Confinement, difficultés à faire le deuil, place de l’hôpital et de la santé dans la société… les questions soulevées par la crise sanitaire sont nombreuses et ce, dans le monde entier. En France, plusieurs instances, travaillant chacune à leur échelle, se sont mobilisées pour essayer de répondre à ces problématiques. Au niveau national, le Comité Consultatif National d’Éthique (CCNE) a rendu plusieurs avis, en réponse à des saisines ou des auto-saisines. « Tous les leviers ont été actionnés pour répondre à l’urgence », précise Karine Lefeuvre, présidente par intérim du CCNE.
Des questions liées au confinement
Composé de bénévoles, le Comité, qui rend normalement ses avis au bout de plusieurs semaines, a dû s’adapter pour répondre à différentes problématiques en quelques jours à peine. C’est le cas notamment pour le bulletin de veille éthique « sur le renforcement des mesures de protection dans les EHPAD et les USLD » publié le 30 mars, soit cinq jours après la saisine du ministre de la Santé et des Solidarités, Olivier Véran. « Au sein de ces établissements, l’incompréhension de la situation a amené certaines personnes, présentant en particulier des troubles cognitifs, à vivre le confinement d’une manière très violente,explique Régis Aubry, chef du pôle Autonomie Handicap du CHRU de Besançon et membre du CCNE. Même si le motif est compréhensible, il faut trouver un point d’équilibre pour ne pas priver totalement ces personnes de leur autodétermination ».
Le rapport à la mort au cœur de toutes les attentions
Autre sujet particulièrement prégnant lors de la période de confinement, le rapport à la mort a lui aussi soulevé plusieurs questionnements éthiques. « Quand on annonce chaque soir un nombre de morts, cela implique un changement de réflexion sur notre relativité face à la mort, celle des autres mais aussi la nôtre », poursuit Régis Aubry. Les contraintes liées au confinement, l’impossibilité d’accompagner la fin de vie d’un proche, de le voir avant la fermeture du cercueil ou plus simplement de participer à une cérémonie funéraire ont, là aussi, causé bien des troubles dans les esprits. « De nombreuses questions nous sont remontées par les espaces régionaux d’éthique autour de ces mesures qui sont de réels facteurs de risques pouvant engendrer des deuils compliqués », confie Karine Lefeuvre. « Le mal a été fait, ajoute Régis Aubry. Maintenant il faut en tirer les leçons et se demander si on aurait pu faire autrement ».
La crise aurait-elle pu être prévue ?
Réfléchir aux conséquences, tirer les leçons de cette crise, c’est aussi l’une des missions des comités d’éthique, qu’ils interviennent au niveau local, régional ou national. Si l’on manque parfois de recul, certaines questions commencent tout de même à émerger, avec en premier lieu, pour Régis Aubry, « la question de la prévisibilité de l’épidémie ». « Je ne pense pas que la pandémie, telle qu’elle s’est déroulée, était totalement prévisible, confie-t-il. En tant que médecin, je sais qu’un tel risque existe, mais la question est ensuite économique etpolitique, pour savoir si on engage des moyens en prévision d’un risque. Avec le recul, cela paraît facile, mais sur le coup, la réponse n’est pas aisée car les enveloppes mobilisées pour prévenir un risque sanitaire, n’iront pas à l’éducation ou à l’armée par exemple ». Un dilemme qui amène le médecin à s’interroger sur « la place de la santé dans notre société ». « Pour y répondre, il faudrait qu’un débat national soit mis en place, ajoute-t-il. Nous aurions pu le lancer plus tôt, au moment du H1N1 par exemple, mais aujourd’hui il me paraît urgent que tous se posent cette question et en discutent ensemble ».
Le débat inévitable
Ce débat de fond, Régis Aubry l’appelle aussi pour les secteurs de la santé et du médico-social car, pour lui, les manifestations qui agitent le milieu de la santé depuis plusieurs années sont aussi symptomatiques d’une crise de notre système de santé. « Tous se sont réunis autour d’une cause commune,celle du Covid-19, maiscette union n’est que temporaire. La crise existentielle de notre système de santé n’est en rien résolue,continue le médecin. Répondre aux questions de fond telles que l’accompagnement des patients, notamment les plus vulnérables, la place de la santé et des soignants dans la société... C’est refonder le socle d’un système de santé solide et respectueux. Si l’on n’en passe pas par ce chemin, j’ai peur que les initiatives qui se mettent actuellement en place ne débouchent que sur une refonte organisationnelle du système, ce qui ne résoudrait en rien le mal-être du personnel soignant ».
Le cas particulier du numérique
Répondant à de nombreux enjeux liés à la pandémie ou au confinement, le numérique s’est fait une place de choix dans nos vies durant ces dernières semaines. Malgré les avancées permises par cette technologie, son utilisation soulève de nombreuses interrogations d’ordre éthique. Mis en place en décembre 2019, sous l’égide du CCNE pour au moins 18 mois, le Comité National Pilote d’Éthique Numérique (CNPEN) s’est lui aussi mobilisé pour y répondre.« Ces dernières semaines, le numérique a littéralement envahi nos vies, confie Claude Kirchner, directeur du CNPEN. Outre ses implications directes, il a aussi permis la continuité des chaînes d’approvisionnement en nourriture, en eau ou en énergie alors que le pays était quasiment à l’arrêt ». Intervenant au-delà du champ de la médecine, le comité s’est donc intéressé à plusieurs questions soulevées par la crise : le traçage des cas contacts, la désinformation, la télémédecine… Sur ce dernier point, le directeur du CNPEN salue les avancées en matière de remboursement des téléconsultations. « En quelques jours, la France est passée de 10 000 à 1 million de téléconsultations par semaine », précise le chercheur. Ce bond en avant pourrait bien avoir un impact très important sur les pratiques médicales futures. « Certains ont des doutes mais pour moi, la télémédecine n’est pas une médecine dégradée, poursuit Claude Kirchner. Au contraire : correctement adaptée et utilisée, elle pourrait permettre de limiter les fractures territoriales, en mettant notamment en lien les experts avec des patients de tout le pays ». Pour aller encore plus loin, le directeur du CNPEN imagine l’appui d’accompagnants ou même l’utilisation d’objets connectés « afin de réaliser les mesures nécessaires à la consultation ».
Article publié sur le numéro de juin d'Hospitalia à consulter ici : https://www.hospitalia.fr/Hospitalia-49-Special-Covid-19-MERCI-_a2230.html