes d'information. En Amérique du Nord, ce chiffre passe à 5 % ou plus, il atteint même quasiment 10 % pour le secteur bancaire. Les hôpitaux français doivent donc investir davantage pour que ces pratiques, devenues centrales, puissent bénéficier d’un financement adéquat. C’est à ce prix que l’on pourra assurer un bon fonctionnement du système d’information, dans et hors de l’hôpital.
Professeur Rémi Salomon : Le numérique dans sa globalité est un sujet important qui mérite d’avoir les idées claires pour en dégager une vision. Et ce afin de répondre à plusieurs questions : Qu'est-ce que l'on attend d'un système d'information ? Quels sont ses objectifs ? Pour en faire quoi ?... Toutes ces questions sont essentielles et peuvent être déclinées pour répondre aux attentes des différents services de l’hôpital. Les intérêts des uns et des autres n’y sont pas forcément les mêmes, mais ils convergent parfois. C’est pourquoi il est aussi essentiel de les aborder avec le plus d’acteurs possible.
La Conférence des Présidents de Commissions Médicales d’Établissement des CHU s’est d’ailleurs dotée d'une commission sur les systèmes d'information et le numérique...
Cette entité existait avant même que je ne sois élu, mais j’ai souhaité la renforcer. La commission SI et Numérique se met donc progressivement en place pour refléter la vision de la communauté médicale au sein des CHU. Au travers même de la Conférence, nous voyons d’ailleurs de grandes tendances se former. Quand on parle de système d'information, les professionnels médicaux pensent en priorité au traitement et au partage de la donnée : aux dossiers médicaux informatisés, aux moteurs de traitement de l’image, aux logiciels de prescription en ligne ou aux portails permettant de récupérer les examens de laboratoire… L’un des constats qui est le plus souvent formulé ici a trait à la lenteur de certains outils, ou aux bugs associés. Cela est certes irritant du quotidien mais, si l’on se projette dix ans en arrière, le progrès est indéniable. Nous avons aujourd’hui un accès beaucoup plus rapide et facile à la donnée.
Percevez-vous des risques dans le développement de ces technologies ?
Pour le médecin, l’un des premiers risques identifiés réside dans la présence d’un écran lors de ses échanges avec le patient. Si la téléconsultation en est la version la plus flagrante, cela perdure même dans le cas d’une consultation physique. L’écran prend de la place, c’est en quelque sorte le revers de la médaille. Par ailleurs, comme déjà évoqués, les lenteurs et les bugs font partie intégrante de ces technologies et peuvent perturber l’exercice. Mais l’insuffisance de ces systèmes est selon moi entre autres liée à un investissement insuffisant au sein de l'hôpital. En France, les hôpitaux investissent 2 à 2,5 % de leur budget dans les systèmes d'information. En Amérique du Nord, ce chiffre passe à 5 % ou plus, il atteint même quasiment 10 % pour le secteur bancaire. Les hôpitaux français doivent donc investir davantage pour que ces pratiques, devenues centrales, puissent bénéficier d’un financement adéquat. C’est à ce prix que l’on pourra assurer un bon fonctionnement du système d’information, dans et hors de l’hôpital.
Faut-il ici penser le numérique en santé comme un tout ?
Les liens entre les différentes structures et services sont grandement facilités par ces nouveaux outils. Naturellement, je parle plus facilement du soin dans un contexte hospitalier, mais les systèmes d'information concernent aussi la médecine de ville, et les autres activités de l’hôpital. Les systèmes d'information interviennent dans toutes les étapes du parcours de soins. L’informatique vient aussi en aide pour organiser les plannings, pour gérer des stocks, et peut en faire encore tellement plus. Mais pour assurer ces différentes tâches, il faut un réseau et une infrastructure qui soient opérationnels, ce qui n'est pas le cas partout et notamment dans les vieux bâtiments. Et puis, l’hôpital doit aussi se doter de personnel spécialisé. Il a besoin d’une équipe d’informaticiens, qui puisse accompagner les utilisateurs, répondre à leurs questions et intervenir rapidement lorsque nécessaire. Là aussi, le besoin d’investissement se fait ressentir, pour notamment attirer des profils plus diversifiés et qualifiés.
Quels sont les enjeux actuels du numérique en santé ?
Comme je l’ai dit plus haut, nous ne pourrons pas nous passer d’investissements financiers, techniques et humains. En matière de e-santé et de gestion des données, un autre enjeu tourne aussi autour des partenariats avec les entreprises privées. L’on fait actuellement beaucoup de choses avec les start-ups. Il existe d’ailleurs un énorme business autour de la donnée médicale et, plus globalement, de la santé. La recherche s’y intéresse également beaucoup, même si, j’en suis conscient, la marge de manœuvre demeure importante. Tout ceci peut dérouter les professionnels de santé, qui restent attachés à la protection de la donnée de santé. Médecins et chercheurs doivent donc s’interroger sur l’utilisation des données de santé, en particulier pour ne pas laisser ce champ aux industriels et aux start-ups. Les professionnels hospitaliers doivent eux aussi s’emparer du sujet, en parler, organiser des conférences… Nous devons embarquer tous les acteurs de l’hôpital autour de ce sujet primordial, qui impose une réflexion qui soit la plus large possible.
À l’avenir, pensez-vous que certaines technologies, comme l’intelligence artificielle, modifieront l’exercice de la médecine ?
L’IA va certainement nous aider dans nos pratiques, mais ce ne doit pas être un fantasme. Cette technologie ne va pas tout résoudre. Ce n’est pas une fin en soi, mais plutôt une manière d'avoir des analyses plus performantes des données. Dans le cadre de la radiologie ou de l’anatomie pathologique, les analyses d'images ont déjà grandement bénéficié de ces nouveaux outils. L’aide apportée est ici indéniable et a fait, en retour, évoluer les pratiques. Mais pour d’autres spécialités, les pratiques n’ont pas été « révolutionnées » par l’arrivée de l’IA. À l’avenir, la jonction de différentes technologies numériques viendrait plutôt en aide à la médecine en facilitant la communication entre les différents professionnels de santé. J’attends ici des outils performants, qui puissent notamment favoriser et simplifier les échanges entre ville et hôpital. Encore très balbutiant, ce champ d’application est pourtant primordial.
Qu’en est-il de l’analyse des données ?
Le secteur public de santé bénéficie indéniablement de ces avancées pour traiter les données de l’hôpital et les croiser avec d’autres, produites par la médecine de ville, le patient lui-même ou son environnement immédiat. Or, comme je le soulignais plus haut, de nombreux industriels et entités privées s'attachent à récupérer ces données, ce qui ne manque pas de soulever de nouvelles questions. La protection des données est un sujet majeur, d’autant plus lorsqu’il s’agit du traitement de données de santé. Des textes réglementaires comme le RGPD ont apporté de premières réponses, mais nous devons rester vigilants. Il nous faut pour cela davantage associer les patients, mais aussi mieux travailler sur les questions de cybersécurité. Cet enjeu mondial et qui concerne tous les secteurs est encore plus prégnant à l’hôpital. Nous faisons face à un vrai risque contre lequel nous devons nous prémunir, et donc aussi investir.
Article publié dans l'édition de septembre 2022 d'Hospitalia à lire ici.
Les liens entre les différentes structures et services sont grandement facilités par ces nouveaux outils. Naturellement, je parle plus facilement du soin dans un contexte hospitalier, mais les systèmes d'information concernent aussi la médecine de ville, et les autres activités de l’hôpital. Les systèmes d'information interviennent dans toutes les étapes du parcours de soins. L’informatique vient aussi en aide pour organiser les plannings, pour gérer des stocks, et peut en faire encore tellement plus. Mais pour assurer ces différentes tâches, il faut un réseau et une infrastructure qui soient opérationnels, ce qui n'est pas le cas partout et notamment dans les vieux bâtiments. Et puis, l’hôpital doit aussi se doter de personnel spécialisé. Il a besoin d’une équipe d’informaticiens, qui puisse accompagner les utilisateurs, répondre à leurs questions et intervenir rapidement lorsque nécessaire. Là aussi, le besoin d’investissement se fait ressentir, pour notamment attirer des profils plus diversifiés et qualifiés.
Quels sont les enjeux actuels du numérique en santé ?
Comme je l’ai dit plus haut, nous ne pourrons pas nous passer d’investissements financiers, techniques et humains. En matière de e-santé et de gestion des données, un autre enjeu tourne aussi autour des partenariats avec les entreprises privées. L’on fait actuellement beaucoup de choses avec les start-ups. Il existe d’ailleurs un énorme business autour de la donnée médicale et, plus globalement, de la santé. La recherche s’y intéresse également beaucoup, même si, j’en suis conscient, la marge de manœuvre demeure importante. Tout ceci peut dérouter les professionnels de santé, qui restent attachés à la protection de la donnée de santé. Médecins et chercheurs doivent donc s’interroger sur l’utilisation des données de santé, en particulier pour ne pas laisser ce champ aux industriels et aux start-ups. Les professionnels hospitaliers doivent eux aussi s’emparer du sujet, en parler, organiser des conférences… Nous devons embarquer tous les acteurs de l’hôpital autour de ce sujet primordial, qui impose une réflexion qui soit la plus large possible.
À l’avenir, pensez-vous que certaines technologies, comme l’intelligence artificielle, modifieront l’exercice de la médecine ?
L’IA va certainement nous aider dans nos pratiques, mais ce ne doit pas être un fantasme. Cette technologie ne va pas tout résoudre. Ce n’est pas une fin en soi, mais plutôt une manière d'avoir des analyses plus performantes des données. Dans le cadre de la radiologie ou de l’anatomie pathologique, les analyses d'images ont déjà grandement bénéficié de ces nouveaux outils. L’aide apportée est ici indéniable et a fait, en retour, évoluer les pratiques. Mais pour d’autres spécialités, les pratiques n’ont pas été « révolutionnées » par l’arrivée de l’IA. À l’avenir, la jonction de différentes technologies numériques viendrait plutôt en aide à la médecine en facilitant la communication entre les différents professionnels de santé. J’attends ici des outils performants, qui puissent notamment favoriser et simplifier les échanges entre ville et hôpital. Encore très balbutiant, ce champ d’application est pourtant primordial.
Qu’en est-il de l’analyse des données ?
Le secteur public de santé bénéficie indéniablement de ces avancées pour traiter les données de l’hôpital et les croiser avec d’autres, produites par la médecine de ville, le patient lui-même ou son environnement immédiat. Or, comme je le soulignais plus haut, de nombreux industriels et entités privées s'attachent à récupérer ces données, ce qui ne manque pas de soulever de nouvelles questions. La protection des données est un sujet majeur, d’autant plus lorsqu’il s’agit du traitement de données de santé. Des textes réglementaires comme le RGPD ont apporté de premières réponses, mais nous devons rester vigilants. Il nous faut pour cela davantage associer les patients, mais aussi mieux travailler sur les questions de cybersécurité. Cet enjeu mondial et qui concerne tous les secteurs est encore plus prégnant à l’hôpital. Nous faisons face à un vrai risque contre lequel nous devons nous prémunir, et donc aussi investir.
Article publié dans l'édition de septembre 2022 d'Hospitalia à lire ici.