Sociologue chargé de recherche au CNRS, Étienne Nouguez s’est intéressé très tôt au secteur de la santé. « Ma mère était médecin généraliste, j’ai donc toujours été en contact avec ce monde », sourit-il. Après une classe préparatoire en lettres et sciences sociales, il intègre l’école normale supérieure de Cachan et l’Université de Paris Nanterre, où il travaille sur cette thématique dès son diplôme d'études approfondies (DEA), qui équivaut aujourd’hui à un Master 2. « Lors de ma maîtrise, j’avais étudié la sociologie du marché du cannabis. Si le sujet est intéressant, j’ai par la suite souhaité me tourner vers des marchés légaux, plus organisés et caractérisés par un nombre plus important d’acteurs-intervenants », poursuit le sociologue qui, en 2009, soutient alors une thèse intitulée Le médicament et son double. Sociologie du marché français des médicaments génériques.
Les politiques locales de santé…
Après deux post-doctorats sur les thématiques de la prévention de l’obésité et de la santé mentale, Étienne Nouguez est, depuis 2011, chercheur au Centre de sociologie des organisations du CNRS, où il continue de travailler sur sa thématique de prédilection, la sociologie du marché des médicaments, s’intéressant aussi, depuis 2015, à l’étude des politiques locales de santé publique. « Alors enseignant à Sciences Po Paris, on m’a proposé de donner un cours de master sur les territoires de la santé, un domaine que je ne maîtrisais pas autant que le marché du médicament, mais qui m’a tout de suite passionné », se souvient-il. Se penchant sur les déserts médicaux et l’essor de nouvelles structures organisationnelles, tels que les contrats locaux de santé ou les Communautés professionnelles de territoriales de santé (CPTS), le chercheur élargit par la suite son champ d’étude à la gestion de la crise sanitaire dans les territoires.
… au temps de la crise Covid
Il participe ainsi au programme de recherche « Organisations en crises » (CrisOrg), qui s’intéresse à la gestion de la pandémie de Covid-19. « Nous avons travaillé à l’échelle nationale, mais aussi sur les échelons locaux. Et il est rapidement apparu que les acteurs locaux s’étaient emparés de la gestion de cette crise, notamment lors de la première phase où les instances régionales étaient moins présentes », détaille le chercheur, citant plusieurs exemples comme la mise en place de centres d’accueil pour les sans-domiciles fixes, la distribution d’équipements de protection individuelle ou encore la javellisation des rues. « Même si, parmi ces initiatives, certaines peuvent nous sembler inutiles a posteriori, elles ont toutes répondu, au moins temporairement, à un manque et à une certaine absence de l’État », ajoute le sociologue, en rappelant aussi le rôle prépondérant des instances locales pour la mise en place des centres de vaccination.
« Lors de la crise sanitaire, on a pu observer de fortes disparités en termes de mobilisation territoriale, avec de réelles difficultés pour les déserts médicaux, mais aussi pour les “déserts de santé publique”, c’est-à-dire les territoires disposant de peu d’associations ou de réseaux de protection maternelle et infantile… Quand elles étaient présentes, ces structures ont pu être mobilisées et ont d’ailleurs joué un rôle essentiel », résume Étienne Nouguez, pour qui les nombreux enjeux en matière de politiques locales de santé « ont certes été mis en lumière par la crise sanitaire, mais ils étaient déjà présents auparavant ». Il évoque notamment ici la problématique bien connue des déserts médicaux, mais aussi une faible exploitation des outils de promotion de la santé publique*, et les complexités issues de la superposition des échelons locaux et nationaux pour ce qui est de la répartition des missions et des financements en santé.
« Lors de la crise sanitaire, on a pu observer de fortes disparités en termes de mobilisation territoriale, avec de réelles difficultés pour les déserts médicaux, mais aussi pour les “déserts de santé publique”, c’est-à-dire les territoires disposant de peu d’associations ou de réseaux de protection maternelle et infantile… Quand elles étaient présentes, ces structures ont pu être mobilisées et ont d’ailleurs joué un rôle essentiel », résume Étienne Nouguez, pour qui les nombreux enjeux en matière de politiques locales de santé « ont certes été mis en lumière par la crise sanitaire, mais ils étaient déjà présents auparavant ». Il évoque notamment ici la problématique bien connue des déserts médicaux, mais aussi une faible exploitation des outils de promotion de la santé publique*, et les complexités issues de la superposition des échelons locaux et nationaux pour ce qui est de la répartition des missions et des financements en santé.
Des années de recherche autour du marché des génériques en France
Les travaux d’Étienne Nouguez sur la crise sanitaire et, plus largement, sur les politiques locales de santé, sont toutefois loin d’avoir relégué au second plan ses recherches sur le marché des médicaments. Sur ce point, deux dimensions intéressent particulièrement le chercheur : la structuration des marchés, c’est-à-dire les relations entre ses différents acteurs, et la valorisation des produits de santé. Il a ainsi travaillé pendant près de dix ans sur les médicaments génériques en France, pour sa thèse de doctorat soutenue en 2009 et, quelques années plus tard, pour son ouvrage Des médicaments à tout prix. Sociologie des génériques en France, paru en 2017.
« Durant cette décennie, pas une seule année ne s’est écoulée sans que l’État ne mette en œuvre une nouvelle mesure incitative pour inciter à l’usage des médicaments génériques », souligne Étienne Nouguez en faisant valoir le succès de cette mobilisation à long terme : « alors que les génériques représentaient moins de 1 % des ventes dans les années 1990, ils constituent aujourd’hui près de 40 % des médicaments vendus en pharmacie ». Si de nombreux pays ont privilégié la mise en place d’un mécanisme économique permettant d’augmenter les achats de génériques, l’approche française a tenu compte des particularités nationales. « Dans notre pays, les médicaments obtenus sur ordonnance sont pris en charge par l’Assurance maladie et, le plus souvent aussi, par une complémentaire santé. L’État a donc activé d’autres mécanismes, comme le droit de substitution accordé aux pharmaciens ou la mise en œuvre d’un tarif forfaitaire de responsabilité », explique le sociologue qui, partant de ce sujet, a commencé à se pencher plus en détail sur les prix des médicaments et leur valorisation.
« À partir du moment où l’État accorde des prix très élevés aux innovations thérapeutiques mises sur le marché, les génériques deviennent essentiels pour compenser ces dépenses », poursuit le chercheur, dont les travaux rejoignent ici les problématiques actuelles de pénuries sur certains médicaments. « Le Comité économique des produits de santé, qui fixe les prix des médicaments remboursés, est pris dans des injonctions contradictoires, entre la nécessité de valoriser les médicaments innovants, et celle de revaloriser les médicaments génériques. C’est un jeu compliqué, qui semble aujourd’hui pencher vers une revalorisation ciblée de quelques génériques », explique-t-il, estimant que cette logique de« déséquilibre » instaurée il y a plusieurs décennies arrive désormais « au bout ». « Les solutions ne sont pas encore là, mais nous devons prendre cette problématique à bras le corps », conclut Étienne Nouguez.
(*) À cet égard, Étienne Nouguez prend aussi part au projet de Capitalisation des expériences en promotion de la santé (CAPS), mené depuis 2017 par un groupe de travail national coordonné par la Société française de santé publique (SFSP) et la Fédération Promotion Santé.
> Article paru dans Hospitalia #68, édition de février 2025, à lire ici
« Durant cette décennie, pas une seule année ne s’est écoulée sans que l’État ne mette en œuvre une nouvelle mesure incitative pour inciter à l’usage des médicaments génériques », souligne Étienne Nouguez en faisant valoir le succès de cette mobilisation à long terme : « alors que les génériques représentaient moins de 1 % des ventes dans les années 1990, ils constituent aujourd’hui près de 40 % des médicaments vendus en pharmacie ». Si de nombreux pays ont privilégié la mise en place d’un mécanisme économique permettant d’augmenter les achats de génériques, l’approche française a tenu compte des particularités nationales. « Dans notre pays, les médicaments obtenus sur ordonnance sont pris en charge par l’Assurance maladie et, le plus souvent aussi, par une complémentaire santé. L’État a donc activé d’autres mécanismes, comme le droit de substitution accordé aux pharmaciens ou la mise en œuvre d’un tarif forfaitaire de responsabilité », explique le sociologue qui, partant de ce sujet, a commencé à se pencher plus en détail sur les prix des médicaments et leur valorisation.
« À partir du moment où l’État accorde des prix très élevés aux innovations thérapeutiques mises sur le marché, les génériques deviennent essentiels pour compenser ces dépenses », poursuit le chercheur, dont les travaux rejoignent ici les problématiques actuelles de pénuries sur certains médicaments. « Le Comité économique des produits de santé, qui fixe les prix des médicaments remboursés, est pris dans des injonctions contradictoires, entre la nécessité de valoriser les médicaments innovants, et celle de revaloriser les médicaments génériques. C’est un jeu compliqué, qui semble aujourd’hui pencher vers une revalorisation ciblée de quelques génériques », explique-t-il, estimant que cette logique de« déséquilibre » instaurée il y a plusieurs décennies arrive désormais « au bout ». « Les solutions ne sont pas encore là, mais nous devons prendre cette problématique à bras le corps », conclut Étienne Nouguez.
(*) À cet égard, Étienne Nouguez prend aussi part au projet de Capitalisation des expériences en promotion de la santé (CAPS), mené depuis 2017 par un groupe de travail national coordonné par la Société française de santé publique (SFSP) et la Fédération Promotion Santé.
> Article paru dans Hospitalia #68, édition de février 2025, à lire ici