Dans quel mesure les outils numériques participent-ils aujourd’hui à la modernisation de notre système de santé ?
Docteur Jean-David Zeitoun : Bien que le numérique représente un vecteur de modernisation incontestable, il peine souvent à proposer des solutions véritablement pertinentes à court terme, essentiellement pour des raisons structurelles, sociologiques et culturelles. D’une part, le système de soins est extrêmement fragmenté et partiellement conservateur, ce qui complexifie grandement la conduite de projet. D’autre part, les premières tentatives d’informatisation ont laissé un souvenir pour le moins mitigé ; il n’est donc guère étonnant que les protagonistes soient méfiants. Mais fort heureusement les mentalités évoluent.
Quels sont, à votre sens, les principaux points de vigilance pour qu’une solution numérique soit véritablement intégrée aux pratiques ?
Outre l’attention, évidente, qui doit être portée à la sécurité des données personnelles de santé, d’autres points essentiels me semblent plus délicats : les produits doivent être ergonomiques, réalistement utilisables, interopérables avec les autres outils métiers et, bien entendu, avoir une réelle utilité pratique voire médicale. Autant de caractéristiques qui n’ont pas été suffisamment pris en compte par la première génération de solutions mises sur le marché. La génération suivante semble toutefois avoir mieux intégré ces prérequis.
Comment les acteurs de santé appréhendent-ils aujourd’hui les innovations numériques ?
La méfiance voire les rejets initiaux laissent peu à peu la place à un intérêt réel : les différents acteurs, notamment les établissements de santé, ont pris conscience qu’ils pourraient bénéficier des dynamiques à l’œuvre. Ils sont désormais nombreux à s’engager dans des expérimentations en conditions réelles, ce qui représente une évolution des plus positives. Mais il leur faudra ensuite retenir les solutions les plus pertinentes au regard de leurs besoins, les implémenter et les maintenir au quotidien. Trois enjeux loin d’être simples pour des hôpitaux ‘saturés par leurs propres projets’, ainsi que me l’a récemment soufflé un directeur d’hôpital.
Quel serait ici le rôle des start-ups ?
Celles-ci font partie des entités les plus à mêmes d’innover, en santé comme ailleurs. Elles identifient souvent assez bien les problématiques qui appelleraient des réponses nouvelles, mais souffrent de deux limites. La première, attendue, est qu’elles évoluent dans un environnement complexe, relativement rigide et difficilement mobilisable – ce qui ne manque pas de les ralentir, voire les faire échouer si elles ne disposent pas de fonds suffisants. Leur deuxième faiblesse, du moins d’après mon expérience, est qu’elles ont souvent une vision naïve de ce qui est faisable. À force d’entendre qu’il faut « rêver grand », être disruptif et ne pas se laisser décourager par le conservatisme, elles peuvent se lancer dans des projets parfois irréalistes. Or la simplicité est la clé du succès. Prenez Doctolib, une des start-ups les plus valorisées à l’heure actuelle dans le domaine de la médecine digitale : elle a choisi de traiter une problématique simple, pour laquelle elle a réussi à lever de nombreux financements. Et écarte jusqu’à présent toute ambition de s’attaquer à un problème plus complexe comme le dossier médical numérique.
Comment alors mieux soutenir ces jeunes pousses pour accélérer l’intégration de leurs innovations ?
Tant de start-ups se créent tous les mois, et tant trouvent aisément des financements, qu’il semble évident que des applications mobiles utiles finiront par émerger. Il ne s’agit donc pas d’un problème financier. Pour qu’une start-up trouve son marché, il faut d’abord l’aider à comprendre les tenants de la problématique à résoudre, mais aussi les obstacles ou les freins connus qui ont tué les tentatives précédentes – d’autant que ceux-ci sont généralement loin d’être nouveaux, bien qu’ils tendent à s’aggraver. Cette mise en contexte ne lui épargnera certainement pas toutes les erreurs, mais elle lui permettra de gagner du temps. Ensuite, il faut s’assurer que cette start-up dispose à la fois de l’expertise médicale et du savoir-faire technologique. Le produit doit en effet non seulement être utile, et donc apporter des réponses pertinentes en lien avec les enjeux sur le terrain, mais son développement doit également prendre en compte l’expérience utilisateur afin qu’il puisse plus aisément s’intégrer aux pratiques. En troisième lieu, il faudrait que les cycles d’expérimentation et d’achats soient rapides – ce qui nécessiterait peut-être certains assouplissements législatifs. Enfin, les hôpitaux, cliniques et cabinets de ville doivent, de leur côté, s’assurer que toutes les conditions sont réunies pour que l’expérimentation ou l’implémentation réussisse : si certains personnels ont intérêt à préserver le statu quo, l’échec sera inévitable – et souvent, d’ailleurs, il sera mis à tort sur le compte de la start-up.
Pouvez-vous, pour finir, nous parler de vos travaux auprès des industries de santé ?
J’interviens pour ma part plus particulièrement auprès des industries pharmaceutiques et du dispositif médical. Les premiers sont désormais conscients que le numérique n’épargnera pas leur secteur, et semblent avoir atteint une maturité suffisante pour envisager le développement de solutions destinées à mieux accompagner les patients traités. Les industriels du dispositif médical ont quant à eux un peu plus d’avance, puisqu’ils développent des produits connectés depuis déjà quelques années. Mais les données recueillies ne sont encore que peu exploitées. D’où la montée en puissance des algorithmes, qui les compilent et les corrèlent automatiquement afin de ne générer des alertes que lorsque nécessaire. Nous assistons, enfin, à l’arrivée d’industriels d’un nouveau genre, les ‘nouvelles medtech’, dont la valeur résulte d’une conjugaison de hardware et de software – ce dernier intégrant souvent le machine learning, ou apprentissage automatique, l’une des applications de l’intelligence artificielle. À moyen terme, certaines de ces sociétés devraient exceller dans la reconnaissance de forme et la prédiction, ce qui offre des potentialités impressionnantes.
Interview publiée dans le numéro 41 d'Hospitalia, magazine à consulter en intégralité ici.
La méfiance voire les rejets initiaux laissent peu à peu la place à un intérêt réel : les différents acteurs, notamment les établissements de santé, ont pris conscience qu’ils pourraient bénéficier des dynamiques à l’œuvre. Ils sont désormais nombreux à s’engager dans des expérimentations en conditions réelles, ce qui représente une évolution des plus positives. Mais il leur faudra ensuite retenir les solutions les plus pertinentes au regard de leurs besoins, les implémenter et les maintenir au quotidien. Trois enjeux loin d’être simples pour des hôpitaux ‘saturés par leurs propres projets’, ainsi que me l’a récemment soufflé un directeur d’hôpital.
Quel serait ici le rôle des start-ups ?
Celles-ci font partie des entités les plus à mêmes d’innover, en santé comme ailleurs. Elles identifient souvent assez bien les problématiques qui appelleraient des réponses nouvelles, mais souffrent de deux limites. La première, attendue, est qu’elles évoluent dans un environnement complexe, relativement rigide et difficilement mobilisable – ce qui ne manque pas de les ralentir, voire les faire échouer si elles ne disposent pas de fonds suffisants. Leur deuxième faiblesse, du moins d’après mon expérience, est qu’elles ont souvent une vision naïve de ce qui est faisable. À force d’entendre qu’il faut « rêver grand », être disruptif et ne pas se laisser décourager par le conservatisme, elles peuvent se lancer dans des projets parfois irréalistes. Or la simplicité est la clé du succès. Prenez Doctolib, une des start-ups les plus valorisées à l’heure actuelle dans le domaine de la médecine digitale : elle a choisi de traiter une problématique simple, pour laquelle elle a réussi à lever de nombreux financements. Et écarte jusqu’à présent toute ambition de s’attaquer à un problème plus complexe comme le dossier médical numérique.
Comment alors mieux soutenir ces jeunes pousses pour accélérer l’intégration de leurs innovations ?
Tant de start-ups se créent tous les mois, et tant trouvent aisément des financements, qu’il semble évident que des applications mobiles utiles finiront par émerger. Il ne s’agit donc pas d’un problème financier. Pour qu’une start-up trouve son marché, il faut d’abord l’aider à comprendre les tenants de la problématique à résoudre, mais aussi les obstacles ou les freins connus qui ont tué les tentatives précédentes – d’autant que ceux-ci sont généralement loin d’être nouveaux, bien qu’ils tendent à s’aggraver. Cette mise en contexte ne lui épargnera certainement pas toutes les erreurs, mais elle lui permettra de gagner du temps. Ensuite, il faut s’assurer que cette start-up dispose à la fois de l’expertise médicale et du savoir-faire technologique. Le produit doit en effet non seulement être utile, et donc apporter des réponses pertinentes en lien avec les enjeux sur le terrain, mais son développement doit également prendre en compte l’expérience utilisateur afin qu’il puisse plus aisément s’intégrer aux pratiques. En troisième lieu, il faudrait que les cycles d’expérimentation et d’achats soient rapides – ce qui nécessiterait peut-être certains assouplissements législatifs. Enfin, les hôpitaux, cliniques et cabinets de ville doivent, de leur côté, s’assurer que toutes les conditions sont réunies pour que l’expérimentation ou l’implémentation réussisse : si certains personnels ont intérêt à préserver le statu quo, l’échec sera inévitable – et souvent, d’ailleurs, il sera mis à tort sur le compte de la start-up.
Pouvez-vous, pour finir, nous parler de vos travaux auprès des industries de santé ?
J’interviens pour ma part plus particulièrement auprès des industries pharmaceutiques et du dispositif médical. Les premiers sont désormais conscients que le numérique n’épargnera pas leur secteur, et semblent avoir atteint une maturité suffisante pour envisager le développement de solutions destinées à mieux accompagner les patients traités. Les industriels du dispositif médical ont quant à eux un peu plus d’avance, puisqu’ils développent des produits connectés depuis déjà quelques années. Mais les données recueillies ne sont encore que peu exploitées. D’où la montée en puissance des algorithmes, qui les compilent et les corrèlent automatiquement afin de ne générer des alertes que lorsque nécessaire. Nous assistons, enfin, à l’arrivée d’industriels d’un nouveau genre, les ‘nouvelles medtech’, dont la valeur résulte d’une conjugaison de hardware et de software – ce dernier intégrant souvent le machine learning, ou apprentissage automatique, l’une des applications de l’intelligence artificielle. À moyen terme, certaines de ces sociétés devraient exceller dans la reconnaissance de forme et la prédiction, ce qui offre des potentialités impressionnantes.
Interview publiée dans le numéro 41 d'Hospitalia, magazine à consulter en intégralité ici.