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La radiologie interventionnelle à la conquête de l’espace


Rédigé par Aurélie Pasquelin le Mardi 11 Juin 2024 à 16:50 | Lu 1378 fois


Depuis 2020, le Centre national d’études spatiales (CNES), l’Institut de médecine et physiologie spatiales (MEDES) et la Société française de radiologie (SFR), œuvrent à la création d’outils pour renforcer la sécurité des astronautes. De cette réflexion collaborative est notamment née la « Mars Interventional Radiology Toolbox », une trousse pensée pour réaliser des actes de radiologie interventionnelle dans un contexte de micropesanteur. Un défi technique qui met en avant la discipline et invite à l’innovation, comme nous l’explique le Professeur Vincent Vidal, responsable du projet et chef du service de Radiologie interventionnelle à l’Hôpital marseillais de la Timone.



La radiologie interventionnelle à la conquête de l’espace
Pourriez-vous, pour commencer, évoquer le partenariat ayant mené à la création de la « Mars IR Toolbox » ?

Pr Vincent Vidal : Noué entre le Centre national d’études spatiales (CNES), l’Institut de médecine et physiologie spatiales (MEDES) et la Société française de radiologie (SFR), celui-ci vise à assurer une meilleure prise en charge de pathologies potentiellement rencontrées lors des missions spatiales. Il repose sur trois objectifs : le développement du traitement des images par intelligence artificielle, la miniaturisation des équipements d’imagerie, et l’intégration de la radiologie interventionnelle. Sur ce dernier point, vous imaginez bien qu’il est très difficile de réaliser un acte chirurgical dans l'espace, compte tenu des contraintes inhérentes à ce milieu si particulier. La radiologie interventionnelle, qui nécessite un matériel peu encombrant et permet de réaliser des interventions mini-invasives sous anesthésie locale, y a donc toute sa place.  

Pourquoi avoir spécifiquement imaginé cette box pour les missions sur Mars ?
Parce que, contrairement à la Station spatiale internationale, où les délais de transmission des communications, voire de rapatriement d’un malade, sont relativement faibles, les problématiques de santé liées à un voyage sur Mars sont exceptionnelles ! La donne est tout de suite différente dès lors que l’on parle de voyage interplanétaire. Par exemple, il faut au minimum trois ans pour aller sur Mars. Durant ce laps de temps, l’équipage devra être presque totalement autonome : les communications directes avec les équipes sur Terre ne seront pas possibles, les échanges se feront par le biais de messages ou de vidéos qui mettront entre 20 et 40 minutes à atteindre leurs destinataires. Cet isolement est finalement l’une des plus grandes contraintes des prochaines missions martiennes.

Comment cela se répercute-t-il sur le plan médical ?

Chaque équipage sera a priori composé de cinq à six personnes aux compétences variées, dont un médecin qui devrait, bien sûr, avoir des notions dans toutes les spécialités, y compris la dentisterie, la traumatologie, la réanimation… Notre objectif, au travers du partenariat entre le CNES, la MEDES et la SFR, est d’apporter des notions additionnelles en radiologie interventionnelle pour soigner plusieurs pathologies, comme les coliques néphrétiques. Nous les avons d’ailleurs prises en exemple pour la réalisation de la Mars IR Toolbox. À cause de la microgravité, les astronautes sont davantage sujets à cette pathologie, qui peut se transformer en pyélonéphrite septique et entraîner le décès. La prise en charge de cette complication est relativement aisée sur Terre, puisqu’il suffit au radiologue interventionnel de pratiquer une néphrostomie, pour drainer le rein par voie translombaire et ainsi évacuer les urines. Ce geste est sensiblement plus complexe dans l’espace, a fortiori lorsqu’il n’est pas réalisé par un radiologue. C’est pourquoi développer une boîte à outils facilitant ce type d’intervention dans ce contexte si particulier est essentiel à la bonne prise en charge du patient. 

Quelles ont été les contraintes rencontrées ici ?

Une trousse de radiologie interventionnelle compatible avec l'espace doit être ignifugée, peu encombrante, légère et polyvalente. Tous les instruments doivent être fixés pour éviter qu’ils ne « volent » à cause de la microgravité, mais ils doivent aussi rester facilement accessibles pour la personne réalisant l’intervention. Et ce sont loin d’être les seules contraintes. Dans le cas du drainage, par exemple, le circuit doit être en boucle fermée, pour éviter que les liquides ne s’échappent dans la capsule. Une autre problématique majeure réside dans la formation des astronautes à la réalisation de ces gestes. Pour l’adresser, nous avons participé à la mission analogue Asclépios III, qui s’est déroulée en Suisse dans un environnement simulant la vie au pôle Sud de la Lune. Nous avons ainsi pu entraîner des astronautes à réaliser des drainages sur simulateurs, démontrant qu’ils étaient capables de mener ces actes à bien, sous réserve de disposer de l’équipement adéquat, d’y avoir été dûment formés et de pouvoir s’appuyer en parallèle sur des supports vidéos.
 

La radiologie interventionnelle à la conquête de l’espace

Vous avez également postulé à un vol à gravité zéro au sein de l’Airbus A310 zéroG, basé à Bordeaux…

Notre projet est actuellement en phase de sélection pour effectuer ce vol et ainsi tester le matériel de manière plus poussée. Réalisé dans une boîte à gant de laboratoire, pour ne pas gêner les autres expérimentations, ce test en conditions de microgravité nous permettra notamment de mieux appréhender la disposition des outils fixés à la trousse. À l’issue de ces essais, et une fois les résultats analysés, nous serons alors en mesure de finaliser la Mars IR Toolbox pour, nous l’espérons, la voir intégrée au programme spatial Artémis, qui prévoit l’envoi d’un équipage sur la Lune dans les prochaines années. 

La Lune est-elle donc aussi l’un de vos objectifs ?

En réalité, et de manière quelque peu indirecte, le premier objectif est de ne pas avoir à se servir du matériel. Cela étant dit, le contexte spatial impose une gestion dichotomique du risque médical, pathologie par pathologie en fonction de sa fréquence, de son impact, de la faisabilité du traitement compte tenu de la situation… La radiologie interventionnelle n’est donc qu’un outil additionnel pour pouvoir prendre en charge des pathologies supplémentaires en utilisant un matériel léger, sur la Lune, sur Mars ou ailleurs dans l’espace. Mais penser le soin dans cet environnement lointain et isolé est également bénéfique à la pratique médicale sur Terre : adapter les actes et les procédures à l’espace engendre des simplifications et des standardisations, qui sont profitables à tous. Notre réflexion s’inscrit donc certes dans une approche extra-terrestre, mais ce type de projet a également vocation à servir notre propre planète, et particulièrement les territoires où l’accès aux services de santé est encore difficile. La trousse de radiologie interventionnelle, mais aussi le système de formation développé pour que les astronautes puissent réaliser les gestes nécessaires, peuvent y être très utiles. In fine, Mars est aussi un désert médical !

Quels sont, à votre sens, les autres bénéfices offerts par ce type de projets ?

La finalité sous-jacente est aussi de valoriser notre spécialité, la radiologie interventionnelle, encore très mal connue du grand public – et même de nos tutelles. L’espace est une formidable tribune, car il fait rêver. Le fait que la radiologie interventionnelle puisse s’y développer est d’ailleurs, à mes yeux, fantastique. Bien sûr, il nous faut aussi faire connaître nos travaux au niveau européen et même mondial, tout en mettant en lumière l’implication et la force du groupe de travail français. Nous avons d’ailleurs déjà publié deux articles dans CardioVascular and Interventional Radiology (CVIS), la plus grande revue de radiologie interventionnelle européenne. 

Justement, comment s’est formé le groupe de radiologues ayant travaillé sur la Mars IR Toolbox ?

Tout a commencé lorsque la Société française de radiologie a lancé un appel pour constituer une équipe de radiologues hospitaliers et libéraux. Rapidement, un groupe s’est formé avec douze radiologues exerçant partout en France. Du temps, et plusieurs rencontres, ont été nécessaires pour mener à bien les premiers travaux. Intégrés au partenariat entre la SFR, le CNES et la MEDES, nous avons été invités à visiter plusieurs installations toulousaines, dont la Cité de l’espace. Nous avons également été mis en relation avec le Pr Dominique Martin, premier chirurgien à avoir réalisé une intervention en microgravité. Si nous sommes retenus pour effectuer un vol dans l’Airbus A310 zéroG, nous devrions d’ailleurs être les premiers à réaliser un geste de radiologie interventionnelle en microgravité. C’est là aussi une perspective très enthousiasmante. 

Quelles sont les prochaines étapes pour l’intégration de la radiologie interventionnelle aux programmes spatiaux ?

Nous sommes loin d’avoir passé toutes les marches. Si nous prenons l’exemple de la Mars IR Toolbox, l’essai en microgravité que nous espérons réaliser sera opéré par un radiologue interventionnel. Mais il n’y aura aucun confrère dans la navette pour Mars ! Nous devons donc continuer à travailler sur la formation des astronautes et des médecins membres des missions spatiales, car ils devront pouvoir reproduire les gestes de façon sécuritaire. C’est là un premier défi à relever pour assurer l’intégration effective de la radiologie interventionnelle dans les programmes spatiaux. Un autre enjeu a trait au développement d’outils embarqués utilisant les rayons X. La NASA, et le radiologue américain David Lerner, ont ici déjà obtenu des résultats prometteurs, et cette technologie est vouée à progresser au cours des prochaines années. Le voyage sur Mars n’est d’ailleurs pas envisagé à court terme. Une vingtaine d’années sera encore nécessaire pour « lancer la fusée ». D’ici là, de nombreuses innovations techniques et humaines auront fait évoluer le monde de la radiologie.  

> Article paru dans Hospitalia #65, édition de mai 2024, à lire ici 
 






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