Qu’ est-ce qui fait la spécificité de l’AP-HM par rapport à d’autres établissements de santé en matière de gestion de crise ?
Daniel Pantalacci : D’abord sa dimension multi-sites, qui nécessite de mettre en œuvre une organisation structurée avec un niveau central et un niveau local. Ainsi, en cas de déclenchement du Plan Blanc, c’est l’échelon central, la direction générale, qui décide de l’activer sur un ou plusieurs sites. Ce dispositif « administration centrale » permet de mettre en œuvre une cellule de crise à l’échelle de l’institution ; véritable organe de commandement, elle est en lien avec les autorités et coordonne les actions des différents sites. Le dispositif « site », qui arme une cellule locale de crise, porte la déclinaison opérationnelle du Plan Blanc. Il faut donc trouver le bon équilibre pour que l’ensemble soit efficace et que chaque acteur y trouve sa place. Deuxième spécificité : l’AP-HM est l’établissement sanitaire de référence pour la zone de défense Sud, qui comprend les régions PACA, Occitanie et Corse – soit un territoire de près de 113 000 km2. Le maintien de l’activité y est donc essentiel, d’autant plus en cas de situation exceptionnelle.
L’AP-HM aborde la gestion de crise à travers différents prismes. Quels sont les dispositifs existants ?
Sur le plan sanitaire, notre organisation de gestion de crise s’articule principalement autour des dispositifs Hôpital en Tension et Plan Blanc. Déclenché à un niveau inférieur au Plan Blanc, le dispositif Hôpital en Tension permet de répondre, à un instant T, à une saturation des services d’urgence. Une cellule de crise est alors activée sur chaque site concerné pour faire un point de situation journalier, notamment en période d’épidémie grippale. Le Plan Blanc est quant à lui réservé aux situations véritablement exceptionnelles à conséquences sanitaires graves. Il a, à ma connaissance, pour la dernière fois été déclenché en 1992, lors de la catastrophe de Furiani*. D’autres plans permettent de mettre en œuvre des mesures préventives, à l’instar des Plans Canicule, Grand Froid, Arbovirose ou Épidémie.
Qu’en est-il du Plan de continuité de l’activité ?
Celui-ci permet de maintenir les activités vitales essentielles au fonctionnement hospitalier. Régulièrement réactualisé, il définit une stratégie de continuité d’activité en regard des risques naturels (inondation, incendie, tempête), technologiques (accident nucléaire, panne électrique, coupure de l’alimentation en eau) et sanitaires – une pandémie aura par exemple des impacts sur la disponibilité de notre personnel. Sans oublier les actes de malveillance, comme le sabotage des infrastructures, les cyber-attaques ou le vol de produits de santé. Nous avons donc établi une échelle des risques, tout en travaillant également sur la conjonction de plusieurs événements. Ce Plan nous permet de prioriser nos actions en fonction des secteurs où la continuité de l’activité est indispensable et le fonctionnement en mode dégradé admissible. Ainsi un dispositif de continuité d’activité est organisé pour la plateforme logistique, qui gère les process stérilisation, blanchisserie, cuisine, et magasins.
Daniel Pantalacci : D’abord sa dimension multi-sites, qui nécessite de mettre en œuvre une organisation structurée avec un niveau central et un niveau local. Ainsi, en cas de déclenchement du Plan Blanc, c’est l’échelon central, la direction générale, qui décide de l’activer sur un ou plusieurs sites. Ce dispositif « administration centrale » permet de mettre en œuvre une cellule de crise à l’échelle de l’institution ; véritable organe de commandement, elle est en lien avec les autorités et coordonne les actions des différents sites. Le dispositif « site », qui arme une cellule locale de crise, porte la déclinaison opérationnelle du Plan Blanc. Il faut donc trouver le bon équilibre pour que l’ensemble soit efficace et que chaque acteur y trouve sa place. Deuxième spécificité : l’AP-HM est l’établissement sanitaire de référence pour la zone de défense Sud, qui comprend les régions PACA, Occitanie et Corse – soit un territoire de près de 113 000 km2. Le maintien de l’activité y est donc essentiel, d’autant plus en cas de situation exceptionnelle.
L’AP-HM aborde la gestion de crise à travers différents prismes. Quels sont les dispositifs existants ?
Sur le plan sanitaire, notre organisation de gestion de crise s’articule principalement autour des dispositifs Hôpital en Tension et Plan Blanc. Déclenché à un niveau inférieur au Plan Blanc, le dispositif Hôpital en Tension permet de répondre, à un instant T, à une saturation des services d’urgence. Une cellule de crise est alors activée sur chaque site concerné pour faire un point de situation journalier, notamment en période d’épidémie grippale. Le Plan Blanc est quant à lui réservé aux situations véritablement exceptionnelles à conséquences sanitaires graves. Il a, à ma connaissance, pour la dernière fois été déclenché en 1992, lors de la catastrophe de Furiani*. D’autres plans permettent de mettre en œuvre des mesures préventives, à l’instar des Plans Canicule, Grand Froid, Arbovirose ou Épidémie.
Qu’en est-il du Plan de continuité de l’activité ?
Celui-ci permet de maintenir les activités vitales essentielles au fonctionnement hospitalier. Régulièrement réactualisé, il définit une stratégie de continuité d’activité en regard des risques naturels (inondation, incendie, tempête), technologiques (accident nucléaire, panne électrique, coupure de l’alimentation en eau) et sanitaires – une pandémie aura par exemple des impacts sur la disponibilité de notre personnel. Sans oublier les actes de malveillance, comme le sabotage des infrastructures, les cyber-attaques ou le vol de produits de santé. Nous avons donc établi une échelle des risques, tout en travaillant également sur la conjonction de plusieurs événements. Ce Plan nous permet de prioriser nos actions en fonction des secteurs où la continuité de l’activité est indispensable et le fonctionnement en mode dégradé admissible. Ainsi un dispositif de continuité d’activité est organisé pour la plateforme logistique, qui gère les process stérilisation, blanchisserie, cuisine, et magasins.
Daniel Pantalacci, directeur de la sécurité des biens et des personnes, et de la gestion de crise ©AP-HM
Ce Plan de continuité de l’activité s’articule donc avec le Plan Blanc.
Traditionnellement axé sur la sécurité de la prise en charge des victimes, le Plan Blanc s’inscrit de plus en plus dans une stratégie de sécurisation globale, en lien avec le plan de sécurité de l’établissement (qui concerne la sécurité des agents, des patients, du public et des infrastructures) et le plan de continuité de l’activité. D’où, d’ailleurs, ma double casquette sûreté/gestion de crise, qui permet d’avoir une vision transversale et cohérente des enjeux en présence. La façon même dont nous appréhendons le Plan Blanc a changé : nous avons par exemple constitué, début 2016 – soit peu après les attentats de Paris et à quelques mois de l’Euro de Football –, une cellule médico-administrative, associant la Direction Générale, la Présidence de la CME, les directeurs de sites et le SAMU, et qui a entièrement revu le dispositif à la lumière de l’actualité. Elle est aujourd’hui relayée par des cellules sur sites, qui œuvrent de manière continue. C’est là une autre évolution récente : le Plan Blanc était auparavant actualisé une fois par an, il est désormais mis à jour au fil de l’eau. Nous avons également identifié, sur chaque site, une équipe référente pour la gestion des situations sanitaires exceptionnelles. Composée d’un directeur, d’un médecin, d’un soignant et d’un pharmacien, elle constitue mon interlocuteur privilégié à l’échelle locale, pour gérer la coordination sur site, identifier les besoins en termes de formation, organiser des exercices et adapter si nécessaire le plan de gestion de crise.
Pouvez-vous me détailler quelques unes des révisions apportées au Plan Blanc ?
Nous nous sommes essentiellement attachés à revoir nos processus pour pouvoir accueillir un plus grand nombre de victimes en situation d’urgence absolue – en cas d’événement exceptionnel, les hôpitaux Nord et Timone seront en effet en première ligne, aux côtés de l’Hôpital d’Instruction des Armées Laveran. Nous avons donc conçu un point unique de réception des victimes, adultes et enfants, chargé de faire le tri entre urgences absolues et relatives. Les victimes les plus gravement atteintes pourront être immédiatement prises en charge par des postes de soins opérationnels. L’enjeu est d’aller vite et bien, en appliquant la doctrine dite de « damage control » notamment en cas d’attentat : cette chirurgie de sauvetage minimaliste consiste à prodiguer d’abord les soins vitaux qui permettent d’assurer la survie du patient, sans chercher à s’occuper totalement de tous ses problèmes. Nous avons également prévu que les Hôpitaux Sud et la Conception, qui ne disposent pas de services d’urgence, puissent prendre en charge des victimes a minima. Nous ne pourrons en effet pas totalement maîtriser les flux, puisque des personnes peuvent venir à l’hôpital par leurs propres moyens. Les équipements ont en outre été mis à niveau, aussi bien pour le renouvellement des véhicules de secours et du matériel d’intervention du SAMU, que pour les dotations du Plan Blanc et le redimensionnement des stocks de pharmacie.
Traditionnellement axé sur la sécurité de la prise en charge des victimes, le Plan Blanc s’inscrit de plus en plus dans une stratégie de sécurisation globale, en lien avec le plan de sécurité de l’établissement (qui concerne la sécurité des agents, des patients, du public et des infrastructures) et le plan de continuité de l’activité. D’où, d’ailleurs, ma double casquette sûreté/gestion de crise, qui permet d’avoir une vision transversale et cohérente des enjeux en présence. La façon même dont nous appréhendons le Plan Blanc a changé : nous avons par exemple constitué, début 2016 – soit peu après les attentats de Paris et à quelques mois de l’Euro de Football –, une cellule médico-administrative, associant la Direction Générale, la Présidence de la CME, les directeurs de sites et le SAMU, et qui a entièrement revu le dispositif à la lumière de l’actualité. Elle est aujourd’hui relayée par des cellules sur sites, qui œuvrent de manière continue. C’est là une autre évolution récente : le Plan Blanc était auparavant actualisé une fois par an, il est désormais mis à jour au fil de l’eau. Nous avons également identifié, sur chaque site, une équipe référente pour la gestion des situations sanitaires exceptionnelles. Composée d’un directeur, d’un médecin, d’un soignant et d’un pharmacien, elle constitue mon interlocuteur privilégié à l’échelle locale, pour gérer la coordination sur site, identifier les besoins en termes de formation, organiser des exercices et adapter si nécessaire le plan de gestion de crise.
“ l’AP-HM est l’établissement sanitaire de référence pour la zone de défense Sud, qui comprend les régions PACA, Occitanie et Corse – soit un territoire de près de 113 000 Km2 ”
Pouvez-vous me détailler quelques unes des révisions apportées au Plan Blanc ?
Nous nous sommes essentiellement attachés à revoir nos processus pour pouvoir accueillir un plus grand nombre de victimes en situation d’urgence absolue – en cas d’événement exceptionnel, les hôpitaux Nord et Timone seront en effet en première ligne, aux côtés de l’Hôpital d’Instruction des Armées Laveran. Nous avons donc conçu un point unique de réception des victimes, adultes et enfants, chargé de faire le tri entre urgences absolues et relatives. Les victimes les plus gravement atteintes pourront être immédiatement prises en charge par des postes de soins opérationnels. L’enjeu est d’aller vite et bien, en appliquant la doctrine dite de « damage control » notamment en cas d’attentat : cette chirurgie de sauvetage minimaliste consiste à prodiguer d’abord les soins vitaux qui permettent d’assurer la survie du patient, sans chercher à s’occuper totalement de tous ses problèmes. Nous avons également prévu que les Hôpitaux Sud et la Conception, qui ne disposent pas de services d’urgence, puissent prendre en charge des victimes a minima. Nous ne pourrons en effet pas totalement maîtriser les flux, puisque des personnes peuvent venir à l’hôpital par leurs propres moyens. Les équipements ont en outre été mis à niveau, aussi bien pour le renouvellement des véhicules de secours et du matériel d’intervention du SAMU, que pour les dotations du Plan Blanc et le redimensionnement des stocks de pharmacie.
Vous avez également renforcé la formation des équipes.
Les médecins ont en effet été formés au « damage control » et aux gestes de premiers secours en cas d’attaque balistique. Nous avons également développé une formation aux soins d’urgence spécifiquement orientée vers la gestion des situations sanitaires exceptionnelles. De nombreux professionnels, y compris des agents de sécurité ont en outre été formés aux gestes d’habillage et de déshabillage dans le cadre de la procédure NRBC (risque nucléaire, radiologique, biologique, chimique), parallèlement au renforcement des capacités de décontamination de chaque site et à la création de circuits spécialisés. Nous avons, enfin, été attentifs à l’amélioration des outils informatiques, pour une meilleure communication entre cellules de crise et un dispositif de rappel automatisé des personnels.
Quels sont vos axes de réflexion actuels ?
Nous travaillons aujourd’hui sur les risques de sur-attentat, voire d’une attaque directe sur l’hôpital. Nous avons donc développé une procédure d’alerte spécifique. Nous élaborons en outre un protocole précis avec les forces de police, qui pourront s’appuyer sur des professionnels connaissant parfaitement les établissements et leurs circuits, et disposant d’un pouvoir décisionnel. Un autre axe de réflexion concerne l’acheminement du personnel hospitalier en cas de difficultés de circulation accrues. Nous nous étions, au moment de l’Euro de Football, rapprochés de la régie des transports marseillais pour pouvoir au besoin convoyer nos équipes en bus, à partir de points de rassemblement prédéfinis.
Nous réfléchissons aujourd’hui à l’activation permanente de ce service. Nous avons, enfin, mis en place un dispositif intermédiaire entre le Plan Hôpital en Tension et le Plan Blanc pour pouvoir, en cas d’événement potentiellement important, et dans l’attente d’informations complémentaires, prendre toutes les mesures utiles sans pour autant déclencher initialement le Plan Blanc. Autant d’actions qui ne nous permettront certes pas de tout prévoir, mais il s’agit d’être pris le moins possible au dépourvu en cas de crise majeure.
*Le 5 mai 1992, à Furiani en Haute-Corse, une tribune du stade Armand-Cesari s’est effondrée lors de la demi-finale de la coupe de France de football opposant le SC Bastia à l’Olympique de Marseille, causant la mort de 18 personnes et blessant 2 357 spectateurs.
Par Joëlle Hayek. Interview publiée dans le numéro 39 d'Hospitalia, à consulter en intégralité ici.
Les médecins ont en effet été formés au « damage control » et aux gestes de premiers secours en cas d’attaque balistique. Nous avons également développé une formation aux soins d’urgence spécifiquement orientée vers la gestion des situations sanitaires exceptionnelles. De nombreux professionnels, y compris des agents de sécurité ont en outre été formés aux gestes d’habillage et de déshabillage dans le cadre de la procédure NRBC (risque nucléaire, radiologique, biologique, chimique), parallèlement au renforcement des capacités de décontamination de chaque site et à la création de circuits spécialisés. Nous avons, enfin, été attentifs à l’amélioration des outils informatiques, pour une meilleure communication entre cellules de crise et un dispositif de rappel automatisé des personnels.
“ L’enjeu est d’aller vite et bien, en appliquant la doctrine dite de
« damage control » notamment en cas d’attentat ”
« damage control » notamment en cas d’attentat ”
Quels sont vos axes de réflexion actuels ?
Nous travaillons aujourd’hui sur les risques de sur-attentat, voire d’une attaque directe sur l’hôpital. Nous avons donc développé une procédure d’alerte spécifique. Nous élaborons en outre un protocole précis avec les forces de police, qui pourront s’appuyer sur des professionnels connaissant parfaitement les établissements et leurs circuits, et disposant d’un pouvoir décisionnel. Un autre axe de réflexion concerne l’acheminement du personnel hospitalier en cas de difficultés de circulation accrues. Nous nous étions, au moment de l’Euro de Football, rapprochés de la régie des transports marseillais pour pouvoir au besoin convoyer nos équipes en bus, à partir de points de rassemblement prédéfinis.
Nous réfléchissons aujourd’hui à l’activation permanente de ce service. Nous avons, enfin, mis en place un dispositif intermédiaire entre le Plan Hôpital en Tension et le Plan Blanc pour pouvoir, en cas d’événement potentiellement important, et dans l’attente d’informations complémentaires, prendre toutes les mesures utiles sans pour autant déclencher initialement le Plan Blanc. Autant d’actions qui ne nous permettront certes pas de tout prévoir, mais il s’agit d’être pris le moins possible au dépourvu en cas de crise majeure.
*Le 5 mai 1992, à Furiani en Haute-Corse, une tribune du stade Armand-Cesari s’est effondrée lors de la demi-finale de la coupe de France de football opposant le SC Bastia à l’Olympique de Marseille, causant la mort de 18 personnes et blessant 2 357 spectateurs.
Par Joëlle Hayek. Interview publiée dans le numéro 39 d'Hospitalia, à consulter en intégralité ici.