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Les outils numériques pour améliorer le quotidien des cadres de santé


Rédigé par Aurélie Pasquelin le Mardi 22 Octobre 2024 à 17:45 | Lu 536 fois


Infirmier et maître de conférences en Sciences infirmières à l’Université Rouen Normandie, Loïc Martin a consacré une grande partie de ses travaux à l’appropriation du numérique par les cadres de santé. Il a ainsi pu identifier plusieurs freins, mais aussi des leviers pour faciliter l’intégration de ces outils dans leur quotidien.



Les outils numériques pour améliorer le quotidien des cadres de santé
En octobre 2021, vous avez soutenu votre thèse sur l’appropriation des technologies numériques par les cadres de santé. Pourquoi avoir retenu cette thématique ? 

Loïc Martin : Le choix du sujet est né d’un constat : en matière de numérique, on parle beaucoup d'accompagnement des équipes médico-soignantes, mais finalement très peu des cadres de santé spécifiquement. Ils sont pourtant la cheville ouvrière de toutes les organisations hospitalières. Et puis, en tant que formateur pour les cadres de santé pendant neuf ans, j’avais observé, chez certains, un niveau de connaissance parfois limité sur tout ce qui a trait à l’informatique en général. De nombreuses solutions existent aujourd’hui sur un large champ applicatif mais, au quotidien, les cadres utilisent encore principalement des logiciels de gestion des plannings et de passation des commandes. Rares sont ceux qui ont recours aux solutions numériques pour améliorer leurs pratiques managériales. En parallèle, il y a des injonctions assez fortes pour accélérer l’intégration de ces outils en vue d’alléger leurs tâches quotidiennes mais, dans les faits, cela n’est pas réellement le cas. 

Quelles ont été vos méthodes de travail dans le cadre de ces recherches ? 

J’ai réalisé une étude auprès de 30 cadres de santé de proximité sur l'ensemble du territoire normand, avec des entretiens d’une heure à une heure trente. Lors de ces échanges, j'ai pu faire le constat que les cadres ne se sentent ni à l'aise, ni dépassés, ils sont dans un entre-deux. Ils utilisent des outils très basiques : un ordinateur fixe, et pour certains, un GSM. Les ordinateurs portables ou les smartphones sont pour leur part utilisés de manière très personnelle, c'est-à-dire que les personnes viennent avec leur propre matériel, ce qui pose des problèmes de sécurité et questionne aussi sur la nécessité d’apporter son propre équipement pour travailler. Le fait que les cadres n’aient souvent accès qu’à un ordinateur fixe interroge également, surtout au regard de la demande croissante de mobilité dans leurs tâches.

Avez-vous identifié d’autres freins à l’appropriation des outils numériques ? 

J’en ai identifié plusieurs, relevant de trois enjeux majeurs : la dimension technologique, la dimension institutionnelle et la dimension d'accompagnement et de formation. Pour ce qui est du volet technologique, il y a donc le matériel et les logiciels, souvent décrits comme trop chronophages, mais les cadres rencontrent aussi des problèmes d’interopérabilité des outils, des difficultés de connexion ou des pannes. Cela dit, la vétusté des outils informatiques est clairement identifiée par de nombreux autres professionnels hospitaliers. 

Qu’entendez-vous par la dimension institutionnelle ? 

Ce qui ressort principalement ici, c'est le manque de moyens et les freins financiers. Si l’établissement acquiert seulement 15 % d’un logiciel de gestion des plannings pour des raisons financières, les possibilités de cet outil sont naturellement freinées. Beaucoup de cadres mettent aussi en avant un retard de la culture numérique à l’hôpital, ainsi qu’un manque d'information sur ce qui existe de la part des directions informatiques. Ils attendent que ces directions n'informent pas uniquement sur les difficultés actuelles, mais qu'ils proposent aussi des solutions modernes qui permettraient d'améliorer leur quotidien. 

Comment répondre à ces différents points ? 

La première recommandation est de réfléchir, de manière globale, à une stratégie institutionnelle du numérique. Les managers doivent impulser une culture du numérique en s’intéressant aux trois domaines cités précédemment. Il faut aussi des investissements à hauteur des enjeux pour disposer d’outils véritablement efficaces, par exemple un ordinateur portable et un smartphone pour chaque cadre de santé. En matière de communication institutionnelle, les cadres attendent d’ailleurs plus d'engagements de la part des directions fonctionnelles, qu'elles soient plus porteuses de l'innovation, notamment pour donner un coup d'accélérateur sur le sujet du numérique en santé. 

Qu’en est-il du dernier volet, celui de la formation et l’accompagnement ? 

On constate un manque d’offres de formation. Celles existantes aujourd’hui ont d’ailleurs des places limitées et n’abordent, bien souvent, que le Pack office et les logiciels métier historiques, de type gestion des plannings. Il n’y a par exemple pas de formation sur l’utilisation d’un outil collaboratif pour partager des informations entre collègues, d’une carte mentale pour organiser une réunion en mode collaboratif… Les professionnels sont par ailleurs demandeurs d’un accompagnement plus individualisé, qui va au-delà des seuls outils logiciels. Ils ont en effet besoin d'une réponse plus rapide à leurs problématiques quotidiennes, et préfèreraient échanger avec leurs pairs sur ces sujets. On pourrait donc très bien imaginer un système d’ « open badges » qui viendrait reconnaître les compétences informelles de certains collaborateurs. Si je maîtrise, par exemple, des logiciels collaboratifs, je vais être identifié comme ayant cette compétence au sein de l’établissement, de manière à être sollicité en ce sens par mes pairs. C'est une perspective assez intéressante qui, je pense, a toute sa place dans les établissements de santé. 

Vous parlez d’outils collaboratifs. Pourriez-vous nous donner des exemples utiles pour des cadres de santé ? 

Plusieurs outils existent déjà. On peut par exemple citer ici les solutions de partage de documents, de type Google Doc, qui sont très simples à utiliser. On trouve aussi des tableaux d'organisation collaboratifs, des messageries instantanées sécurisées… Et puis il y a aussi beaucoup d’outils qui peuvent être créés, ou être un peu détournés de leur usage premier. Mais il faut alors être attentif à de ne pas dégrader la sécurité informatique de l’établissement. C’est aussi pour cela qu’une prise en compte globale du numérique est nécessaire, pour pouvoir y intégrer toutes les composantes de l’hôpital et leurs contraintes propres et, à terme, améliorer le quotidien de tous les soignants, et non uniquement des cadres. Car il s’agit au final d’un cercle vertueux : en facilitant les tâches des cadres, ceux-ci seront plus facilement en proximité avec leurs équipes qui elles-mêmes verront leur environnement de travail s’améliorer.

Loïc Martin

Infirmier, ancien cadre de santé et cadre supérieur de santé, Loïc Martin a choisi de s’orienter vers la formation, encadrant de futurs cadres de santé pendant neuf ans, puis s’inscrivant dans un master de recherche en sciences de l’éducation. En octobre 2021, il soutient sa thèse intitulée « De l’appropriation de l’environnement informatique à l’environnement numérique de travail chez les cadres de santé de proximité : influence des environnements capacitants et des facteurs de conversion ». Il est aujourd’hui maître de conférence en sciences infirmières à l’Université de Rouen-Normandie. Il est également auteur et a publié cette année Engagement et leadership en santé : point de vue d’acteurs inspirants, un ouvrage qui donne la parole à 37 auteurs aux profils très variés : infirmiers, infirmiers en pratique avancée, infirmiers cliniciens, médecins, chirurgiens, cadres de santé, directeurs d’hôpital, philosophes… 

> Article paru dans Hospitalia #66, édition de septembre 2024, à lire ici 






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