Pr Isaac Azancot
Commençons par poser le contexte : dès l’an 2000, le COSIDOPA1 de l’AP-HP vous missionne pour déployer un middleware applicatif2 dont l’objectif était de favoriser la coordination des soins via un Système d’Information véritablement communicant.
Pr Isaac Azancot : Le constat de base était simple : les Systèmes d’Information (SI) de santé jusque-là disponibles, structures monolithiques dont la rigidité n’était que peu adaptée à l’évolution des pratiques médicales, ne constituaient pas une réponse entièrement satisfaisante au vu de la complexité de l’environnement hospitalier. J’ajouterais d’ailleurs que plus de 10 ans plus tard, la situation n’a pas vraiment changé... De tels « Progiciels Intégrés » appréhendent en effet difficilement l’activité médicale et soignante dans sa globalité et rencontrent, de ce fait, d’importantes difficultés à s’intégrer pleinement aux pratiques professionnelles. D’où la nécessaire mise en œuvre d’un middleware médical reposant sur un ensemble d’outils d’agrégation eux-mêmes basés sur une technologie Web, ainsi que sur un cadre d’interopérabilité défini aussi bien au niveau national qu’européen. Avec pour objectif de connecter les différents composants d’un SI, afin que l’informatique de santé devienne un outil communicant, objet d’appropriation par les professionnels de santé et replaçant le patient au centre du dispositif. De tels outils permettent donc de structurer les données de santé et de faciliter la production, au sein du SI, de comptes-rendus établis en temps réel, tandis que la technologie Web permettra pour sa part de réinjecter ces informations au sein d’un portail commun à vocation interprofessionnelle, dont la finalité serait de recentrer le parcours du soins autour du patient et d’automatiser les échanges interprofessionnels en les dématérialisant.
Pourriez-vous développer ces deux points : production et communication des informations médicales ?
Pour commencer, les comptes-rendus d’hospitalisation doivent être, dans la majorité des cas, produits « au fil de l’eau », directement par les médecins en charge du patient. Pour cela, plutôt que d’utiliser le modèle « bureautique » traditionnellement privilégié – soit un compte-rendu dicté et ensuite retranscrit par une secrétaire médicale -, nous avons favorisé la mise en œuvre d’un modèle « structuré », c’est-à-dire automatiquement alimenté d’informations partagées au sein de l’établissement, et exploitables d’un point de vue tant informatique que statistique. Le compte-rendu d’hospitalisation se transforme alors en un dossier de synthèse dynamique, intégrant en temps réel les données définies comme pertinentes et évitant, de ce fait, des redondances potentiellement sources d’erreurs – sans oublier l’optimisation du temps médical et l’allègement de la charge de travail pour les secrétaires. Savez-vous qu’avec le modèle bureautique, le compte-rendu d’hospitalisation n’est disponible que plus d’une semaine après la sortie du patient ? Et que seuls 40% des courriers de fin d’hospitalisation sont transmis au médecin traitant dans les 8 jours, alors que les informations qu’ils recensent sont essentielles pour assurer le suivi des malades ? Une rupture dans le continuum des soins qui n’est pas exempte de risques… Tandis qu’avec un modèle structuré de manière pertinente - puisque le dossier patient informatisé (DPI) est alimenté au fur et à mesure de l’hospitalisation - la lettre et l’ordonnance de sortie sont remises au patient avant son départ de l’hôpital, ainsi qu’un ensemble de documents regroupés dans la « pochette de sortie ». Dès lors le médecin responsable peut effectuer le codage PMSI sur la base d’un compte-rendu optimisé et d’outils intégrés au DPI – là où habituellement entre 10 et 20% des recettes hospitalières sont perdues à cause d’un mauvais codage -, puis déclencher, lors de la « signature électronique », un publipostage électronique en direction du médecin traitant. La qualité et la sécurité des soins se voient alors considérablement renforcées, de même que la visibilité médico-économique de l’activité hospitalière.
Pr Isaac Azancot : Le constat de base était simple : les Systèmes d’Information (SI) de santé jusque-là disponibles, structures monolithiques dont la rigidité n’était que peu adaptée à l’évolution des pratiques médicales, ne constituaient pas une réponse entièrement satisfaisante au vu de la complexité de l’environnement hospitalier. J’ajouterais d’ailleurs que plus de 10 ans plus tard, la situation n’a pas vraiment changé... De tels « Progiciels Intégrés » appréhendent en effet difficilement l’activité médicale et soignante dans sa globalité et rencontrent, de ce fait, d’importantes difficultés à s’intégrer pleinement aux pratiques professionnelles. D’où la nécessaire mise en œuvre d’un middleware médical reposant sur un ensemble d’outils d’agrégation eux-mêmes basés sur une technologie Web, ainsi que sur un cadre d’interopérabilité défini aussi bien au niveau national qu’européen. Avec pour objectif de connecter les différents composants d’un SI, afin que l’informatique de santé devienne un outil communicant, objet d’appropriation par les professionnels de santé et replaçant le patient au centre du dispositif. De tels outils permettent donc de structurer les données de santé et de faciliter la production, au sein du SI, de comptes-rendus établis en temps réel, tandis que la technologie Web permettra pour sa part de réinjecter ces informations au sein d’un portail commun à vocation interprofessionnelle, dont la finalité serait de recentrer le parcours du soins autour du patient et d’automatiser les échanges interprofessionnels en les dématérialisant.
Plutôt que d’utiliser le modèle « bureautique » traditionnellement privilégié, nous avons favorisé la mise en œuvre d’un modèle « structuré » automatiquement alimenté d’informations partagées au sein de l’établissement
Pourriez-vous développer ces deux points : production et communication des informations médicales ?
Pour commencer, les comptes-rendus d’hospitalisation doivent être, dans la majorité des cas, produits « au fil de l’eau », directement par les médecins en charge du patient. Pour cela, plutôt que d’utiliser le modèle « bureautique » traditionnellement privilégié – soit un compte-rendu dicté et ensuite retranscrit par une secrétaire médicale -, nous avons favorisé la mise en œuvre d’un modèle « structuré », c’est-à-dire automatiquement alimenté d’informations partagées au sein de l’établissement, et exploitables d’un point de vue tant informatique que statistique. Le compte-rendu d’hospitalisation se transforme alors en un dossier de synthèse dynamique, intégrant en temps réel les données définies comme pertinentes et évitant, de ce fait, des redondances potentiellement sources d’erreurs – sans oublier l’optimisation du temps médical et l’allègement de la charge de travail pour les secrétaires. Savez-vous qu’avec le modèle bureautique, le compte-rendu d’hospitalisation n’est disponible que plus d’une semaine après la sortie du patient ? Et que seuls 40% des courriers de fin d’hospitalisation sont transmis au médecin traitant dans les 8 jours, alors que les informations qu’ils recensent sont essentielles pour assurer le suivi des malades ? Une rupture dans le continuum des soins qui n’est pas exempte de risques… Tandis qu’avec un modèle structuré de manière pertinente - puisque le dossier patient informatisé (DPI) est alimenté au fur et à mesure de l’hospitalisation - la lettre et l’ordonnance de sortie sont remises au patient avant son départ de l’hôpital, ainsi qu’un ensemble de documents regroupés dans la « pochette de sortie ». Dès lors le médecin responsable peut effectuer le codage PMSI sur la base d’un compte-rendu optimisé et d’outils intégrés au DPI – là où habituellement entre 10 et 20% des recettes hospitalières sont perdues à cause d’un mauvais codage -, puis déclencher, lors de la « signature électronique », un publipostage électronique en direction du médecin traitant. La qualité et la sécurité des soins se voient alors considérablement renforcées, de même que la visibilité médico-économique de l’activité hospitalière.
Qu’en est-il du recentrement du parcours de soins autour du patient ?
Ce dernier, désormais en possession de l’ensemble des documents relatifs à son parcours – compte-rendu d’hospitalisation, ordonnance de sortie, documents réglementaires et d’information, comptes-rendus d’explorations et d’imagerie effectués pendant son hospitalisation (images imprimées ou gravées sur CD-ROM), etc. -, se retrouve de ce fait au cœur des échanges interprofessionnels. Il est toutefois important que le médecin prenne le temps de lui expliquer, lors de sa sortie, l’importance des documents qui lui sont remis. Cette nouvelle dynamique favorise le suivi du malade puisque, quel que soit le professionnel de santé qu’il consulte par la suite, ce dernier peut immédiatement disposer de son historique sanitaire et thérapeutique. Par ailleurs, outre le dossier papier remis au patient à sa sortie d’hospitalisation, ces mêmes données sont, ainsi que je vous le disais, publipostées à son médecin traitant via une messagerie sécurisée. Elles peuvent enfin être automatiquement exportées vers le Dossier Médical Personnel (DMP) sous réserve, bien entendu, que le patient en ait donné l’autorisation. Les praticiens qui y sont référencés, s’ils n’ont pas accès à une messagerie sécurisée, sont alors notifiés par voie électronique ou, le cas échéant, par voie postale cryptée, même si la dématérialisation des échanges est toujours privilégiée, ne serait-ce pour les économies qu’elle permet de générer – économies qui participent à la pérennisation du SI. La finalité d’un tel projet global ? Initier une « dynamique vertueuse », où la structuration des données médicales améliore la production des soins et où la dématérialisation des échanges interprofessionnels favorise la coordination sanitaire.
S’agissant du partage de données médicales, vous avez mentionné le DMP. Faites-vous référence au projet aujourd’hui porté par l’ASIP Santé ?
Oui et non. Le DMP dans sa version actuelle n’est pas exactement adapté à l’organisation sanitaire telle que nous l’avons définie ci-dessus : il n’a en effet pas été adopté par les professionnels de santé et n’est, aujourd’hui, alimenté que par moins de 10% des hôpitaux, alors que ce sont eux qui produisent près de 70% de l’information médicale - que leur SI ne leur permet toutefois pas d’exporter vers le DMP ! D’où, d’ailleurs, l’intérêt de mettre en place des middlewares applicatifs tels que ceux déployés dans notre GHU, afin que le DMP puisse être automatiquement alimenté par les DPI des établissements de santé. D’autant que donner au DMP un contenu médical pertinent représente un prérequis incontournable, conditionnant son appropriation par les professionnels libéraux. Un changement de paradigme serait ici judicieux : plutôt que le modèle descendant jusque-là privilégié par les autorités publiques - soit déployer une véritable cathédrale technologique et improviser au fur et à mesure afin de soutenir sa prise en mains par les professionnels de santé -, il faudrait s’inscrire dans un modèle ascendant, à savoir mettre en place des outils permettant de promouvoir la production d’une information médicale structurée et dématérialisée au sein même des établissements de santé. Information qui s’inscrit dans le cadre d’interopérabilité défini par l’ASIP Santé, et qui sera de ce fait aisément et naturellement intégrable dans le DMP. Il faudrait en outre, plutôt qu’un Dossier Médical Personnel, déployer un Dossier Médical Partagé effectivement utilisable par les professionnels de santé, et dont la mise en œuvre, recentrée autour de la Délégation à la Stratégie des Systèmes d’Information de Santé (DSISS), pourrait s’inscrire dans une gouvernance stratégique efficiente et globale. Un axiome dont les autorités publiques semblent prendre conscience, puisque la ministre a annoncé la mise en chantier d’un DMP de « seconde génération », qui serait effectivement un dossier professionnel consultable par le patient.
Revenons-en aux perspectives, en matière de partage de l’information, de ce fameux middleware médical sécurisé et interopérable : comment intégrer ces technologies au sein des nouvelles architectures envisageables pour le DMP de « seconde génération » ?
Cette extension de l’architecture de middleware d’établissement au partage des données médicales s’inscrit dans la droite lignée du projet PFI (PlateForme d’Interopérabilité), initié par l’ARS Île-de-France en 2008 et désormais sous brevet de l’AP-HP. Il s’agit, concrètement, de déployer une plateforme de pointeurs vers des données médicales sécurisées, hébergées par les structures et organismes agréés - le DMP actuel n’étant alors, dans cette vision, qu’un hébergeur parmi d’autres. Par ailleurs, au delà d’une PFI consolidant les informations provenant de certains établissements de santé, rien n’empêche d’imaginer la mise en œuvre d’une PFI régionale, à laquelle pourraient être reliées les PFI d’établissements, mais aussi le projet Région Sans Film, les Dossiers Communicants en Cancérologie, etc. Cette vision fonctionnelle d’une architecture répartie pourrait être l’une des pistes architecturales pour le DMP de seconde génération. Inscrite dans un cadre d’interopérabilité international, une telle centralisation de l’information médicale, regroupant non pas des données mais des pointeurs beaucoup plus légers, favoriserait sans nulle doute la mise en œuvre d’une e-santé urbanisée, au grand bénéfice de l’ensemble de nos concitoyens.
(1) Comité de cOordination du Système d’Information du Domaine PAtient
(2) Également dit « logiciel d’intermédiation » (NDLR)
Ce dernier, désormais en possession de l’ensemble des documents relatifs à son parcours – compte-rendu d’hospitalisation, ordonnance de sortie, documents réglementaires et d’information, comptes-rendus d’explorations et d’imagerie effectués pendant son hospitalisation (images imprimées ou gravées sur CD-ROM), etc. -, se retrouve de ce fait au cœur des échanges interprofessionnels. Il est toutefois important que le médecin prenne le temps de lui expliquer, lors de sa sortie, l’importance des documents qui lui sont remis. Cette nouvelle dynamique favorise le suivi du malade puisque, quel que soit le professionnel de santé qu’il consulte par la suite, ce dernier peut immédiatement disposer de son historique sanitaire et thérapeutique. Par ailleurs, outre le dossier papier remis au patient à sa sortie d’hospitalisation, ces mêmes données sont, ainsi que je vous le disais, publipostées à son médecin traitant via une messagerie sécurisée. Elles peuvent enfin être automatiquement exportées vers le Dossier Médical Personnel (DMP) sous réserve, bien entendu, que le patient en ait donné l’autorisation. Les praticiens qui y sont référencés, s’ils n’ont pas accès à une messagerie sécurisée, sont alors notifiés par voie électronique ou, le cas échéant, par voie postale cryptée, même si la dématérialisation des échanges est toujours privilégiée, ne serait-ce pour les économies qu’elle permet de générer – économies qui participent à la pérennisation du SI. La finalité d’un tel projet global ? Initier une « dynamique vertueuse », où la structuration des données médicales améliore la production des soins et où la dématérialisation des échanges interprofessionnels favorise la coordination sanitaire.
S’agissant du partage de données médicales, vous avez mentionné le DMP. Faites-vous référence au projet aujourd’hui porté par l’ASIP Santé ?
Oui et non. Le DMP dans sa version actuelle n’est pas exactement adapté à l’organisation sanitaire telle que nous l’avons définie ci-dessus : il n’a en effet pas été adopté par les professionnels de santé et n’est, aujourd’hui, alimenté que par moins de 10% des hôpitaux, alors que ce sont eux qui produisent près de 70% de l’information médicale - que leur SI ne leur permet toutefois pas d’exporter vers le DMP ! D’où, d’ailleurs, l’intérêt de mettre en place des middlewares applicatifs tels que ceux déployés dans notre GHU, afin que le DMP puisse être automatiquement alimenté par les DPI des établissements de santé. D’autant que donner au DMP un contenu médical pertinent représente un prérequis incontournable, conditionnant son appropriation par les professionnels libéraux. Un changement de paradigme serait ici judicieux : plutôt que le modèle descendant jusque-là privilégié par les autorités publiques - soit déployer une véritable cathédrale technologique et improviser au fur et à mesure afin de soutenir sa prise en mains par les professionnels de santé -, il faudrait s’inscrire dans un modèle ascendant, à savoir mettre en place des outils permettant de promouvoir la production d’une information médicale structurée et dématérialisée au sein même des établissements de santé. Information qui s’inscrit dans le cadre d’interopérabilité défini par l’ASIP Santé, et qui sera de ce fait aisément et naturellement intégrable dans le DMP. Il faudrait en outre, plutôt qu’un Dossier Médical Personnel, déployer un Dossier Médical Partagé effectivement utilisable par les professionnels de santé, et dont la mise en œuvre, recentrée autour de la Délégation à la Stratégie des Systèmes d’Information de Santé (DSISS), pourrait s’inscrire dans une gouvernance stratégique efficiente et globale. Un axiome dont les autorités publiques semblent prendre conscience, puisque la ministre a annoncé la mise en chantier d’un DMP de « seconde génération », qui serait effectivement un dossier professionnel consultable par le patient.
Initier une « dynamique vertueuse », où la structuration des données médicales améliore la production des soins et où la dématérialisation des échanges interprofessionnels favorise la coordination sanitaire
Revenons-en aux perspectives, en matière de partage de l’information, de ce fameux middleware médical sécurisé et interopérable : comment intégrer ces technologies au sein des nouvelles architectures envisageables pour le DMP de « seconde génération » ?
Cette extension de l’architecture de middleware d’établissement au partage des données médicales s’inscrit dans la droite lignée du projet PFI (PlateForme d’Interopérabilité), initié par l’ARS Île-de-France en 2008 et désormais sous brevet de l’AP-HP. Il s’agit, concrètement, de déployer une plateforme de pointeurs vers des données médicales sécurisées, hébergées par les structures et organismes agréés - le DMP actuel n’étant alors, dans cette vision, qu’un hébergeur parmi d’autres. Par ailleurs, au delà d’une PFI consolidant les informations provenant de certains établissements de santé, rien n’empêche d’imaginer la mise en œuvre d’une PFI régionale, à laquelle pourraient être reliées les PFI d’établissements, mais aussi le projet Région Sans Film, les Dossiers Communicants en Cancérologie, etc. Cette vision fonctionnelle d’une architecture répartie pourrait être l’une des pistes architecturales pour le DMP de seconde génération. Inscrite dans un cadre d’interopérabilité international, une telle centralisation de l’information médicale, regroupant non pas des données mais des pointeurs beaucoup plus légers, favoriserait sans nulle doute la mise en œuvre d’une e-santé urbanisée, au grand bénéfice de l’ensemble de nos concitoyens.
(1) Comité de cOordination du Système d’Information du Domaine PAtient
(2) Également dit « logiciel d’intermédiation » (NDLR)