Stéfan Darmoni, Professeur d’informatique médicale à l’Université de Rouen Normandie et directeur adjoint du Laboratoire d’Informatique Médicale et d’Ingénierie des Connaissances en e-Santé. ©DR
Vous avez un parcours pour le moins atypique. Pourriez-vous nous en parler ?
Pr Stéfan Darmoni : À l’origine médecin généraliste, comme mon père avant moi, j’ai rapidement voulu me consacrer à la recherche et plus particulièrement à la recherche informatique. J’ai donc poursuivi mes études en ce sens pour être finalement titulaire de deux doctorats, l’un en médecine et l’autre en sciences. Je suis depuis 20 ans Professeur des Universités - Praticien Hospitalier (PU-PH) au sein de l’Université et du CHU de Rouen Normandie, où j’occupe le poste de Professeur d’informatique médicale – quoique je préfère utiliser le terme de santé numérique, même si celui-ci n’est pas reconnu par le Conseil national des universités. En France, nous sommes actuellement une cinquantaine d’enseignants-chercheurs dans ce domaine, qui fait chez nous partie de la santé publique, une discipline médicale, ce qui implique donc un rattachement à la Faculté de médecine. Les pays anglo-saxons ont par exemple adopté une approche différente, puisque la santé publique y est enseignée dans des facultés indépendantes.
Vous faites partie du Département d’Informatique et d’Information Médicales (D2IM), créé au CHU Rouen Normandie en 2016. Quelles sont ses missions ?
La constitution du D2IM s’est faite en plusieurs étapes avec, dès 2013, la fusion des équipes du Catalogue des Index et Sites Médicaux de langue Française (CISMeF) et du Service d’Informatique Biomédicale (SIBM) du CHU. Notre département est l’héritier de ce rapprochement et poursuit les missions de ses prédécesseurs, en développant notamment des outils d’accès à la connaissance. La littérature grise, soit les recommandations de bonne pratique, les documents pédagogiques…, est recensée sur le CISMeF depuis plus de 26 ans. Le catalogue est, aujourd’hui encore, utilisé au quotidien par 20 000 personnes et regroupe 120 000 documents qui sont détectés, analysés et pour une grande partie indexés manuellement. Ces tâches sont particulièrement intéressantes puisqu’elles combinent les savoirs des médecins-informaticiens et des documentalistes, qui font ce travail de collection, de sélection et d’indexation des documents.
Vous avez vous-même participé à la création du CISMeF dans les années 1990. Dans quel contexte s’inscrivait la naissance de ce catalogue ?
En 1994, le CHU de Rouen avait été le premier hôpital français à avoir une connexion internet sur l’ensemble de l’établissement, ce qui avait alors soulevé plusieurs inquiétudes. Certains pensaient même que c’était dangereux. J’avais d’ailleurs dû intervenir à la Conférence des directeurs généraux de CHU pour expliquer le principe d’internet… Toujours est-il qu’à la suite de cette installation, nous avons souhaité recenser les travaux existants en matière de santé et de recherche. Nous avions d’abord envisagé la création de liens entre les différents items, mais les capacités des logiciels étant alors limitées à 200 interactions, nous nous sommes dirigés vers un site web. Le CISMeF a donc vu le jour en février 1995.
Quels sont les autres travaux aujourd’hui menés par le D2IM ?
En 2014, suivant la même logique, nous avons lancé LiSSa (Littérature Scientifique en Santé), une base de données permettant d’accéder à des articles scientifiques en santé, rédigés en langue française. C’est, en résumé, l’équivalent de PubMed pour la littérature francophone. Le troisième principal projet porté par le D2IM est le développement de l’outil HeTOP.eu (Health Terminology Ontology Portal), un serveur terminologique interlangue, où l’on peut donc naviguer entre les terminologies et les langues. En parallèle, nous avons également mis en place, à Rouen, un entrepôt de données de santé ainsi que les outils pour aller y chercher les informations. Chaque question demande encore beaucoup de temps pour être traitée, mais l’initiative a rencontré un réel succès : en trois années d’existence, nous avons largement dépassé les 200 cas d’usage, ce qui représente deux à trois requêtes par semaine.
Vous occupez également le poste de directeur adjoint du Laboratoire d'Informatique Médicale et d'Ingénierie des Connaissances en e-Santé (Limics), de l’INSERM et de l’Université de la Sorbonne. Quels travaux y effectuez-vous ?
À Paris comme à Rouen, mes équipes travaillent beaucoup sur la recherche en sémantique, web-sémantique et ingénierie des connaissances. Notre objectif est de développer des outils d’accès à la connaissance dans différentes thématiques – littérature scientifique, terminologie… – pour venir en appui aux autres chercheurs. En mars 2021 par exemple, suite à la diffusion de la liste des pathologies à vacciner en priorité contre le SARS-CoV-2, nous avons recherché les personnes cibles passées auparavant par le CHU Rouen Normandie. Nous avons ainsi pu détecter 4 000 patients qui ont ensuite été contactés pour être vaccinés. Bien qu’ils soient d’abord dévolus à la recherche, nos outils sont donc déclinables et utilisables pour un usage très concret. Je n’en doute pas, ce type d’utilisation sera à l’avenir reconduit pour d’autres actions.
Quels sont, pour vous, les apports du numérique pour le monde de la santé ?
La crise sanitaire nous l’a montré : la numérisation permet de limiter les déplacements, mais aussi d’être plus efficace. Nous aurons toujours besoin de nous rencontrer pour traiter de sujets stratégiques mais, pour autant, le nombre de déplacements pourrait être largement diminué. Dans le cadre plus spécifique des soins, il est toutefois difficile de démontrer que la numérisation en améliore effectivement la qualité. Nous avons, par exemple, reçu un financement au titre du Programme de recherche sur la performance du système des soins (PREPS), pour étudier l’efficacité du dossier pharmaceutique (DP) dans un contexte de soins. Après trois années et un peu plus de 300 000 euros, nous avons démontré que l’absence d’un DP générait certes une perte de chance, mais nous avons aussi conclu, indirectement, que sa disponibilité n’engendrait pas d’amélioration de la qualité des soins en tant que telle. Prouver de façon objective que le numérique a un impact positif sur la qualité des soins coûte donc très cher et prend du temps.
Le mot de la fin ?
Force est de constater que la santé numérique est de moins en moins universitaire et de plus en plus liée aux start-ups. Son avenir en France, comme dans les autres pays, va donc pour moi passer par ces structures, d’ailleurs très bien représentées dans les salons et rencontres professionnelles, comme HIT à Paris. Bien sûr, certaines vont rapidement s’éteindre, mais cette ambiance, ce dynamisme, sont bénéfiques pour le secteur de la santé puisqu’ils sont aussi le reflet d’une réalité nouvelle : les entrepreneurs et les innovateurs s’intéressent au secteur et semblent vouloir s’y impliquer de plus en plus.
Article publié dans l'édition de décembre 2021 d'Hospitalia à lire ici.
Pr Stéfan Darmoni : À l’origine médecin généraliste, comme mon père avant moi, j’ai rapidement voulu me consacrer à la recherche et plus particulièrement à la recherche informatique. J’ai donc poursuivi mes études en ce sens pour être finalement titulaire de deux doctorats, l’un en médecine et l’autre en sciences. Je suis depuis 20 ans Professeur des Universités - Praticien Hospitalier (PU-PH) au sein de l’Université et du CHU de Rouen Normandie, où j’occupe le poste de Professeur d’informatique médicale – quoique je préfère utiliser le terme de santé numérique, même si celui-ci n’est pas reconnu par le Conseil national des universités. En France, nous sommes actuellement une cinquantaine d’enseignants-chercheurs dans ce domaine, qui fait chez nous partie de la santé publique, une discipline médicale, ce qui implique donc un rattachement à la Faculté de médecine. Les pays anglo-saxons ont par exemple adopté une approche différente, puisque la santé publique y est enseignée dans des facultés indépendantes.
Vous faites partie du Département d’Informatique et d’Information Médicales (D2IM), créé au CHU Rouen Normandie en 2016. Quelles sont ses missions ?
La constitution du D2IM s’est faite en plusieurs étapes avec, dès 2013, la fusion des équipes du Catalogue des Index et Sites Médicaux de langue Française (CISMeF) et du Service d’Informatique Biomédicale (SIBM) du CHU. Notre département est l’héritier de ce rapprochement et poursuit les missions de ses prédécesseurs, en développant notamment des outils d’accès à la connaissance. La littérature grise, soit les recommandations de bonne pratique, les documents pédagogiques…, est recensée sur le CISMeF depuis plus de 26 ans. Le catalogue est, aujourd’hui encore, utilisé au quotidien par 20 000 personnes et regroupe 120 000 documents qui sont détectés, analysés et pour une grande partie indexés manuellement. Ces tâches sont particulièrement intéressantes puisqu’elles combinent les savoirs des médecins-informaticiens et des documentalistes, qui font ce travail de collection, de sélection et d’indexation des documents.
Vous avez vous-même participé à la création du CISMeF dans les années 1990. Dans quel contexte s’inscrivait la naissance de ce catalogue ?
En 1994, le CHU de Rouen avait été le premier hôpital français à avoir une connexion internet sur l’ensemble de l’établissement, ce qui avait alors soulevé plusieurs inquiétudes. Certains pensaient même que c’était dangereux. J’avais d’ailleurs dû intervenir à la Conférence des directeurs généraux de CHU pour expliquer le principe d’internet… Toujours est-il qu’à la suite de cette installation, nous avons souhaité recenser les travaux existants en matière de santé et de recherche. Nous avions d’abord envisagé la création de liens entre les différents items, mais les capacités des logiciels étant alors limitées à 200 interactions, nous nous sommes dirigés vers un site web. Le CISMeF a donc vu le jour en février 1995.
Quels sont les autres travaux aujourd’hui menés par le D2IM ?
En 2014, suivant la même logique, nous avons lancé LiSSa (Littérature Scientifique en Santé), une base de données permettant d’accéder à des articles scientifiques en santé, rédigés en langue française. C’est, en résumé, l’équivalent de PubMed pour la littérature francophone. Le troisième principal projet porté par le D2IM est le développement de l’outil HeTOP.eu (Health Terminology Ontology Portal), un serveur terminologique interlangue, où l’on peut donc naviguer entre les terminologies et les langues. En parallèle, nous avons également mis en place, à Rouen, un entrepôt de données de santé ainsi que les outils pour aller y chercher les informations. Chaque question demande encore beaucoup de temps pour être traitée, mais l’initiative a rencontré un réel succès : en trois années d’existence, nous avons largement dépassé les 200 cas d’usage, ce qui représente deux à trois requêtes par semaine.
Vous occupez également le poste de directeur adjoint du Laboratoire d'Informatique Médicale et d'Ingénierie des Connaissances en e-Santé (Limics), de l’INSERM et de l’Université de la Sorbonne. Quels travaux y effectuez-vous ?
À Paris comme à Rouen, mes équipes travaillent beaucoup sur la recherche en sémantique, web-sémantique et ingénierie des connaissances. Notre objectif est de développer des outils d’accès à la connaissance dans différentes thématiques – littérature scientifique, terminologie… – pour venir en appui aux autres chercheurs. En mars 2021 par exemple, suite à la diffusion de la liste des pathologies à vacciner en priorité contre le SARS-CoV-2, nous avons recherché les personnes cibles passées auparavant par le CHU Rouen Normandie. Nous avons ainsi pu détecter 4 000 patients qui ont ensuite été contactés pour être vaccinés. Bien qu’ils soient d’abord dévolus à la recherche, nos outils sont donc déclinables et utilisables pour un usage très concret. Je n’en doute pas, ce type d’utilisation sera à l’avenir reconduit pour d’autres actions.
Quels sont, pour vous, les apports du numérique pour le monde de la santé ?
La crise sanitaire nous l’a montré : la numérisation permet de limiter les déplacements, mais aussi d’être plus efficace. Nous aurons toujours besoin de nous rencontrer pour traiter de sujets stratégiques mais, pour autant, le nombre de déplacements pourrait être largement diminué. Dans le cadre plus spécifique des soins, il est toutefois difficile de démontrer que la numérisation en améliore effectivement la qualité. Nous avons, par exemple, reçu un financement au titre du Programme de recherche sur la performance du système des soins (PREPS), pour étudier l’efficacité du dossier pharmaceutique (DP) dans un contexte de soins. Après trois années et un peu plus de 300 000 euros, nous avons démontré que l’absence d’un DP générait certes une perte de chance, mais nous avons aussi conclu, indirectement, que sa disponibilité n’engendrait pas d’amélioration de la qualité des soins en tant que telle. Prouver de façon objective que le numérique a un impact positif sur la qualité des soins coûte donc très cher et prend du temps.
Le mot de la fin ?
Force est de constater que la santé numérique est de moins en moins universitaire et de plus en plus liée aux start-ups. Son avenir en France, comme dans les autres pays, va donc pour moi passer par ces structures, d’ailleurs très bien représentées dans les salons et rencontres professionnelles, comme HIT à Paris. Bien sûr, certaines vont rapidement s’éteindre, mais cette ambiance, ce dynamisme, sont bénéfiques pour le secteur de la santé puisqu’ils sont aussi le reflet d’une réalité nouvelle : les entrepreneurs et les innovateurs s’intéressent au secteur et semblent vouloir s’y impliquer de plus en plus.
Article publié dans l'édition de décembre 2021 d'Hospitalia à lire ici.