Diplômée en sciences naturelles, en sciences physiques et en langues, vous avez décidé de travailler en Norvège sur le thème de la e-santé. Pourquoi ?
Célia Nilssen : Après un cursus scolaire effectué en France, je suis arrivée en Norvège en 2000 pour étudier les technologies des milieux arctiques. Je n’ai, depuis, plus quitté le pays, y poursuivant mon cursus pour m’intéresser notamment au management de la recherche. La e-santé, par sa pluridisciplinarité, son évolution rapide et ses apports sociétaux, m’a tout de suite passionnée.
Vous êtes désormais intégrée au Centre norvégien pour la recherche en e-santé. Pourriez-vous nous le présenter ?
Nous sommes plus d’une centaine de personnes à travailler dans ce centre national, qui regroupe tous types de profils : ingénieurs, médecins, infirmiers, chercheurs en sciences sociales… Même si certains peuvent travailler d’Oslo ou d’autres régions norvégiennes, la majorité d’entre nous effectuons nos recherches à Tromsø, tout au nord du pays. Cette localisation peut surprendre mais elle n’est pas due au hasard, puisque la ville accueille de nombreuses activités de recherche, notamment pour le climat et la santé numérique.
Justement, pourquoi cette dernière y est-elle particulièrement développée ?
Le Centre norvégien pour la recherche en e-santé est le successeur du Centre norvégien des soins intégrés et de la télémédecine (NST), créé à Tromsø dès 1993 et dont l’installation ici découle clairement de la situation géographique. Située à 2h15 d’avion de la capitale Oslo, Tromsø, qui accueille l’hôpital principal du nord de la Norvège, est en effet construite sur une île reliée au continent par deux ponts seulement. Les déplacements sont d’ailleurs difficiles au sein de toute la région, qui va jusqu’à la frontière russe : le train y est absent et la majorité des transports ambulanciers doivent se faire par la route ou les airs. Dans ces conditions, l’hôpital universitaire de la ville et tous les milieux concernés par la santé ont rapidement développé la télémédecine pour venir en appui aux services médicaux locaux.
Cette dynamique se poursuit avec le NSE, qui a mis au point une plateforme modèle pour la prise en charge du diabète…
Ce qui a été réalisé pour le diabète s’inscrit dans la continuité des recherches effectuées à Tromsø depuis plus de vingt ans. Les usagers, médecins comme patients, ont l’habitude des outils numériques. Ils ont donc été très faciles à convaincre pour la mise en place de la plateforme, qui offre une compréhension d’ensemble de tous les paramètres aidant à une prise en charge optimale des patients diabétiques. Quand elle est acceptée de tous, l’innovation est plus simple et rapide à déployer. Notre plateforme bénéficie ainsi aujourd’hui à tout le monde, les équipes soignantes qui peuvent mettre en œuvre un suivi plus performant, et les patients qui améliorent la connaissance de leur propre santé.
Vos travaux se nourrissent également de ceux du Parlement norvégien, qui a notamment publié le rapport « Un citoyen – un journal ». De quoi s’agit-il, plus concrètement ?
En 2011, le gouvernement norvégien a créé le site internet Helse Norge [Santé Norvège, NDLR] pour pouvoir échanger avec les citoyens sur leur santé. Ce portail sécurisé centralise ainsi des données et certificats médicaux, accessibles aux patients comme aux professionnels de santé. Le rapport « Un citoyen – un journal » a, lui, été élaboré entre 2012 et 2013. Portant de manière plus large sur les services digitaux en santé, il a entre autres évalué ce portail ainsi que l’harmonisation des registres nationaux. Le gouvernement travaille ici à l’élaboration d’une plateforme commune pour ces registres de santé indépendants et destinés à la recherche.
Dans vos publications et interventions, vous insistez sur les différences entre e-santé et m-santé. Pourriez-vous nous les détailler ?
La e-santé, ou télémédecine, est l’usage de toute technologie pour améliorer la santé. La m-santé, ou santé mobile, implique pour sa part l’utilisation d’un dispositif nomade, comme les smartphones ou les objets connectés. La m-santé est donc une branche de la e-santé, et est d’ailleurs appelée à se développer fortement dans les années à venir. Attention tout de même à bien différencier les applications de santé mobile utilisées dans un contexte privé, et celles à finalité médicale intégrées aux organisations sanitaires. Contrairement à la France, où cette approche est encore très émergente, nous disposons déjà ici de quelques applications en utilisation courante. Pour le diabète, par exemple, certains patients sont équipés de pompes à insuline connectées à une application mobile. Dans le futur, on pourrait très bien imaginer que grâce à l’apprentissage automatique, ces applications deviendront plus “intelligentes” pour les aider à mieux monitorer leur santé.
L’intelligence artificielle fait-elle partie des axes de recherche du NSE ?
Bien sûr. L’apprentissage automatique et l’intelligence artificielle sont particulièrement intéressants pour nous doter d’outils plus performants. Si certains ont ici peur que ces technologies ne « déshumanisent » le soin, je tiens à les rassurer. L’IA utilisée dans le cadre de l’imagerie ou des chatbots, par exemple, apporte seulement une aide supplémentaire à la prise en charge d’un patient. La technologie n’a pas ici vocation à remplacer le médecin, mais bien à lui venir en appui pour améliorer la précision diagnostique et renforcer la qualité des soins.
En France, la crise sanitaire a largement accéléré les usages du numérique en santé. En est-il de même pour la Norvège ?
Oui, les téléconsultations se sont également multipliées en mars 2020. Et bien qu’aujourd’hui les chiffres sont en baisse, force est de constater que cette pratique médicale est désormais entrée dans les mœurs. Des projets de recherche ont d’ailleurs été lancés en ce sens dans tout le pays, car, dans plusieurs régions norvégiennes, pour venir à l’hôpital régional, des patients doivent faire une journée d’ambulance, ou venir en avion. Pouvoir bénéficier de ce suivi directement à partir de leur domicile représente donc un atout indéniable en termes de qualité de vie. Cela est d’autant plus vrai pour des publics fragiles. L’un des enjeux est à ce titre de limiter les inégalités face au numérique, et de ne pas en créer de nouvelles. Pour assurer un accès équitable et universel à la santé, nous devons plus que jamais continuer à former et à informer les citoyens afin qu’ils se saisissent de ces nouveaux outils.
Article publié dans l'édition de septembre 2021 d'Hospitalia à lire ici.
Célia Nilssen : Après un cursus scolaire effectué en France, je suis arrivée en Norvège en 2000 pour étudier les technologies des milieux arctiques. Je n’ai, depuis, plus quitté le pays, y poursuivant mon cursus pour m’intéresser notamment au management de la recherche. La e-santé, par sa pluridisciplinarité, son évolution rapide et ses apports sociétaux, m’a tout de suite passionnée.
Vous êtes désormais intégrée au Centre norvégien pour la recherche en e-santé. Pourriez-vous nous le présenter ?
Nous sommes plus d’une centaine de personnes à travailler dans ce centre national, qui regroupe tous types de profils : ingénieurs, médecins, infirmiers, chercheurs en sciences sociales… Même si certains peuvent travailler d’Oslo ou d’autres régions norvégiennes, la majorité d’entre nous effectuons nos recherches à Tromsø, tout au nord du pays. Cette localisation peut surprendre mais elle n’est pas due au hasard, puisque la ville accueille de nombreuses activités de recherche, notamment pour le climat et la santé numérique.
Justement, pourquoi cette dernière y est-elle particulièrement développée ?
Le Centre norvégien pour la recherche en e-santé est le successeur du Centre norvégien des soins intégrés et de la télémédecine (NST), créé à Tromsø dès 1993 et dont l’installation ici découle clairement de la situation géographique. Située à 2h15 d’avion de la capitale Oslo, Tromsø, qui accueille l’hôpital principal du nord de la Norvège, est en effet construite sur une île reliée au continent par deux ponts seulement. Les déplacements sont d’ailleurs difficiles au sein de toute la région, qui va jusqu’à la frontière russe : le train y est absent et la majorité des transports ambulanciers doivent se faire par la route ou les airs. Dans ces conditions, l’hôpital universitaire de la ville et tous les milieux concernés par la santé ont rapidement développé la télémédecine pour venir en appui aux services médicaux locaux.
Cette dynamique se poursuit avec le NSE, qui a mis au point une plateforme modèle pour la prise en charge du diabète…
Ce qui a été réalisé pour le diabète s’inscrit dans la continuité des recherches effectuées à Tromsø depuis plus de vingt ans. Les usagers, médecins comme patients, ont l’habitude des outils numériques. Ils ont donc été très faciles à convaincre pour la mise en place de la plateforme, qui offre une compréhension d’ensemble de tous les paramètres aidant à une prise en charge optimale des patients diabétiques. Quand elle est acceptée de tous, l’innovation est plus simple et rapide à déployer. Notre plateforme bénéficie ainsi aujourd’hui à tout le monde, les équipes soignantes qui peuvent mettre en œuvre un suivi plus performant, et les patients qui améliorent la connaissance de leur propre santé.
Vos travaux se nourrissent également de ceux du Parlement norvégien, qui a notamment publié le rapport « Un citoyen – un journal ». De quoi s’agit-il, plus concrètement ?
En 2011, le gouvernement norvégien a créé le site internet Helse Norge [Santé Norvège, NDLR] pour pouvoir échanger avec les citoyens sur leur santé. Ce portail sécurisé centralise ainsi des données et certificats médicaux, accessibles aux patients comme aux professionnels de santé. Le rapport « Un citoyen – un journal » a, lui, été élaboré entre 2012 et 2013. Portant de manière plus large sur les services digitaux en santé, il a entre autres évalué ce portail ainsi que l’harmonisation des registres nationaux. Le gouvernement travaille ici à l’élaboration d’une plateforme commune pour ces registres de santé indépendants et destinés à la recherche.
Dans vos publications et interventions, vous insistez sur les différences entre e-santé et m-santé. Pourriez-vous nous les détailler ?
La e-santé, ou télémédecine, est l’usage de toute technologie pour améliorer la santé. La m-santé, ou santé mobile, implique pour sa part l’utilisation d’un dispositif nomade, comme les smartphones ou les objets connectés. La m-santé est donc une branche de la e-santé, et est d’ailleurs appelée à se développer fortement dans les années à venir. Attention tout de même à bien différencier les applications de santé mobile utilisées dans un contexte privé, et celles à finalité médicale intégrées aux organisations sanitaires. Contrairement à la France, où cette approche est encore très émergente, nous disposons déjà ici de quelques applications en utilisation courante. Pour le diabète, par exemple, certains patients sont équipés de pompes à insuline connectées à une application mobile. Dans le futur, on pourrait très bien imaginer que grâce à l’apprentissage automatique, ces applications deviendront plus “intelligentes” pour les aider à mieux monitorer leur santé.
L’intelligence artificielle fait-elle partie des axes de recherche du NSE ?
Bien sûr. L’apprentissage automatique et l’intelligence artificielle sont particulièrement intéressants pour nous doter d’outils plus performants. Si certains ont ici peur que ces technologies ne « déshumanisent » le soin, je tiens à les rassurer. L’IA utilisée dans le cadre de l’imagerie ou des chatbots, par exemple, apporte seulement une aide supplémentaire à la prise en charge d’un patient. La technologie n’a pas ici vocation à remplacer le médecin, mais bien à lui venir en appui pour améliorer la précision diagnostique et renforcer la qualité des soins.
En France, la crise sanitaire a largement accéléré les usages du numérique en santé. En est-il de même pour la Norvège ?
Oui, les téléconsultations se sont également multipliées en mars 2020. Et bien qu’aujourd’hui les chiffres sont en baisse, force est de constater que cette pratique médicale est désormais entrée dans les mœurs. Des projets de recherche ont d’ailleurs été lancés en ce sens dans tout le pays, car, dans plusieurs régions norvégiennes, pour venir à l’hôpital régional, des patients doivent faire une journée d’ambulance, ou venir en avion. Pouvoir bénéficier de ce suivi directement à partir de leur domicile représente donc un atout indéniable en termes de qualité de vie. Cela est d’autant plus vrai pour des publics fragiles. L’un des enjeux est à ce titre de limiter les inégalités face au numérique, et de ne pas en créer de nouvelles. Pour assurer un accès équitable et universel à la santé, nous devons plus que jamais continuer à former et à informer les citoyens afin qu’ils se saisissent de ces nouveaux outils.
Article publié dans l'édition de septembre 2021 d'Hospitalia à lire ici.