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Que pensent les Directeurs Généraux de CHRU du « quoi qu’il en coûte » à l’hôpital : ses impacts, ses risques, ses opportunités ?


Rédigé par Rédaction le Lundi 24 Janvier 2022 à 11:05 | Lu 1017 fois


La Conférence des directeurs généraux de CHU prendra chaque mois la plume pour rédiger un cogito afin de donner son avis sur un sujet d’actualité. Ce mois-ci : Que pensent les DG du « quoi qu’il en coûte » à l’hôpital : ses impacts, ses risques, ses opportunités ?
(NDLR - les intertitres sont de la rédaction)



Que pensent les Directeurs Généraux de CHRU du « quoi qu’il en coûte » à l’hôpital : ses impacts, ses risques, ses opportunités ?
Dans son édition du 31 décembre 2021, Le Monde estimait que « la pandémie a révélé et accentué des maux qui prennent leur source dans plus de vingt ans de réformes visant à réduire les coûts ». Cette analyse est en partie fausse et en partie orientée. Fausse, car elle méconnaît un certain nombre de décisions majeures, bien antérieures aux années 2000, mais dont les conséquences se concrétisent depuis plusieurs années (1). Orientée, car elle laisse à penser que le monde hospitalier connaissait avant les années 2000 une situation efficace et adaptée aux besoins des patients, ce qui est assez contestable (qualité et sécurité des soins, coûts non maîtrisés).

Inadéquation croissante entre les coûts réels de l’activité réalisée et les financements

Si la tarification à l’activité (T2A) a pu devenir, comme le décrit Le Monde, une course à la rentabilité, c’est notamment parce que l’objectif de contrôle de la dépense de santé a pris le pas sur la notion d’efficience, alors que sa logique initiale était de permettre le bon soin au bon moment au bon patient. En effet, par le biais d’un mécanisme de régulation prix/volume destiné à respecter l’Ondam, les établissements ont dû faire face à une inadéquation croissante entre les coûts réels de l’activité réalisée et les financements tout en maintenant leurs missions. Par ailleurs, il a été convenu rapi- dement que si la tarification à l’activité avait de la valeur pour rémunérer des soins standardisés, elle n’en avait pas pour rémunérer des activités de santé publique et de soins critiques.

La crise invite à repenser intégralement la notion d’efficience, notamment pour mieux prendre en compte les différentes formes de la médecine (médecine des gestes techniques, médecine des pathologies chroniques, médecine populationnelle...) et la contrainte des ressources humaines et matérielles (tensions sur les RH, sur certains matériaux, molécules...). Le contexte ne se prête nullement à la notion de rentabilité, mais plutôt à la préservation des équipes et de toutes les ressources concourant aux soins. Les plans issus des concertations du Ségur ont entamé la juste requalification des revenus du travail. Cette dynamique ne peut cependant à elle seule répondre au besoin de précaution dans la gestion des équipes tant la qualité d’animation dépend des acteurs de terrain et comporte par ailleurs un certain nombre de risques, notamment économiques, si la dynamique de financement n’était pas poursuivie.

Dans son discours du 16 mars 2020, le président de la République (2) prévoyait que le jour d’après ne serait pas le jour d’avant. Cette vision anticipatrice s’est trouvée particulièrement vérifiée pour l’hôpital. Le refinancement des carrières hospitalières par le Ségur est intervenu dans une logique de rattrapage des salaires dans le domaine de la santé à l’égard d’autres types de catégories socio- professionnelles (3).
 

Interroger les effets du Ségur deux ans après son déploiement

L’année 2022 sera l’occasion d’interroger les effets du Ségur deux ans après son déploiement, sachant que certaines mesures ne se mettent en œuvre que progressivement, parfois depuis peu de temps, et que le Ségur a progressivement absorbé un certain nombre de négociations absentes de la séquence initiale pilotée par Nicole Notat (phase de négociation dite « Ségur 2 » portant sur les nouvelles grilles indiciaires, la revalorisation des hospitalo-universitaires et des sages- femmes...). Ces mesures socles intervenues en juillet 2020 puis le chapelet de mesures qui ont suivi ont des conséquences non neutres pour rémunérer le coût du travail (4) dans les établissements.

• Le financement par les tarifs n’est pas sans risque de surcompensation pour les établissements publics ou privés et accroît la dépendance à la tarification à l’activité alors que ce n’est pas le but recherché depuis trois ans. L’ultra-spécialisation de certains établissements, peu liés par des contingences de service public (5), sauf à ce que ce constat évolue à la demande des ARS, peut aboutir à un phénomène d’effet d’aubaine pour ces derniers ;

Les majorations actuelles ou à venir des traitements des personnels de santé devront être assumées financièrement par les PLFSS tant « les crises » (celles du Covid, des retards de prise en charge, du vieillissement, de la santé mentale...) montrent que l’hôpital a un rôle essentiel pour maintenir un bon état de santé de la population, facteur de la reprise économique et de la croissance ;

La raréfaction des ressources humaines disponibles impose aux établissements de mobiliser différentes mesures de survalorisation du travail (heures supplémentaires notamment (6)) ; ces dispositifs conjoncturels mais réguliers, voire durables jusqu’à l’arrivée de futurs professionnels sur le marché du travail, s’ajoutent aux mesures pérennes du Ségur, conduisant ainsi à une hausse importante du coût du travail en établissement ;

Aux conséquences financières du Ségur s'ajoutent les effets très lourds de l'inflation 2022, que l’Ondam dans son épure actuelle ne couvre. Alors que la garantie de financement des établissements s’appliquera au premier semestre 2022, ce « cordon de sécurité » financière qui protège les établissements publics entraîne sur une durée longue une stagnation durable des recettes de l’activité. Si celle-ci se prolongeait, le financement du Ségur deviendrait impossible dans les établissements (charges en hausse, stagnation des recettes, impact financier négatif des ouvertures de lits intervenues depuis 2019).
 

Quels leviers pour une reprise réaliste ?

La question fondamentale pour les établissements consiste donc à relancer le plus rapidement possible leur activité. Quels sont les leviers qui permettent cette reprise pour qu’elle soit réaliste ?

• Le refinancement des carrières par le Ségur doit concourir à l’attractivité et à la fidélisation des équipes. Elle est une des clés d’une amélioration de la qualité de vie au travail (QVT), par la réduction des vacances de postes et de leurs effets induits qu’est l’absentéisme.

• Permettre aux jeunes professionnels médicaux et soignants de trouver dans le secteur public un ancrage durable répondant à leurs aspirations et reconnaissant la pénibilité particulière du service public (travail de nuit, de week-ends, permanence des soins).

• Développer une logique de projet dans les services pour susciter ou renforcer la cohésion. Les crédits d’investissement (Ségur et investissement du quotidien) peuvent y concourir, au même titre que les primes dites d’« engagement collectif ».

• Donner aux groupements hospitaliers de territoire (GHT) les moyens d’une dynamique de projet médical pour permettre au secteur public de bénéficier au plus grand nombre de manière pertinente et reconstituer les filières de recrutement fragilisées, quand les établissements publics se consacraient au Covid (85 % des prises en charge).

• Protéger les professionnels des risques d’épuisement en donnant une place effective à la QVT mais aussi en donnant toute leur réalité aux mesures de signalement quand les faits sont caractérisés, quels qu’en soient les auteurs.

Éviter la sur-sollicitation hospitalière en donnant à la ville une fonction de prévention et d’orientation préalable beaucoup plus sensible.

• Questionner l’efficience, sans s’en tenir à des ratios de performance standardisés qui ne sauraient s’appliquer à l’identique à tous les établissements. Le chiffre de 28 % d’actes non justifiés peut paraître excessif (7), c’est dans tous les cas un travail d’analyse utile à mener. La notion d’efficience pourrait ainsi (re)gagner son rang dans un ordonnancement des valeurs qui, parfois, manque dans l’analyse des réalités hospitalières.

Notes

1. Il s’agit ainsi de l’instauration d’un numerus clausus qui a progressivement mais fortement réduit le nombre de médecins formés chaque année. Cette réforme remonte au 12 juillet 1971 avec l’instauration de la loi Boulin.
2. « Le jour d'après, quand nous aurons gagné, ce ne sera pas un retour au jour d'avant, nous serons plus forts moralement, je saurai avec vous en tirer toutes les conséquences. » 16 mars 2020 - @EmmanuelMacron
3. La Drees estime que dans le secteur hospitalier, entre 2017 et 2018, le salaire mensuel net d’un équivalent temps plein (ETP) a augmenté en moyenne de 1,1 % en euros courants, passant de 2 302 euros à 2 327 euros. Cela correspond cependant à une baisse de 0,8 % en euros constants, c’est-à-dire déduction faite de l’inflation.
4. Le rehaussement de celui-ci passe en grande partie par les tarifs pratiqués auprès des patients. Il est donc intégré dans l’Objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam).
5. Notamment en matière de permanence des soins.
6. Décret n° 2021-1709 du 18 décembre 2021 modifiant le décret n° 2021-287 du 16 mars 2021 portant indemnisation et majoration exceptionnelle des heures supplémentaires réalisées dans les établissements mentionnés aux 1°, 2°, 3° et 5° de l’article 2 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière. Le décret confirme le passage de 50 % à 100 % de la majoration des heures supplémentaires, soit un doublement, pour les heures effectuées par les personnels soi- gnants entre le 20 décembre et le 31 janvier 2022. Ainsi, un infirmier en fin de carrière (9e échelon du grade d’avancement) voit l’indemnisation de l’heure supplémentaire passer de 26,1 € (23,6 € net) à 52,2 € (47,2 € net).
7. Enquête réalisée par Internet pour la Fédération hospitalière de France, FHF.






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