Fidèle à sa réputation, la fédération LESISS est sur plusieurs fronts. Quels sujets vous mobilisent plus particulièrement aujourd’hui ?
Mariane Cimino : Nous nous consacrons, en premier lieu, à simplifier le déploiement et l’alimentation du Dossier Médical Partagé DMP) par les praticiens hospitaliers. Nous travaillons, pour cela, en lien étroit avec la Caisse Nationale d’Assurance Maladie (CNAM) pour tester des dispositifs alternatifs à la carte CPS ou Vitale, offrant un niveau de sécurité équivalent ou supérieur. Quatre projets sont aujourd’hui en cours d’instruction par la CNIL, tandis que la DGOS financera les établissements pilotes qui permettront de valider un ou plusieurs nouveaux modes de connexion d’ici la fin de l’année. Ces travaux nous permettront d’engager en parallèle le dialogue avec les professionnels de ville pour, là aussi, réfléchir à un dispositif e-CPS en adéquation avec leurs pratiques.
Régis Sénégou : Le déploiement du DMP dans les meilleures conditions possibles représente en effet un enjeu majeur pour la fédération, eu égard à ses nombreux bénéfices – limitation des iatrogénies médicamenteuses, suivi médical plus efficace, meilleure coordination des parcours de soins, etc. Nous saluons d’ailleurs ici le travail fait par la CNAM, qui a permis d’initier une nouvelle dynamique depuis la relance du projet. Avec près de 5 millions de DMP créés à ce jour, la tendance est plutôt encourageante ! Mais ceux-ci ne sont pas encore suffisamment vivants, et c’est justement ce à quoi nous nous employons.
Autre travail en cours, la création d’une commission « Parcours de soins ». Pouvez-vous nous en parler ?
Mariane Cimino : Celle-ci a vu le jour en septembre 2018 pour faciliter la mise en relation de nos adhérents avec les nombreuses start-ups impliquées auprès des acteurs du parcours de soins. Les éditeurs historiques sont ainsi incités à questionner leurs modèles pour s’engager dans des approches plus novatrices, tandis que les start-ups bénéficient de leur meilleure connaissance du secteur et de son écosystème. S’attachant à comprendre les obstacles auxquels les jeunes pousses sont aujourd’hui confrontées, LESISS leur apporte des éléments de réponse pour faciliter leur inscription dans un schéma d’urbanisation des SIS. Nous rédigeons d’ailleurs une lettre d’intention destinée aux institutions territoriales, pour les acculturer à l’existence des entreprises du numérique en santé, à leurs besoins – par exemple avoir un interlocuteur clairement identifié –, et à la possibilité de porter des projets en co-développement.
Régis Sénégou : Au-delà de ces travaux essentiels pour que la e-santé se déploie dans des conditions sereines, cette commission a une ambition plus large : replacer le patient au centre du système, en mettant à sa disposition des outils lui permettant de mieux s’orienter dans son parcours et d’en maîtriser les différentes séquences. Pour autant, cette notion cruciale est peu prise en compte par les pouvoirs publics, pour lesquels la vision économique semble primer sur le reste. Nous nous félicitons à ce titre que Dominique Pon et Annelore Coury, auteurs du rapport « Accélérer le virage numérique », l’aient remise au cœur du débat en préconisant une approche humaniste au service des usagers. La fédération s’attache donc à lui donner corps, afin d’en faire une pratique concrète ancrée dans les usages quotidiens.
Quid de vos travaux avec la HAS autour de la réglementation applicable aux logiciels métiers ?
Mariane Cimino : Ceux-ci font suite à un arrêté pris en décembre 2017 par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) : considérant que les logiciels d’aide à la prescription (LAP) et d’aide à la dispensation (LAD) étaient des dispositifs médicaux (DM), celle-ci a estimé que la certification LAP/LAD en vigueur en France était en contradiction avec la certification européenne (CE). Le Conseil d’État a, depuis, donné raison à la CJUE. Nous travaillons depuis avec la HAS et l’ANSM afin de capitaliser sur la certification LAP/LAD tout en se conformant à la classification CE – avec de nouveaux critères pour les logiciels par rapport aux DM « matériels » qui nécessitent par exemple la réalisation d’études cliniques difficilement applicables ici.
Régis Sénégou : Ce n’est d’ailleurs pas le seul paradoxe : d’après la LFSS 2018, la certification LAP/LAD est désormais optionnelle, mais une amende n’en est pas moins prévue pour les éditeurs ne la mettant pas en œuvre. La fédération s’est donc saisie du dossier, et des travaux sont en cours avec les tutelles concernées. Nous incitons aujourd’hui les éditeurs à faire certifier les logiciels concernés en tant que DM de classe 1, le temps que la nouvelle certification européenne relative aux DM entre en vigueur en mai 2020. Nous aurons, d’ici là, identifié les critères à respecter pour les classes 2A, 2B et 3.
Il vous reste donc peu de temps…
Régis Sénégou : Ce dossier n’a clairement pas été correctement anticipé par les pouvoirs publics, tandis que les tutelles ont mis beaucoup de temps à se mobiliser, poussées à cela par les demandes réitérées de LESISS et de la FEIMA (Fédération des Éditeurs d’Informatique Médicale et paramédicale Ambulatoire), notre équivalent sur le secteur libéral. Toujours est-il qu’il nous faut trouver rapidement une solution tenant compte des actions déjà engagées par les éditeurs certifiés LAP et LAD, afin que celles-ci n’aient pas été menées en vain. La HAS se veut en tous cas rassurante, en laissant entendre que la certification LAP/LAD représentera l’un des volets de la certification européenne et que l’amende prévue par la LFSS 2018 ne sera pas appliquée. Nos adhérents n’en sont pas moins inquiets, d’autant que, en vertu de l’arrêté de la CJUE, la certification CE est dès à présent opposable. Sans oublier qu’une certification supplémentaire devrait être imposée aux logiciels métiers dans le cadre du programme Hop’En. Par souci de simplification, nous demandons à ce qu’elle s’appuie sur la même norme que la certification CE pour les dispositifs médicaux, à savoir l’ISO 13485. Nous espérons avoir été entendus par le Ministère sur ce dernier point.
Justement, comme vous positionnez-vous par rapport aux nouveaux programmes Hop’En et e-Parcours ?
Mariane Cimino : Dans un cas comme dans l’autre, nous déplorons que les réunions organisées par les pouvoirs publics pour accompagner la conception et la mise en œuvre de ces programmes soient disjointes, un jour les établissements de santé, un autre les éditeurs. Comment dans ce cas identifier correctement les besoins de nos clients et de nos utilisateurs finaux, ou programmer des investissements pour des projets qui ne sont pas coordonnés avec le terrain ? L’ensemble est peu lisible, a fortiori lorsqu’il ne s’appuie pas sur une gouvernance unifiée. Nos adhérents ont le plus grand mal à anticiper les évolutions voulues par les tutelles et qui émergent continuellement.
Régis Sénégou : Il est d’ailleurs à regretter que la santé numérique ne fasse justement pas l’objet d’une gouvernance claire. La nature même du numérique et son intrication avec de nombreux enjeux sociétaux semblent mal comprises : l’on multiplie les projets sans les inscrire dans une vision cohérente et pragmatique, alors qu’il faudrait des lignes directrices, une projection a minima pour structurer le débat. Cette spécificité bien française a été soulignée par Dominique Pon et Annelore Coury dans leur rapport. Il est encore temps de remédier à la polyphonie actuelle, sous réserve que la stratégie numérique de santé soit véritablement portée par le Ministère, l’ASIP Santé ou une autre agence publique. À ce porteur de se positionner comme le coordonnateur unique et de se donner les moyens pour fédérer l’ensemble des acteurs autour de sa vision. Sinon, nous aurons beau multiplier les programmes de financement nationaux, nous ne ferons que multiplier les dépenses inutiles.
Quel regard portez-vous alors sur le Health Data Hub ?
Mariane Cimino : Celui-ci pose également la question de la gouvernance : pourquoi réinventer quelque chose qui existe déjà ? Nous ne remettons pas en cause la nécessité de créer une plateforme facilitant l’exploitation des données de santé. Mais une approche similaire a été mise en œuvre avec succès pour les données produites par l’écosystème agricole, un secteur tout aussi complexe que la santé. Pourquoi ne pas s’en être inspiré ? Il aurait également été pertinent de fédérer et d’élargir les systèmes performants déjà mis en œuvre en France, à l’instar du Centre d’accès sécurisé aux données (CASD) utilisé à des fins de recherche, ou des travaux d’Unicancer pour faire émerger des données qualifiées à partir des comptes-rendus de cancérologie. L’on en revient à la nécessité de disposer d’une vision cohérente et pragmatique, qui tienne compte de l’existant – ainsi les données de laboratoires, déjà normalisées et faciles à agréger, pourraient constituer une bonne base de départ –, et qui associe dès le départ les éditeurs pour s’inscrire dans un modèle économique performant.
Régis Sénégou : Il faut, d’abord et surtout, ne pas perdre de vue l’objectif réel : le Health Data Hub est au service d’une ambition, favoriser l’émergence d’une filière nationale d’intelligence artificielle (IA) dans la continuité du rapport Villani. La vigilance demeure donc
de mise pour que le principe de partage des données de santé soit réellement effectif et bénéficie à tous les acteurs, contrairement à ce qui avait été fait avec le Système National des Données de Santé (SNDS). Rappelons d’ailleurs qu’il ne peut y avoir de filière IA en santé sans interopérabilité sémantique. Or aucun des deux référentiels existants n’a été retenu à ce jour, alors même que nous l’exigeons depuis plusieurs années. Nous sommes donc attentistes, et espérons que l’esprit du Health data Hub sera respecté, que les belles avancées promises par la stratégie « Ma Santé 2022 » prendront corps, et qu’il y aura, enfin, une gouvernance unique à même de coordonner ces projets structurants pour notre pays.
Mariane Cimino : Dans un cas comme dans l’autre, nous déplorons que les réunions organisées par les pouvoirs publics pour accompagner la conception et la mise en œuvre de ces programmes soient disjointes, un jour les établissements de santé, un autre les éditeurs. Comment dans ce cas identifier correctement les besoins de nos clients et de nos utilisateurs finaux, ou programmer des investissements pour des projets qui ne sont pas coordonnés avec le terrain ? L’ensemble est peu lisible, a fortiori lorsqu’il ne s’appuie pas sur une gouvernance unifiée. Nos adhérents ont le plus grand mal à anticiper les évolutions voulues par les tutelles et qui émergent continuellement.
Régis Sénégou : Il est d’ailleurs à regretter que la santé numérique ne fasse justement pas l’objet d’une gouvernance claire. La nature même du numérique et son intrication avec de nombreux enjeux sociétaux semblent mal comprises : l’on multiplie les projets sans les inscrire dans une vision cohérente et pragmatique, alors qu’il faudrait des lignes directrices, une projection a minima pour structurer le débat. Cette spécificité bien française a été soulignée par Dominique Pon et Annelore Coury dans leur rapport. Il est encore temps de remédier à la polyphonie actuelle, sous réserve que la stratégie numérique de santé soit véritablement portée par le Ministère, l’ASIP Santé ou une autre agence publique. À ce porteur de se positionner comme le coordonnateur unique et de se donner les moyens pour fédérer l’ensemble des acteurs autour de sa vision. Sinon, nous aurons beau multiplier les programmes de financement nationaux, nous ne ferons que multiplier les dépenses inutiles.
Quel regard portez-vous alors sur le Health Data Hub ?
Mariane Cimino : Celui-ci pose également la question de la gouvernance : pourquoi réinventer quelque chose qui existe déjà ? Nous ne remettons pas en cause la nécessité de créer une plateforme facilitant l’exploitation des données de santé. Mais une approche similaire a été mise en œuvre avec succès pour les données produites par l’écosystème agricole, un secteur tout aussi complexe que la santé. Pourquoi ne pas s’en être inspiré ? Il aurait également été pertinent de fédérer et d’élargir les systèmes performants déjà mis en œuvre en France, à l’instar du Centre d’accès sécurisé aux données (CASD) utilisé à des fins de recherche, ou des travaux d’Unicancer pour faire émerger des données qualifiées à partir des comptes-rendus de cancérologie. L’on en revient à la nécessité de disposer d’une vision cohérente et pragmatique, qui tienne compte de l’existant – ainsi les données de laboratoires, déjà normalisées et faciles à agréger, pourraient constituer une bonne base de départ –, et qui associe dès le départ les éditeurs pour s’inscrire dans un modèle économique performant.
Régis Sénégou : Il faut, d’abord et surtout, ne pas perdre de vue l’objectif réel : le Health Data Hub est au service d’une ambition, favoriser l’émergence d’une filière nationale d’intelligence artificielle (IA) dans la continuité du rapport Villani. La vigilance demeure donc
de mise pour que le principe de partage des données de santé soit réellement effectif et bénéficie à tous les acteurs, contrairement à ce qui avait été fait avec le Système National des Données de Santé (SNDS). Rappelons d’ailleurs qu’il ne peut y avoir de filière IA en santé sans interopérabilité sémantique. Or aucun des deux référentiels existants n’a été retenu à ce jour, alors même que nous l’exigeons depuis plusieurs années. Nous sommes donc attentistes, et espérons que l’esprit du Health data Hub sera respecté, que les belles avancées promises par la stratégie « Ma Santé 2022 » prendront corps, et qu’il y aura, enfin, une gouvernance unique à même de coordonner ces projets structurants pour notre pays.