Les politiques publiques en matière de santé numérique ont-elles modifié votre métier ?
Aude Valéry : Cela ne fait pas de doute. Je suis arrivée au CHU de Clermont-Ferrand il y a trois ans, soit bien après la loi de santé de 2016 qui avait déjà grandement modifié la place du DSI, devenu une fonction mutualisée avec la création des Groupements hospitaliers de territoire (GHT). Au cours des années suivantes, et alors que ce changement s’opérait progressivement dans les établissements de santé, le programme HOP’EN, et plus récemment le Ségur numérique, ont également eu un impact fort sur notre métier, accélérant par exemple le déploiement de Dossiers Patients Informatisés (DPI), limitant l’hétérogénéité des outils métiers et suscitant, plus largement, de nouvelles réflexions autour du parcours patient et de la donnée de santé. Ce sont autant de chantiers qui ont profondément modifié le métier de DSI, tout en l’inscrivant dans une forte stratégie de convergence à l’échelle du territoire. Les défis étaient nombreux mais, grâce au soutien financier de la puissance publique et l’appui des Agences régionales de santé (ARS), de nouvelles dynamiques se mettent en place. Nombre de GHT et de DSI travaillent ainsi aujourd’hui à la création d’un socle technique commun, une démarche ayant certes un coût important mais qui devrait, à terme, être source d’économies et d’efficience.
Valérie Durand-Roche : La transformation du métier de DSI porte à mon sens plus particulièrement sur quatre points, qui ont donné à sa fonction une dimension de plus en plus stratégique. Aujourd’hui, le DSI est devenu le garant de la sécurité des soins, au même titre qu'un professionnel du soin de proximité, car il est porteur de la cybersécurité des outils métiers. Il est aussi devenu un important investisseur hospitalier, dans le sens où il est amené à négocier des montants colossaux – et cela devrait encore s'amplifier. Troisième point : ses missions managériales se sont démultipliées, à la fois en ce qui concerne les ressources internes qu’externes. Cette transformation impose l’acquisition de compétences additionnelles. Enfin, et c’est la conséquence des dynamiques que nous venons d’évoquer : le DSI se positionne désormais comme un élément central de la restructuration de l’offre de soins, car il a finalement une vision transversale des moyens disponibles pour faire évoluer le système d'information, des nouveaux outils qui permettront de relever les enjeux émergents, et de tout ce qui a trait à la gestion des différentes bases de données hospitalières.
Quel serait son rôle dans la construction de l’hôpital de demain ?
Valérie Durand-Roche : Il y aura toute sa place, en particulier au sein de l'équipe chargée de la stratégie et des arbitrages, en matière d’investissements comme de développement de l'offre de soins – et ce, à place égale avec un directeur des affaires financières ou un directeur des ressources humaines. Cette tendance est déjà perceptible : la structure d’un établissement de santé est telle, qu’un DSI ne peut plus opérer de manière indépendante ; il fait dès aujourd’hui partie intégrante de la conduite de l’établissement.
Aude Valéry : La digitalisation concerne tellement de volets que le DSI ne peut en effet plus conduire de stratégie parallèle, avec son propre calendrier et ses propres enjeux. Et c'est là que réside aujourd’hui toute la complexité de notre métier : il nous faut conduire une multitude de projets inscrits dans une vision institutionnelle, tout en assurant des missions beaucoup plus techniques, comme toutes celles ayant trait au socle technique et sécuritaire de l’écosystème informatique. Et le positionnement du DSI évoluera encore demain, pour intégrer les nouveaux enjeux en termes de valorisation des données ou d'intelligence artificielle. La ligne de partage entre direction des systèmes d’information, direction de l’innovation et de la recherche clinique, et direction biomédicale a d’ailleurs parfois tendance à se flouter. Et cette superposition devrait s’accroître.
Pourriez-vous évoquer, dans les grandes lignes, la stratégie numérique du CHU de Clermont-Ferrand ?
Valérie Durand-Roche : Nous avons ici plusieurs projets, l’un des plus importants étant le déploiement d’un système d'information extrêmement homogène à l’échelle du GHT. Le partage d'un outil unique, sélectionné de manière concertée, est au cœur d’une démarche qui vise à structurer les filières de soins. Au niveau régional, nous sommes également impliqués dans un projet d'entrepôt de données de santé, en lien avec les trois autres CHU de la Région Auvergne-Rhône-Alpes [Les Hospices Civils de Lyon, le CHU de Saint-Étienne et le CHU Grenoble-Alpes, NDLR]. Et puis, dans une échelle intermédiaire, nous portons une ambition extra-hospitalière, qui devrait permettre à notre système d'information de s’ouvrir vers la médecine de ville et les patients, via des modules de télémédecine et de télésurveillance, mais aussi l’intégration des programmes de numérisation des parcours patients… Dans ce projet comme dans le reste de notre stratégie numérique, les choix que nous effectuons visent quatre objectifs principaux : être autonomes, venir en appui aux acteurs territoriaux, renforcer la robustesse de nos outils pour développer des activités de recherche, et consolider notre rôle d’établissement de recours.
Identifiez-vous des leviers ou des freins particuliers pour accompagner la transition numérique de notre système de santé ?
Aude Valéry : Nous sommes actuellement dans l’attente d’un nouveau programme qui permettra d’aller plus loin encore sur les plans de la convergence et de la sécurité informatiques, notamment sur le volet financier. Sur le plan humain, nous avons de plus en plus besoin de ressources spécialisées. L’on croit, à tort, que les métiers de l'informatique sont interchangeables ; cela n’est pas le cas, et l’est encore moins aujourd’hui. Ce sont des métiers très techniques, en particulier en ce qui concerne les infrastructures numériques. Le recrutement, l'attractivité et la fidélisation de nos équipes sont donc des enjeux auxquels nous sommes déjà confrontés. Les DSI exerçant en environnement hospitalier doiventtrouver des compétences spécifiques, dans un contexte de rareté globale des ressources, pour lesquelles de nombreux secteurs d’activité sont d’ailleurs en concurrence. Cela dit, l’enjeu générationnel fait aussi de ce management des ressources, l’un des leviers de la transformation numérique.
Justement, quelles attentes observez-vous chez les générations plus jeunes ?
Aude Valéry : Il y a des exigences plus fortes autour de la structuration des projets, de la connaissance des chantiers qu’ils vont avoir à conduire, ainsi que d’un fonctionnement managérial par objectifs. Ce cadre connu, et somme toute relativement fixe, doit néanmoins permettre une certaine autonomie. Or l’hôpital n’est pas forcément rodé pour ce type de modalité. Mais nous devons nous adapter à ces demandes, pour notamment offrir plus de visibilité sur les attendus. C’est d’ailleurs là un mot clé : les plus jeunes sont nombreux à rechercher une reconnaissance institutionnelle, à ne plus vouloir être « invisibilisés ». Il nous faut apprendre à mieux communiquer sur nos métiers, nos missions et nos actions, afin de justement pouvoir attirer les nouvelles générations.
> Article paru dans Hospitalia #63, édition de décembre 2023, à lire ici
Aude Valéry : Cela ne fait pas de doute. Je suis arrivée au CHU de Clermont-Ferrand il y a trois ans, soit bien après la loi de santé de 2016 qui avait déjà grandement modifié la place du DSI, devenu une fonction mutualisée avec la création des Groupements hospitaliers de territoire (GHT). Au cours des années suivantes, et alors que ce changement s’opérait progressivement dans les établissements de santé, le programme HOP’EN, et plus récemment le Ségur numérique, ont également eu un impact fort sur notre métier, accélérant par exemple le déploiement de Dossiers Patients Informatisés (DPI), limitant l’hétérogénéité des outils métiers et suscitant, plus largement, de nouvelles réflexions autour du parcours patient et de la donnée de santé. Ce sont autant de chantiers qui ont profondément modifié le métier de DSI, tout en l’inscrivant dans une forte stratégie de convergence à l’échelle du territoire. Les défis étaient nombreux mais, grâce au soutien financier de la puissance publique et l’appui des Agences régionales de santé (ARS), de nouvelles dynamiques se mettent en place. Nombre de GHT et de DSI travaillent ainsi aujourd’hui à la création d’un socle technique commun, une démarche ayant certes un coût important mais qui devrait, à terme, être source d’économies et d’efficience.
Valérie Durand-Roche : La transformation du métier de DSI porte à mon sens plus particulièrement sur quatre points, qui ont donné à sa fonction une dimension de plus en plus stratégique. Aujourd’hui, le DSI est devenu le garant de la sécurité des soins, au même titre qu'un professionnel du soin de proximité, car il est porteur de la cybersécurité des outils métiers. Il est aussi devenu un important investisseur hospitalier, dans le sens où il est amené à négocier des montants colossaux – et cela devrait encore s'amplifier. Troisième point : ses missions managériales se sont démultipliées, à la fois en ce qui concerne les ressources internes qu’externes. Cette transformation impose l’acquisition de compétences additionnelles. Enfin, et c’est la conséquence des dynamiques que nous venons d’évoquer : le DSI se positionne désormais comme un élément central de la restructuration de l’offre de soins, car il a finalement une vision transversale des moyens disponibles pour faire évoluer le système d'information, des nouveaux outils qui permettront de relever les enjeux émergents, et de tout ce qui a trait à la gestion des différentes bases de données hospitalières.
Quel serait son rôle dans la construction de l’hôpital de demain ?
Valérie Durand-Roche : Il y aura toute sa place, en particulier au sein de l'équipe chargée de la stratégie et des arbitrages, en matière d’investissements comme de développement de l'offre de soins – et ce, à place égale avec un directeur des affaires financières ou un directeur des ressources humaines. Cette tendance est déjà perceptible : la structure d’un établissement de santé est telle, qu’un DSI ne peut plus opérer de manière indépendante ; il fait dès aujourd’hui partie intégrante de la conduite de l’établissement.
Aude Valéry : La digitalisation concerne tellement de volets que le DSI ne peut en effet plus conduire de stratégie parallèle, avec son propre calendrier et ses propres enjeux. Et c'est là que réside aujourd’hui toute la complexité de notre métier : il nous faut conduire une multitude de projets inscrits dans une vision institutionnelle, tout en assurant des missions beaucoup plus techniques, comme toutes celles ayant trait au socle technique et sécuritaire de l’écosystème informatique. Et le positionnement du DSI évoluera encore demain, pour intégrer les nouveaux enjeux en termes de valorisation des données ou d'intelligence artificielle. La ligne de partage entre direction des systèmes d’information, direction de l’innovation et de la recherche clinique, et direction biomédicale a d’ailleurs parfois tendance à se flouter. Et cette superposition devrait s’accroître.
Pourriez-vous évoquer, dans les grandes lignes, la stratégie numérique du CHU de Clermont-Ferrand ?
Valérie Durand-Roche : Nous avons ici plusieurs projets, l’un des plus importants étant le déploiement d’un système d'information extrêmement homogène à l’échelle du GHT. Le partage d'un outil unique, sélectionné de manière concertée, est au cœur d’une démarche qui vise à structurer les filières de soins. Au niveau régional, nous sommes également impliqués dans un projet d'entrepôt de données de santé, en lien avec les trois autres CHU de la Région Auvergne-Rhône-Alpes [Les Hospices Civils de Lyon, le CHU de Saint-Étienne et le CHU Grenoble-Alpes, NDLR]. Et puis, dans une échelle intermédiaire, nous portons une ambition extra-hospitalière, qui devrait permettre à notre système d'information de s’ouvrir vers la médecine de ville et les patients, via des modules de télémédecine et de télésurveillance, mais aussi l’intégration des programmes de numérisation des parcours patients… Dans ce projet comme dans le reste de notre stratégie numérique, les choix que nous effectuons visent quatre objectifs principaux : être autonomes, venir en appui aux acteurs territoriaux, renforcer la robustesse de nos outils pour développer des activités de recherche, et consolider notre rôle d’établissement de recours.
Identifiez-vous des leviers ou des freins particuliers pour accompagner la transition numérique de notre système de santé ?
Aude Valéry : Nous sommes actuellement dans l’attente d’un nouveau programme qui permettra d’aller plus loin encore sur les plans de la convergence et de la sécurité informatiques, notamment sur le volet financier. Sur le plan humain, nous avons de plus en plus besoin de ressources spécialisées. L’on croit, à tort, que les métiers de l'informatique sont interchangeables ; cela n’est pas le cas, et l’est encore moins aujourd’hui. Ce sont des métiers très techniques, en particulier en ce qui concerne les infrastructures numériques. Le recrutement, l'attractivité et la fidélisation de nos équipes sont donc des enjeux auxquels nous sommes déjà confrontés. Les DSI exerçant en environnement hospitalier doiventtrouver des compétences spécifiques, dans un contexte de rareté globale des ressources, pour lesquelles de nombreux secteurs d’activité sont d’ailleurs en concurrence. Cela dit, l’enjeu générationnel fait aussi de ce management des ressources, l’un des leviers de la transformation numérique.
Justement, quelles attentes observez-vous chez les générations plus jeunes ?
Aude Valéry : Il y a des exigences plus fortes autour de la structuration des projets, de la connaissance des chantiers qu’ils vont avoir à conduire, ainsi que d’un fonctionnement managérial par objectifs. Ce cadre connu, et somme toute relativement fixe, doit néanmoins permettre une certaine autonomie. Or l’hôpital n’est pas forcément rodé pour ce type de modalité. Mais nous devons nous adapter à ces demandes, pour notamment offrir plus de visibilité sur les attendus. C’est d’ailleurs là un mot clé : les plus jeunes sont nombreux à rechercher une reconnaissance institutionnelle, à ne plus vouloir être « invisibilisés ». Il nous faut apprendre à mieux communiquer sur nos métiers, nos missions et nos actions, afin de justement pouvoir attirer les nouvelles générations.
> Article paru dans Hospitalia #63, édition de décembre 2023, à lire ici