Thibault Courgeon, élève directeur d’hôpital à l’École des Hautes Études en Santé Publique (EHESP – promotion 2021-2022 Germaine Poinso-Chapuis). ©Simon HERVE
Vous vous intéressez au Lean Design, une démarche découverte au cours de votre stage aux Hospices Civils de Lyon. Pourriez-vous nous en parler ?
Thibault Courgeon : Situé au croisement du Lean Management et du Design Thinking [voir encadré - NDLR], le Lean Design repose sur l’application des outils Lean dès la phase de conception d’un projet, en plaçant les utilisateurs et leurs besoins au cœur du processus. Cette méthode, qui a vu le jour en Amérique du Nord, a notamment été utilisée en 2014 pour la construction du nouveau complexe hospitalier du CHU de Québec, au Canada. En France, sa première mise en œuvre dans le secteur de la santé a eu lieu aux Hospices Civils de Lyon, et plus particulièrement au Groupement Hospitalier Lyon Sud dans le cadre du projet BAURéaLS (blocs, accueil des urgences, réanimation Lyon Sud) : menée entre 2017 et 2019, sa conception avait alors associé 180 professionnels, médicaux et non médicaux. La démarche était donc arrivée à son terme lors de mon arrivée au GH Lyon Sud, en 2022. Pour autant, j’ai pu observer avec beaucoup d’intérêt la traduction du Lean Design dans d’autres projets immobiliers d’envergure comme PRIMAAH, qui vise à regrouper les activités de prélèvements biologiques, d’imagerie et d’admissions à l’entrée de l’Hôpital Lyon Sud.
Quelles sont les caractéristiques d’un projet mené en Lean Design ?
Il y en a deux principales. D’une part, le Lean Design impose un temps de conception plus long par rapport à un projet conventionnel : les organisations sont remises à plat pour repartir d’une feuille blanche, définir librement les différentes possibilités et pouvoir ainsi rédiger un programme fourni. Il s’agit, plus concrètement, de s’inscrire dans une logique d’itération basée sur le principe de la marche en avant, pour pouvoir par la suite avancer de manière plus fluide. Ce temps long permet donc de réduire la durée des phases suivantes, en particulier lorsqu’il s’agira de documenter le projet immobilier. Le Lean Design est, d’autre part, une démarche résolument participative : il implique la participation du plus grand nombre d’utilisateurs et d’usagers, de manière à mieux comprendre leurs besoins, identifier les éventuels dysfonctionnements, réfléchir aux enjeux organisationnels, et pouvoir ainsi proposer des réponses sur-mesure par rapport aux points exprimés. C’est notamment là-dessus que s’est concentré le projet BAURéaLS, dont la méthode de conception est à ce titre particulièrement avant-gardiste.
Justement, pourriez-vous évoquer plus en détail le projet BAURéaLS ?
Ce projet très structurant vise à regrouper l’ensemble des blocs opératoires du GH Lyon Sud sur deux plateaux, à redimensionner et réorganiser le service des urgences – conçu il y a près de 30 ans pour 10 000 passages par an et qui en accueille désormais 40 000 –, et à regrouper sur un site unique les activités critiques que sont la réanimation et l’unité de surveillance continue. Il s’agit donc à la fois de réhabiliter des bâtiments existants et d’en construire de nouveaux. Comme évoqué plus haut, la conception du projet a associé 180 professionnels, tous métiers confondus, car ce sont eux qui connaissent le mieux les problématiques actuelles et peuvent dès lors imaginer les organisations les plus optimales. Ils ont activement participé à la délimitation du projet dès la phase préparatoire, en déterminant les variants et invariants – soit les éléments pouvant évoluer et ceux non modifiables – pour proposer des solutions novatrices répondant aux enjeux actuels et anticipant ceux à venir.
L’innovation représente d’ailleurs un marqueur fort de la démarche Lean Design…
Celle-ci encourage et favorise en effet l’innovation, car elle donne une place importante à la réflexion prospective et au benchmarking. Par exemple, BAURéaLS a permis de faire émerger une structure dite GéoLab, qui permet de préparer le matériel de bloc opératoire sous la forme de géodes correspondant chacune à un type d’intervention. En répondant à des besoins très opérationnels, elle a un impact direct sur la performance des organisations, puisqu’elle contribue à la fois à limiter le sur-stockage et à dynamiser les flux. Cela dit, toute démarche de Lean Design correctement menée se traduit par des gains de performance, grâce justement à la mise en œuvre d’une réflexion conjointe associant l’ensemble des parties prenantes. Les différents métiers peuvent mieux comprendre leurs besoins respectifs, mais aussi mieux appréhender les contraintes auxquelles l’institution fait face, sur les plans bâtimentaire et financier, ou en termes d’effectifs. La somme de tous ces échanges permet justement de réinterroger l’existant pour imaginer de nouvelles réponses selon le principe du KAIZEN, une méthode d’amélioration continue fondée sur des actions concrètes, souvent simples et peu onéreuses.
Quels autres enseignements en tirer ?
L’approche collective inscrite au cœur du Lean Design a un autre avantage : au-delà de structurer une véritable équipe projet, elle contribue sensiblement à l’adhésion de tous et facilite à ce titre la conduite du changement. En permettant aux utilisateurs de jouer un rôle actif, pour à la fois exprimer leurs besoins et participer aux arbitrages, elle fait en quelque sorte tomber les barrières entre les différents métiers et renforce la culture du travail en groupe, qui elle-même favorise le sentiment d’appartenance à une structure donnée. Le Lean Design est donc susceptible d’encourager l’engagement collectif professionnel, l’aspiration à participer à son environnement de travail. Il a à ce titre un réel intérêt sur le plan managérial, et ses outils gagneraient à être utilisés au quotidien. Ce constat a d’ailleurs été posé par le GH Lyon Sud, qui s’attache depuis à capitaliser sur l’expérience menée dans le cadre de BAURéaLS.
Identifiez-vous des points de vigilance pour la mise en œuvre d’une démarche projet en Lean Design ?
Je me dois d’abord de souligner que les premiers enseignements tirés de l’expérience BAURéaLS, notamment en termes de performance, sont pour l’essentiel basés sur les avis des professionnels eux-mêmes. Il faudrait attendre que le projet arrive à son terme pour mener une évaluation objective et formelle et en tirer de réelles conclusions. Pour ce qui est des points de vigilance : le Lean Design est une démarche nécessitant un certain savoir-faire méthodologique. Il peut donc être opportun, du moins pour une première expérience, de faire appel à un prestataire extérieur. C’est d’ailleurs l’approche retenue par le GH Sud Lyon pour BAURéaLS ; il est, depuis, en capacité de développer des projets en Lean Design de manière totalement autonome. Autre difficulté potentielle : comme nous l’avons vu, ce type de démarche nécessite de mobiliser des ressources humaines et matérielles durant un temps long. Il impose un engagement fort de la part des professionnels participant aux travaux, qui viennent s’ajouter à leurs tâches quotidiennes. Cela avait été possible en 2017 à Lyon, mais le contexte actuel y est peut-être moins propice…
Le mot de la fin ?
Il n’y a pas encore, aujourd’hui, de guide prêt à l’emploi pour la mise en œuvre d’un projet en Lean Design, mais les établissements intéressés peuvent notamment consulter la littérature scientifique à ce sujet, qui porte pour l’essentiel sur des projets hospitaliers menés hors de France. En tout état de cause, un établissement souhaitant se lancer dans la démarche devrait en premier lieu réaliser une analyse d’opportunité : l’approche Lean Design serait-elle source de valeur ajoutée par rapport à la méthode conventionnelle ? Les délais sont-ils compatibles avec ce nécessaire temps long évoqué plus haut ? Les professionnels concernés sont-ils disponibles et prêts à s’engager ? Si le choix du Lean Design est conforté, il ne faut pas céder à la tentation de réduire le temps de conception, ou de limiter les moyens et ressources qui y sont dédiées : le Lean Design est une démarche exigeante, qui ne porte ses fruits que lorsqu’elle est déployée de manière rigoureuse.
Article publié dans l'édition de décembre 2022 d'Hospitalia à lire ici.
Thibault Courgeon : Situé au croisement du Lean Management et du Design Thinking [voir encadré - NDLR], le Lean Design repose sur l’application des outils Lean dès la phase de conception d’un projet, en plaçant les utilisateurs et leurs besoins au cœur du processus. Cette méthode, qui a vu le jour en Amérique du Nord, a notamment été utilisée en 2014 pour la construction du nouveau complexe hospitalier du CHU de Québec, au Canada. En France, sa première mise en œuvre dans le secteur de la santé a eu lieu aux Hospices Civils de Lyon, et plus particulièrement au Groupement Hospitalier Lyon Sud dans le cadre du projet BAURéaLS (blocs, accueil des urgences, réanimation Lyon Sud) : menée entre 2017 et 2019, sa conception avait alors associé 180 professionnels, médicaux et non médicaux. La démarche était donc arrivée à son terme lors de mon arrivée au GH Lyon Sud, en 2022. Pour autant, j’ai pu observer avec beaucoup d’intérêt la traduction du Lean Design dans d’autres projets immobiliers d’envergure comme PRIMAAH, qui vise à regrouper les activités de prélèvements biologiques, d’imagerie et d’admissions à l’entrée de l’Hôpital Lyon Sud.
Quelles sont les caractéristiques d’un projet mené en Lean Design ?
Il y en a deux principales. D’une part, le Lean Design impose un temps de conception plus long par rapport à un projet conventionnel : les organisations sont remises à plat pour repartir d’une feuille blanche, définir librement les différentes possibilités et pouvoir ainsi rédiger un programme fourni. Il s’agit, plus concrètement, de s’inscrire dans une logique d’itération basée sur le principe de la marche en avant, pour pouvoir par la suite avancer de manière plus fluide. Ce temps long permet donc de réduire la durée des phases suivantes, en particulier lorsqu’il s’agira de documenter le projet immobilier. Le Lean Design est, d’autre part, une démarche résolument participative : il implique la participation du plus grand nombre d’utilisateurs et d’usagers, de manière à mieux comprendre leurs besoins, identifier les éventuels dysfonctionnements, réfléchir aux enjeux organisationnels, et pouvoir ainsi proposer des réponses sur-mesure par rapport aux points exprimés. C’est notamment là-dessus que s’est concentré le projet BAURéaLS, dont la méthode de conception est à ce titre particulièrement avant-gardiste.
Justement, pourriez-vous évoquer plus en détail le projet BAURéaLS ?
Ce projet très structurant vise à regrouper l’ensemble des blocs opératoires du GH Lyon Sud sur deux plateaux, à redimensionner et réorganiser le service des urgences – conçu il y a près de 30 ans pour 10 000 passages par an et qui en accueille désormais 40 000 –, et à regrouper sur un site unique les activités critiques que sont la réanimation et l’unité de surveillance continue. Il s’agit donc à la fois de réhabiliter des bâtiments existants et d’en construire de nouveaux. Comme évoqué plus haut, la conception du projet a associé 180 professionnels, tous métiers confondus, car ce sont eux qui connaissent le mieux les problématiques actuelles et peuvent dès lors imaginer les organisations les plus optimales. Ils ont activement participé à la délimitation du projet dès la phase préparatoire, en déterminant les variants et invariants – soit les éléments pouvant évoluer et ceux non modifiables – pour proposer des solutions novatrices répondant aux enjeux actuels et anticipant ceux à venir.
L’innovation représente d’ailleurs un marqueur fort de la démarche Lean Design…
Celle-ci encourage et favorise en effet l’innovation, car elle donne une place importante à la réflexion prospective et au benchmarking. Par exemple, BAURéaLS a permis de faire émerger une structure dite GéoLab, qui permet de préparer le matériel de bloc opératoire sous la forme de géodes correspondant chacune à un type d’intervention. En répondant à des besoins très opérationnels, elle a un impact direct sur la performance des organisations, puisqu’elle contribue à la fois à limiter le sur-stockage et à dynamiser les flux. Cela dit, toute démarche de Lean Design correctement menée se traduit par des gains de performance, grâce justement à la mise en œuvre d’une réflexion conjointe associant l’ensemble des parties prenantes. Les différents métiers peuvent mieux comprendre leurs besoins respectifs, mais aussi mieux appréhender les contraintes auxquelles l’institution fait face, sur les plans bâtimentaire et financier, ou en termes d’effectifs. La somme de tous ces échanges permet justement de réinterroger l’existant pour imaginer de nouvelles réponses selon le principe du KAIZEN, une méthode d’amélioration continue fondée sur des actions concrètes, souvent simples et peu onéreuses.
Quels autres enseignements en tirer ?
L’approche collective inscrite au cœur du Lean Design a un autre avantage : au-delà de structurer une véritable équipe projet, elle contribue sensiblement à l’adhésion de tous et facilite à ce titre la conduite du changement. En permettant aux utilisateurs de jouer un rôle actif, pour à la fois exprimer leurs besoins et participer aux arbitrages, elle fait en quelque sorte tomber les barrières entre les différents métiers et renforce la culture du travail en groupe, qui elle-même favorise le sentiment d’appartenance à une structure donnée. Le Lean Design est donc susceptible d’encourager l’engagement collectif professionnel, l’aspiration à participer à son environnement de travail. Il a à ce titre un réel intérêt sur le plan managérial, et ses outils gagneraient à être utilisés au quotidien. Ce constat a d’ailleurs été posé par le GH Lyon Sud, qui s’attache depuis à capitaliser sur l’expérience menée dans le cadre de BAURéaLS.
Identifiez-vous des points de vigilance pour la mise en œuvre d’une démarche projet en Lean Design ?
Je me dois d’abord de souligner que les premiers enseignements tirés de l’expérience BAURéaLS, notamment en termes de performance, sont pour l’essentiel basés sur les avis des professionnels eux-mêmes. Il faudrait attendre que le projet arrive à son terme pour mener une évaluation objective et formelle et en tirer de réelles conclusions. Pour ce qui est des points de vigilance : le Lean Design est une démarche nécessitant un certain savoir-faire méthodologique. Il peut donc être opportun, du moins pour une première expérience, de faire appel à un prestataire extérieur. C’est d’ailleurs l’approche retenue par le GH Sud Lyon pour BAURéaLS ; il est, depuis, en capacité de développer des projets en Lean Design de manière totalement autonome. Autre difficulté potentielle : comme nous l’avons vu, ce type de démarche nécessite de mobiliser des ressources humaines et matérielles durant un temps long. Il impose un engagement fort de la part des professionnels participant aux travaux, qui viennent s’ajouter à leurs tâches quotidiennes. Cela avait été possible en 2017 à Lyon, mais le contexte actuel y est peut-être moins propice…
Le mot de la fin ?
Il n’y a pas encore, aujourd’hui, de guide prêt à l’emploi pour la mise en œuvre d’un projet en Lean Design, mais les établissements intéressés peuvent notamment consulter la littérature scientifique à ce sujet, qui porte pour l’essentiel sur des projets hospitaliers menés hors de France. En tout état de cause, un établissement souhaitant se lancer dans la démarche devrait en premier lieu réaliser une analyse d’opportunité : l’approche Lean Design serait-elle source de valeur ajoutée par rapport à la méthode conventionnelle ? Les délais sont-ils compatibles avec ce nécessaire temps long évoqué plus haut ? Les professionnels concernés sont-ils disponibles et prêts à s’engager ? Si le choix du Lean Design est conforté, il ne faut pas céder à la tentation de réduire le temps de conception, ou de limiter les moyens et ressources qui y sont dédiées : le Lean Design est une démarche exigeante, qui ne porte ses fruits que lorsqu’elle est déployée de manière rigoureuse.
Article publié dans l'édition de décembre 2022 d'Hospitalia à lire ici.
Lexique
Lean Management : Inspirée du système de production de Toyota, au Japon, cette méthode d’organisation du travail est basée sur une gestion sans gaspillage, afin d’améliorer l’efficacité et la performance d’une entreprise, mais aussi assurer le succès de ses employés et la satisfaction de ses clients.
Design Thinking : Formalisée dans les années 1980, notamment à l’Université de Stanford aux États-Unis, cette méthode de gestion de l’innovation est basée sur une approche collaborative, c’est-à-dire l’implication des utilisateurs et destinataires dans un processus de co-créativité.
Lean Management : Inspirée du système de production de Toyota, au Japon, cette méthode d’organisation du travail est basée sur une gestion sans gaspillage, afin d’améliorer l’efficacité et la performance d’une entreprise, mais aussi assurer le succès de ses employés et la satisfaction de ses clients.
Design Thinking : Formalisée dans les années 1980, notamment à l’Université de Stanford aux États-Unis, cette méthode de gestion de l’innovation est basée sur une approche collaborative, c’est-à-dire l’implication des utilisateurs et destinataires dans un processus de co-créativité.