En mars 2018, Emmanuel Macron annonçait son intention d’investir 1,5 milliard d’euros dans l’intelligence artificielle (IA). Echaudé par l’échec du Cloud souverain, qui avait vu partir en fumée pas moins de 75 millions d’euros, le gouvernement n’a rien laissé au hasard. Supercalculateurs suréquipés, instituts interdisciplinaires, chaires universitaires et coopérations public-privé mais aussi internationales ; tout est prévu pour faire de la France un fer de lance de l’IA dans les années à venir.
En éternelle crise, le secteur de la santé est bien évidemment l’une des priorités du « Plan pour l’IA ». Chacun des quatre instituts « 3IA » fondés comprend donc naturellement une composante sanitaire. Il faut dire que le moment semble propice. Le système de soins français a généré l’une, sinon la base nationale de données administratives la plus étoffée au monde, désormais prête à être exploitée. De plus, l’accélération de la dématérialisation des données de santé et de l’adoption du dossier médical partagé va rendre disponible en quelques années une quantité gigantesque d’informations supplémentaires, indispensable à l’entraînement des algorithmes IA.
Mais la course à l’innovation ne doit pas faire oublier l’essentiel ; l’IA est une technologie qui doit trouver sa place auprès des médecins et des patients sous forme d’applications cliniques pertinentes. Si elle n’y parvient pas, la révolution n’aura pas lieu.
Placer les médecins au cœur du processus d’innovation
La réussite de tout projet d’IA repose sur trois piliers essentiels : la donnée d’abord, qui se doit d’être préparée et de qualité ; les compétences techniques des ressources humaines ensuite, en particulier développeurs et data scientists, qui doivent être dans l’état de l’art ; et enfin l’infrastructure, qui doit faciliter l’accès à la donnée en y associant une puissance de calcul adéquate, notamment le calcul parallélisé tel que le GPU, indispensable par exemple à l’apprentissage profond ou « deep learning ».
Sur le plan collaboratif, les projets d’IA dans la santé voient se rencontrer trois types d’acteurs, aux réalités et contraintes très différentes. Tout d’abord, on trouve les grandes entreprises technologiques, qui voient dans la transformation des services de santé une opportunité commerciale et un moteur d’innovation.
Les universitaires et chercheurs sont également incontournables. Ils ont vite fait de prendre conscience de la valeur latente de la donnée accumulée dans leurs divers systèmes d’informations et, conscients qu’elle est le carburant premier de l’IA, en ont donc fait leur cheval de bataille. C’est ainsi qu’est née l’idée du Health Data Hub, un futur « laboratoire national des données de santé » piloté la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) et qui, avant la fin de l’année, fournira un accès à des jeux de données de haute qualité pour des projets qualifiés.
En bout de chaîne, les médecins sont souvent les moins impliqués. Débordés par la pratique médicale quotidienne et mal formés aux technologies de pointe, ils demandent pourtant à être convaincus sans toujours comprendre le rôle qu’ils ont à jouer. Or, ce rôle est doublement essentiel. Ils sont le lien entre le bénéficiaire final, à savoir le patient, et les autres parties prenantes que sont les experts technologiques et les chercheurs. Mais en plus, les technologies d’IA dépendent de leur engagement pour exprimer leur plein potentiel.
L’algorithme IA comme un interne en médecine
Pour pouvoir exercer leur métier, les médecins ont assimilé une grande quantité de connaissances théoriques et pratiques au fil des années, un processus d’apprentissage en continu qui se poursuit chaque jour. Avec chaque nouveau cas patient, ils sont capables d’analyser ces connaissances à la lumière de leur expérience pour poser un diagnostic précis et recommander un cours de traitement adapté. Les algorithmes d’IA reposent sur un fonctionnement similaire dans le sens où leurs performances s’accroissent à mesure qu’ils cumulent de nouvelles donnes et sont exposés à de nouveaux cas « terrain ». C’est là qu’interviennent les médecins.
Prenons l’exemple du médecin radiologue. Il a le profil idéal pour profiter des bienfaits de la vision par ordinateur pour la détection assistée par l’IA, ou de l’analytique avancée pour du diagnostic augmenté par l’IA. Souvent en première ligne du parcours patient, il doit être capable d’aiguiller l’équipe de soins le plus en amont et avec le plus de certitude possible. L’IA met à sa disposition des moyens de mener des analyses d’images plus systématiques, de croiser des données patient plus larges et ainsi de gagner en fiabilité et en précision.
L’un des enjeux pour les radiologues est de capitaliser sur leur expertise pour entraîner les algorithmes d’IA, ce qui passe nécessairement par l’annotation de centaines d’images destinées à nourrir les algorithmes dans la phase d’apprentissage. Plus les jeux de données sont représentatifs de la population générale et plus ces annotations sont qualitatives, plus on peut anticiper de la robustesse dans la performance des algorithmes en termes de sensibilité et de spécificité.
Lorsque l’on sait que certains jeux de données peuvent contenir plusieurs millions d’images, ce travail peut sembler titanesque. Heureusement, il existe aujourd’hui des outils de semi-automatisation du processus qui permettent grâce à des modèles pré-entrainés de gagner considérablement en temps et en précision avec chaque nouvelle annotation. On pourrait se laisser tenter par l’idée de confier cette tâche chronophage et difficilement monétisable à des ressources moins expertes, ou même de la délocaliser à des pays où l’expertise est moins onéreuse. Ce processus est cependant un mal nécessaire. En s’en affranchissant, on perdrait aussi en garantie sur la fiabilité des algorithmes ainsi que sur leur transparence, leur « explicabilité » et leur adaptabilité à la population locale.
IA et médecins, deux cerveaux en valent mieux qu’un
Un récent sondage de la très sérieuse revue Nature Digital Medicine révélait que 78 % des Français n’accorderaient aucun crédit à un diagnostic de santé établi par une machine. Réalisée auprès de 1 200 malades, cette étude est révélatrice de la défiance actuelle des citoyens envers la machine intelligente. L’implication du corps médical dans l’entraînement algorithmique made in France est donc un gage de confiance pour le patient.
Car c’est aussi, et surtout sur le capital confiance de l’IA que repose son potentiel réel. Dès lors que le corps médical prend part, soutient et bénéficie de plein gré de l’IA, le débat de l’homme contre la machine n’a plus lieu d’être. C’est le médecin « augmenté » par l’IA qui en ressort gagnant.
L’IA au service de la santé offre de formidables opportunités pour anticiper les maladies et mieux les soigner. Pour que son adoption soit durable et bénéfique au système de soins au sens large, elle doit reposer sur des projets à dimension humaine et partir d’enjeux cliniques réels et pertinents au quotidien, plutôt que de projets de recherche aux débouchés restreints. Le point de départ doit être le médecin – ses défis, ses cas d’usage, ses problématiques patient. À nous de savoir écouter et collaborer, si nous voulons répondre aux attentes des Français et faire rayonner notre modèle à l’étranger.