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Urgence climatique et santé : « Le système actuel n’est plus soutenable »


Rédigé par Joëlle Hayek le Mercredi 4 Décembre 2024 à 16:52 | Lu 639 fois


Le 29 juin dernier, l’hôpital parisien des Diaconnesses Croix Saint-Simon accueillait « Santé en 2050, bouleversements planétaires et évolution des pratiques professionnelles en santé », un congrès organisé par le cercle thématique Santé de l’association The Shifters, émanation du think tank The Shift Project fédérant des acteurs de la société civile. L’occasion, notamment, de rappeler que crise climatique et crise sanitaire allaient de pair.



Urgence climatique et santé : « Le système actuel n’est plus soutenable »
« 2050 nous semble certes loin, mais 2050, c’est finalement demain. Et, dans une certaine mesure, demain est déjà là, car la crise climatique aggrave déjà les difficultés de l’Hôpital ». Par ces mots, le Dr Marie Boisson, médecin biologiste et membre du cercle thématique Santé des Shifters, pose le ton avant de laisser la parole à Valérie d’Acremont, médecin et épidémiologiste suisse et française, spécialiste en infectiologie et médecine tropicale, professeure à l’Université de Lausanne et militante pour le climat. Celle-ci s’est attelée à éclaircir les liens entre dérèglement climatique et santé des populations, laissant entrevoir un avenir n’ayant rien de souhaitable. 

Un avenir potentiellement apocalyptique

« Trois éléments sont essentiels pour être en bonne santé : de l’eau propre, de l’air pur, de la nourriture saine. Tous trois sont directement perturbés par le dérèglement climatique », a-t-elle rappelé, avant d’égrener : « Avec la multiplication des événements climatiques extrêmes, les rendements agricoles baisseront. En Afrique, où la situation était en train de s’améliorer, la sous-nutrition et la malnutrition ont déjà recommencé à augmenter. L’Europe ne sera pas en reste. Avec la montée des températures, le sud de l’Espagne, par exemple, deviendra un jour inhabitable. Or cette région fournit une grande partie des fruits et légumes consommés sur notre continent. Les populations compenseront par une surconsommation de produits laitiers et carnés, ce qui se traduira par une explosion des maladies cardiovasculaires. Bien sûr, les océans aussi fourniront moins à manger, car ils deviendront trop chauds ». Devant un auditoire silencieux, le Pr d’Acremont a poursuivi sa dissection clinique de la situation, rappelant que si le rythme actuel se maintenait, les températures auront augmenté de +2°C en 2040. 

« Un monde à +2°C n’aura plus rien à voir avec le monde d’aujourd’hui. Les allergènes et les particules en suspension dans l’air augmenteront, entraînant l’augmentation des maladies respiratoires. Dans certaines villes d’Inde, la population, enfants compris, respire déjà l’équivalent de 40 cigarettes par jour. Le stress hydrique est quant à lui déjà une réalité : Capetown a frôlé le jour zéro, c’est-à-dire le point critique à partir duquel les réserves en eau d’une ville seront presque entièrement épuisées. La guerre de l’eau n’est plus de la science-fiction, des conflits éclatent déjà, l’eau devient plus que jamais source de détresse psychologique ». Et l’épidémiologiste de continuer de brosser son tableau accablant : augmentation de la morbi-mortalité – « la surmortalité constatée en Suisse en 2022 peut très probablement être attribuée aux canicules » –, pertes matérielles majeures et leurs conséquences sanitaires – « le dérèglement climatique, c’est aussi plus de catastrophes naturelles. Les populations s’appauvrissent, ce qui n’est pas sans effets sur leur santé physique et mentale » –, déplacement massif des populations – « si l’on ne fait rien, 216 millions de personnes seront obligées de migrer en 2050 »…  Dans la salle, l’éco-anxiété est palpable. Mais, face à l’urgence climatique, il faut bien cela pour marquer les esprits. 

Explosion en cours des maladies infectieuses

D’autant qu’aussi sinistre soit-il, cet avenir est aussi celui imaginé par le GIEC, le Groupe d’experts international sur l’évolution du climat, dont les membres semblent crier dans le désert depuis… déjà quelques décennies. Les maladies infectieuses, elles, s’en donneront à cœur joie. « Sur le plan de l’infectiologie, le dérèglement climatique, c’est plus d’émergences et plus de résistances. Leurs moteurs sont les mêmes », a ainsi noté le Pr Xavier Lescure, infectiologue à l’hôpital Bichat-Claude Bernard et professeur de maladies infectieuses à l’université Paris-Cité. Lui aussi dresse un tableau apocalyptique : « La cinétique des émergences de zoonoses s’accélère ». Plusieurs nouvelles maladies sont ainsi apparues au cours des soixante dernières années : Ebola en 1076, le SIDA dans les années 1980 puis, à partir des années 2000, le SARS, le MERS, le Covid-19, le Mpox, « venu de nulle part et que personne n’avait prévu ».

L’augmentation des températures et du taux d’humidité de l’air se traduit en outre déjà par « une extension géographique de maladies jusque-là limitées à une zone endémique. Les arboviroses sont ici un exemple typique, la France métropolitaine est déjà confrontée à des risques de dengue autochtone. Le moustique tigre remonte vers le nord, les tiques foisonnent. Et ce, sans même évoquer l’arrivée de pathogènes aujourd’hui présents dans le permafrost. Il est possible que ce ne soit plus de la science-fiction en 2050. D’ailleurs, il y a déjà eu des infections à l’anthrax en Russie, en lien avec la fonte du permafrost ». Rappelant le principe d’Une seule santé, ou One Health, il a insisté : « Tout est infectieux et tout est relié, c’est pourquoi un infectiologue est écologiste par nature »

Une nécessaire réflexion collective à mener dès à présent

Comment alors agir, ou réagir, face à ces constats alarmants ? Pour le Dr Hasah Hachad, néphrologue et membre du cercle thématique Santé des Shifters, il faut clairement « un renversement de paradigme. Les systèmes de santé des pays du Nord exercent une pression importante sur l’environnement, ils sont responsables de 4 % des émissions de gaz à effet de serre, consomment 2 % des ressources mondiales en eau, et émettent un grand nombre de polluants, notamment atmosphériques. Cet impact carbone majeur est-il associé à une meilleure prise en charge ? En d’autres termes, les consommations énergétiques et les émissions de gaz à effet de serre, sont-elles indispensables pour bien soigner ? ».

Décrivant un cercle vicieux quasi-fondateur de la société anthropocène – « la crise climatique engendre une morbi-mortalité, qui génère une augmentation de la demande de soins, qui se traduit par de nouvelles pressions sur un système de santé déjà polluant, qui aggrave la crise climatique, etc. » –, elle en a appelé à transformer l’existant pour décarboner massivement nos hôpitaux, et par extension nos sociétés. « Il faut travailler sur les consommations énergétiques des bâtiments, sur les déplacements, sur l’usage des médicaments et des produits de santé. Mais cela ne sera pas suffisant. Il nous faut aussi basculer d’un système curatif à un système préventif, car toutes les actions favorables à la santé individuelle seront aussi bénéfiques pour le climat. Enfin, il ne faut pas hésiter à porter un regard critique sur la techno-médecine : chaque innovation a un coût environnemental important. Quel est le gain clinique réel de cette course effrénée à l’innovation ? Repenser la place du low-tech permettra-t-il de rééquilibrer la balance ? », a tancé la jeune médecin en espérant une « réflexion collective car le système actuel n’est plus soutenable ».

> Article paru dans Hospitalia #66, édition de septembre 2024, à lire ici 
 






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