Le GAPM a originellement vu le jour dans le cadre d’un partenariat public-privé. Pourriez-vous nous conter son histoire ?
Georges Saint-Jevin : Tout a commencé au début des années 2000. Confrontés à l’obsolescence de leurs outils de production culinaire, le Centre hospitalier de Carcassonne et l’Union sanitaire et sociale Aude Pyrénées (USSAP) avaient décidé de mutualiser cette fonction au sein d’une construction neuve. L’Agence régionale de l’hospitalisation, ancêtre de l’Agence régionale de santé, avait cependant imposé trois conditions : élargir les activités de la future plateforme à l’ensemble des prestations médico-logistiques – magasin central, cuisine, blanchisserie, pharmacie –, la dimensionner de manière à répondre aux besoins des autres établissements sanitaires, médico-sociaux et sociaux de l’Aude, et l’inscrire dans le cadre d’un partenariat public-privé (PPP), concept alors à la mode. En 2009, le GAPM voit le jour avec six membres fondateurs, dont le CH de Carcassonne et l’USSAP. Il fait l’objet d’un bail emphytéotique de 27 ans, durant lesquels le partenaire privé s’engage à le maintenir en conditions opérationnelles, et le CH de Carcassonne, auquel était rattaché le groupement de coopération sanitaire (GCS) exploitant, à verser un loyer annuel qui, à bien des égards, était prohibitif.
D’autant que la donne était faussée dès le départ…
Certaines mutualisations ne pouvaient être effectives qu’à moyen terme. Entre 2010 et 2018, le GCS exploitant accumule donc un déficit à hauteur d’un million d’euros par an (9 millions en cumulé de report négatif). En 2017, l’USSAP se retire partiellement du groupement, qui perd alors la production de 2 000 repas/jour, soit la moitié de ses recettes sur ce périmètre. L’inquiétude gronde auprès des établissements fondateurs, qui souhaitent suivre le mouvement. À la demande de l’administrateur de l’époque, Alain Guinamant, j’accepte de réaliser un audit interne qui me permet de percevoir le potentiel de la plateforme. Constatant la motivation de ses équipes, j’accepte de tenter de redresser la situation. Au début envisagée, l’attribution de la concession à un partenaire privé, jugée par nature plus performante, ne me semble pas opportune. Pour moi, la cause principale vient justement du modèle PPP : le GCS n’avait aucun pouvoir décisionnel sur ses facteurs de production, et ne pouvait pas être rendu responsable des trappes d’inefficacité qui lui étaient reprochées. Nous décidons donc de viser la résiliation du bail emphytéotique. Dès 2018, grâce à ses efforts de gestion et de rationalité, le GAPM dégage un bénéfice de 155 000 €, puis de 168 000 en 2019.
Et ensuite ?
Les années 2018-2020 ont été très instructives, car elles ont permis de démontrer qu’une structure de droit public pouvait trouver des chemins de croissance de manière très réactive. Durant cette période nous nous sommes réapproprié les performances métiers, en retrouvant la maîtrise de nos outils, en nous engageant sur des bonnes pratiques, en valorisant le potentiel des agents et en mettant leur savoir-faire en œuvre. Grâce à ça, nous avons pu inverser le rapport de force, obtenant en 2021 la résiliation à l’amiable du bail emphytéotique. Cette même année, nous avons dégagé un excédant de 2,5 millions d’euros ! En 2023, malgré une inflation galopante des matières premières, nous avons réussi à ne pas augmenter nos tarifs, et même à les baisser grâce à nos gains de productivité très élevés. Le coût du repas a ainsi été divisé par deux par rapport à 2018. À ce jour, notre report à nouveau négatif a été presque entièrement comblé.
Un défi qui n’aurait pas pu être relevé sans la mobilisation des agents du GAPM…
Notre plateforme est implantée sur le site du CH de Carcassonne. Bien que nos agents ne soient pas en contact direct avec les patients, ils ont un réel sentiment d’appartenance à la communauté hospitalière et mettent tout en œuvre pour exécuter les missions de service public qui leur sont confiées. Cette abnégation professionnelle a notamment été perceptible durant la première vague Covid, lorsqu’ils ont redoublé d’efforts pour assurer des prestations hautement qualitatives, en particulier pour les repas des résidents confinés dans les EHPAD. Et cet engagement se poursuit d’autant plus aujourd’hui qu’ils ont vécu la chute et la renaissance du GAPM. Nous sommes très soucieux de leur bien-être, en termes de conditions de travail, de protection statutaire et de montées en compétences. Le GAPM se positionne, aujourd’hui, comme une entreprise à valeur ajoutée, à forte cohésion interne, où les réussites individuelles et collectives sont reconnues et célébrées.
Justement, pourriez-vous nous parler du GAPM en 2024 ?
Ce GCS public à but non lucratif et à taille humaine fédère 123 agents et totalise 26 membres, dans les champs sanitaire, social et médico-social, avec des collectivités territoriales et, prochainement, une administration d’État. Nous produisons 3 500 repas normaux par jour, et devrions en atteindre 5 000 avant la fin de l’année. Notre blanchisserie traite pour sa part 9 tonnes de linge par jour, pour le compte des hôpitaux et EHPAD de l’Aude. Du côté de la logistique hôtelière, nous livrons pas moins de 900 références, et prenons également en charge la logistique pharmaceutique des établissements sanitaires et médico-sociaux fonctionnant en dotation globale. Le GAPM déploie une stratégie faisant la part belle aux synergies : nous sommes engagés dans un rapport collaboratif avec nos membres, car nous formons les maillons d’une même chaîne. Chaque site d’implantation est à nos yeux un site pilote pour co-construire une offre adéquate et l’inscrire dans une démarche d’amélioration continue.
Pourriez-vous nous donner quelques exemples illustrant cet état d’esprit ?
Comme vous le savez, l’Aude est un territoire rural. Le travail en réseau est dès lors primordial. Dans cette optique, nous proposons que nos diététiciens puissent intervenir au sein des EHPAD pour partager leur expertise avec les équipes locales. Nous réfléchissons également à la constitution d’une équipe territoriale de pharmacie, à destination des établissements ne disposant pas de pharmacien titulaire sur site. Nous avons, par ailleurs, créé des comptoirs au sein de plusieurs structures médico-sociales, de manière à pouvoir assurer le portage à domicile, y compris pour les personnes les plus isolées. Les initiatives sont nombreuses, nous cherchons continuellement à renforcer notre ancrage territorial. Nous comptons entre autres projets acquérir un Food Truck, qui pourra se déplacer entre différents EHPAD pour réenchanter le quotidien des résidents.
Le mot de la fin ?
Depuis l’arrivée de Jean-Marie Bolliet, le nouvel administrateur, nous restons, vous l’aurez compris, pleinement mobilisés pour participer à l‘animation de notre territoire, et cette volonté est reconnue par les tutelles. L’ARS Occitanie nous a toujours fait confiance et le Conseil départemental de l’Aude est devenu membre du GCS. Nous souhaitons nous positionner comme une maison à vocation départementale des services publics logistiques, en coopérant avec tous les opérateurs des trois fonctions publiques, pour porter nos missions communes d’utilité sociale. Notre modèle idéal ? Une plateforme médico-logistique hors les murs, animée par le même esprit de mutualisation coopérative, et au sein de laquelle chaque acteur sera source de valeur et contribuera au bien collectif.
> Article paru dans Hospitalia #65, édition de mai 2024, à lire ici
Georges Saint-Jevin : Tout a commencé au début des années 2000. Confrontés à l’obsolescence de leurs outils de production culinaire, le Centre hospitalier de Carcassonne et l’Union sanitaire et sociale Aude Pyrénées (USSAP) avaient décidé de mutualiser cette fonction au sein d’une construction neuve. L’Agence régionale de l’hospitalisation, ancêtre de l’Agence régionale de santé, avait cependant imposé trois conditions : élargir les activités de la future plateforme à l’ensemble des prestations médico-logistiques – magasin central, cuisine, blanchisserie, pharmacie –, la dimensionner de manière à répondre aux besoins des autres établissements sanitaires, médico-sociaux et sociaux de l’Aude, et l’inscrire dans le cadre d’un partenariat public-privé (PPP), concept alors à la mode. En 2009, le GAPM voit le jour avec six membres fondateurs, dont le CH de Carcassonne et l’USSAP. Il fait l’objet d’un bail emphytéotique de 27 ans, durant lesquels le partenaire privé s’engage à le maintenir en conditions opérationnelles, et le CH de Carcassonne, auquel était rattaché le groupement de coopération sanitaire (GCS) exploitant, à verser un loyer annuel qui, à bien des égards, était prohibitif.
D’autant que la donne était faussée dès le départ…
Certaines mutualisations ne pouvaient être effectives qu’à moyen terme. Entre 2010 et 2018, le GCS exploitant accumule donc un déficit à hauteur d’un million d’euros par an (9 millions en cumulé de report négatif). En 2017, l’USSAP se retire partiellement du groupement, qui perd alors la production de 2 000 repas/jour, soit la moitié de ses recettes sur ce périmètre. L’inquiétude gronde auprès des établissements fondateurs, qui souhaitent suivre le mouvement. À la demande de l’administrateur de l’époque, Alain Guinamant, j’accepte de réaliser un audit interne qui me permet de percevoir le potentiel de la plateforme. Constatant la motivation de ses équipes, j’accepte de tenter de redresser la situation. Au début envisagée, l’attribution de la concession à un partenaire privé, jugée par nature plus performante, ne me semble pas opportune. Pour moi, la cause principale vient justement du modèle PPP : le GCS n’avait aucun pouvoir décisionnel sur ses facteurs de production, et ne pouvait pas être rendu responsable des trappes d’inefficacité qui lui étaient reprochées. Nous décidons donc de viser la résiliation du bail emphytéotique. Dès 2018, grâce à ses efforts de gestion et de rationalité, le GAPM dégage un bénéfice de 155 000 €, puis de 168 000 en 2019.
Et ensuite ?
Les années 2018-2020 ont été très instructives, car elles ont permis de démontrer qu’une structure de droit public pouvait trouver des chemins de croissance de manière très réactive. Durant cette période nous nous sommes réapproprié les performances métiers, en retrouvant la maîtrise de nos outils, en nous engageant sur des bonnes pratiques, en valorisant le potentiel des agents et en mettant leur savoir-faire en œuvre. Grâce à ça, nous avons pu inverser le rapport de force, obtenant en 2021 la résiliation à l’amiable du bail emphytéotique. Cette même année, nous avons dégagé un excédant de 2,5 millions d’euros ! En 2023, malgré une inflation galopante des matières premières, nous avons réussi à ne pas augmenter nos tarifs, et même à les baisser grâce à nos gains de productivité très élevés. Le coût du repas a ainsi été divisé par deux par rapport à 2018. À ce jour, notre report à nouveau négatif a été presque entièrement comblé.
Un défi qui n’aurait pas pu être relevé sans la mobilisation des agents du GAPM…
Notre plateforme est implantée sur le site du CH de Carcassonne. Bien que nos agents ne soient pas en contact direct avec les patients, ils ont un réel sentiment d’appartenance à la communauté hospitalière et mettent tout en œuvre pour exécuter les missions de service public qui leur sont confiées. Cette abnégation professionnelle a notamment été perceptible durant la première vague Covid, lorsqu’ils ont redoublé d’efforts pour assurer des prestations hautement qualitatives, en particulier pour les repas des résidents confinés dans les EHPAD. Et cet engagement se poursuit d’autant plus aujourd’hui qu’ils ont vécu la chute et la renaissance du GAPM. Nous sommes très soucieux de leur bien-être, en termes de conditions de travail, de protection statutaire et de montées en compétences. Le GAPM se positionne, aujourd’hui, comme une entreprise à valeur ajoutée, à forte cohésion interne, où les réussites individuelles et collectives sont reconnues et célébrées.
Justement, pourriez-vous nous parler du GAPM en 2024 ?
Ce GCS public à but non lucratif et à taille humaine fédère 123 agents et totalise 26 membres, dans les champs sanitaire, social et médico-social, avec des collectivités territoriales et, prochainement, une administration d’État. Nous produisons 3 500 repas normaux par jour, et devrions en atteindre 5 000 avant la fin de l’année. Notre blanchisserie traite pour sa part 9 tonnes de linge par jour, pour le compte des hôpitaux et EHPAD de l’Aude. Du côté de la logistique hôtelière, nous livrons pas moins de 900 références, et prenons également en charge la logistique pharmaceutique des établissements sanitaires et médico-sociaux fonctionnant en dotation globale. Le GAPM déploie une stratégie faisant la part belle aux synergies : nous sommes engagés dans un rapport collaboratif avec nos membres, car nous formons les maillons d’une même chaîne. Chaque site d’implantation est à nos yeux un site pilote pour co-construire une offre adéquate et l’inscrire dans une démarche d’amélioration continue.
Pourriez-vous nous donner quelques exemples illustrant cet état d’esprit ?
Comme vous le savez, l’Aude est un territoire rural. Le travail en réseau est dès lors primordial. Dans cette optique, nous proposons que nos diététiciens puissent intervenir au sein des EHPAD pour partager leur expertise avec les équipes locales. Nous réfléchissons également à la constitution d’une équipe territoriale de pharmacie, à destination des établissements ne disposant pas de pharmacien titulaire sur site. Nous avons, par ailleurs, créé des comptoirs au sein de plusieurs structures médico-sociales, de manière à pouvoir assurer le portage à domicile, y compris pour les personnes les plus isolées. Les initiatives sont nombreuses, nous cherchons continuellement à renforcer notre ancrage territorial. Nous comptons entre autres projets acquérir un Food Truck, qui pourra se déplacer entre différents EHPAD pour réenchanter le quotidien des résidents.
Le mot de la fin ?
Depuis l’arrivée de Jean-Marie Bolliet, le nouvel administrateur, nous restons, vous l’aurez compris, pleinement mobilisés pour participer à l‘animation de notre territoire, et cette volonté est reconnue par les tutelles. L’ARS Occitanie nous a toujours fait confiance et le Conseil départemental de l’Aude est devenu membre du GCS. Nous souhaitons nous positionner comme une maison à vocation départementale des services publics logistiques, en coopérant avec tous les opérateurs des trois fonctions publiques, pour porter nos missions communes d’utilité sociale. Notre modèle idéal ? Une plateforme médico-logistique hors les murs, animée par le même esprit de mutualisation coopérative, et au sein de laquelle chaque acteur sera source de valeur et contribuera au bien collectif.
> Article paru dans Hospitalia #65, édition de mai 2024, à lire ici