Que recouvre plus précisément ce terme d’empowerment ?
Marie-Georges Fayn : Notion relativement récente, l’empowerment des patients désigne l’accroissement de la capacité d’agir de la personne malade. Ce gain en autonomie se traduit par la participation aux décisions qui la concernent, une plus grande maîtrise de son avenir et l’affirmation d’un nouveau rapport avec la société. Certains traduisent cela par « encapacitation » ou « autonomisation ». Mais ces termes désignent un état, et me semblent donc impropres à caractériser une démarche qui s’inscrit dans un processus en plusieurs temps. Il serait à mon sens plus correct de parler « d’empouvoirement », à l’instar du canadien Gilles Paquet(2).
Vous avez justement formalisé le processus en quatre temps(3) de la démarche d’émancipation qu’est l’empowerment. Pouvez-vous nous en parler ?
La première phase est individuelle : le patient prend conscience de sa pathologie et des limites des réponses apportées par l’offre de soins existante. Refusant de se résigner, il s’engage dans une quête d’information. Débute alors la phase 2, dite collective : le patient se rend sur des forums de discussion, où il interagit avec une communauté active de personnes confrontées aux mêmes difficultés que lui. Échangeant de pair à pair avec des patients experts, il acquiert un savoir expérientiel plus large. Son engagement se structure dans le cadre d’une communauté où il prend part à des actions militantes pour défendre sa cause et ses droits. Il continue en parallèle de s’informer, mais sa quête est désormais plus spécialisée. C’est le troisième temps.
Marie-Georges Fayn : Notion relativement récente, l’empowerment des patients désigne l’accroissement de la capacité d’agir de la personne malade. Ce gain en autonomie se traduit par la participation aux décisions qui la concernent, une plus grande maîtrise de son avenir et l’affirmation d’un nouveau rapport avec la société. Certains traduisent cela par « encapacitation » ou « autonomisation ». Mais ces termes désignent un état, et me semblent donc impropres à caractériser une démarche qui s’inscrit dans un processus en plusieurs temps. Il serait à mon sens plus correct de parler « d’empouvoirement », à l’instar du canadien Gilles Paquet(2).
Vous avez justement formalisé le processus en quatre temps(3) de la démarche d’émancipation qu’est l’empowerment. Pouvez-vous nous en parler ?
La première phase est individuelle : le patient prend conscience de sa pathologie et des limites des réponses apportées par l’offre de soins existante. Refusant de se résigner, il s’engage dans une quête d’information. Débute alors la phase 2, dite collective : le patient se rend sur des forums de discussion, où il interagit avec une communauté active de personnes confrontées aux mêmes difficultés que lui. Échangeant de pair à pair avec des patients experts, il acquiert un savoir expérientiel plus large. Son engagement se structure dans le cadre d’une communauté où il prend part à des actions militantes pour défendre sa cause et ses droits. Il continue en parallèle de s’informer, mais sa quête est désormais plus spécialisée. C’est le troisième temps.
Marie-Georges Fayn, Fondatrice du site www.reseau-chu.org et Doctorante au sein du Laboratoire Vallorem
En quoi consiste-t-il, plus particulièrement ?
Cette phase, scientifique voit le malade rapprocher son expérience de vie des expertises médicales. Devenant lui-même patient-ressource, il participe à la création du savoir collaboratif. Il entre alors dans la quatrième et dernière phase : le temps productif. Prenant appui sur ce capital communautaire unique, il investit de nouveaux espaces dont il était jusque-là exclu, comme la recherche-innovation et le développement de nouveaux produits et services. Le patient propose alors des solutions plus adaptées à ses particularités, et peut s’investir à tous les stades de la production et de la vente.
Les effets de ce cheminement quelque peu initiatique d’un patient vers son propre « empouvoirement » se répercutent donc au niveau sociétal.
L’élargissement des prêts bancaires aux personnes en rémission de cancer représente un bon exemple de ce mouvement : très sensibles aux conséquences sociales de la maladie, les patients se constituent en véritable forrce d’évolution de la société. L’empowerment des patients ouvre ainsi la voie à une nouvelle génération de citoyens engagés et solidaires, maîtrisant les ressources de l’expertise et des actions collectives, et capables d’influencer les organisations pour proposer des alternatives aux solutions existantes. Vigies constantes, ils exigent de co-construire, d’égal à égal, un système d’où leur parole ne sera pas exclue. Mais cette démarche requiert un investissement en temps, en énergie, et en apprentissage. C’est pourquoi elle concerne avant tout les patients souffrant de pathologies chroniques, même s’il s’agit d’une tendance de fond qui peut potentiellement s’appliquer à tous les patients, en se nourrissant du développement des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC).
Cette phase, scientifique voit le malade rapprocher son expérience de vie des expertises médicales. Devenant lui-même patient-ressource, il participe à la création du savoir collaboratif. Il entre alors dans la quatrième et dernière phase : le temps productif. Prenant appui sur ce capital communautaire unique, il investit de nouveaux espaces dont il était jusque-là exclu, comme la recherche-innovation et le développement de nouveaux produits et services. Le patient propose alors des solutions plus adaptées à ses particularités, et peut s’investir à tous les stades de la production et de la vente.
Les effets de ce cheminement quelque peu initiatique d’un patient vers son propre « empouvoirement » se répercutent donc au niveau sociétal.
L’élargissement des prêts bancaires aux personnes en rémission de cancer représente un bon exemple de ce mouvement : très sensibles aux conséquences sociales de la maladie, les patients se constituent en véritable forrce d’évolution de la société. L’empowerment des patients ouvre ainsi la voie à une nouvelle génération de citoyens engagés et solidaires, maîtrisant les ressources de l’expertise et des actions collectives, et capables d’influencer les organisations pour proposer des alternatives aux solutions existantes. Vigies constantes, ils exigent de co-construire, d’égal à égal, un système d’où leur parole ne sera pas exclue. Mais cette démarche requiert un investissement en temps, en énergie, et en apprentissage. C’est pourquoi elle concerne avant tout les patients souffrant de pathologies chroniques, même s’il s’agit d’une tendance de fond qui peut potentiellement s’appliquer à tous les patients, en se nourrissant du développement des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC).
Comment cette évolution culturelle est-elle accueillie par les professionnels de santé ?
Celle-ci s’inscrit dans un long cheminement législatif en faveur de la démocratie sanitaire. Les équipes médicales et soignantes y sont donc de mieux en mieux sensibilisées. Celles qui font l’effort de voir la maladie à travers les yeux du patient, définissent avec lui une stratégie thérapeutique qui tienne compte de son projet de vie. Mais cela suppose qu’elles aient eu le temps de reconsidérer leur rôle pour ne pas être uniquement prestataires d’un acte médical, mais un accompagnant, un référent. Pour beaucoup, l’échange d’égal à égal avec un patient a quelque chose de déstabilisant. Or, pour qu’il y ait véritablement coopération, pour qu’une nouvelle alliance thérapeutique soit nouée, il faut que chacun y mette les formes et sache apprendre de l’autre.
Quels autres points de vigilance identifiez-vous ?
Une difficulté a justement trait au positionnement des équipes médicales et soignantes vis-à-vis de la multiplicité des profils qu’ils prennent en charge : les patients-experts coexistent avec des patients dépendants ou souffrant de pathologies neurologiques ; un même patient peut par ailleurs avoir des besoins relationnels différents selon les temps de son parcours, aigus ou en routine. On attend beaucoup des professionnels de santé, qu’ils sachent s’adapter en temps réel au comportement de leur interlocuteur – ce qui suppose une agilité particulière, en plus de leur qualité d’humanité.
Justement, comment mieux prendre en considération la parole du patient ?
Peut-être faudrait-il organiser des rencontres soignant/soigné, pour identifier les décalages éventuels entre la vision du professionnel de santé – focalisée sur l’aspect médical de la prise en charge –, et celle du patient, qui mettra par exemple plutôt l’accent sur les séquelles et les difficultés rencontrées au quotidien. Certaines équipes sont bien conscientes de cet écart, et vont jusqu’à consulter les forums de discussion pour identifier des problématiques parfois sous-estimées. Le patient a justement ici un rôle à jouer, en partageant avec les soignants sa connaissance des communautés agissantes. Par ailleurs, pourquoi ne pas mettre à profit les TIC pour réaliser des enquêtes régulières sur la qualité de vie des patients, pour interroger les aidants, les soignants de ville, et tous ceux qui ont une place à prendre dans le processus de soins ? Les professionnels de santé pourront alors mieux se familiariser avec l’écosystème d’une pathologie, où le volet médical ne représente qu’une dimension parmi d’autres.
Les représentants des usagers n’ont-ils pas également là un rôle à jouer ?
Les sièges qui leur sont désormais réservés dans les conseils de surveillance des hôpitaux ou les conseils territoriaux de santé des Agences Régionales de Santé (ARS) traduisent la reconnaissance de leur pouvoir par les autorités publiques. Mais, une fois consultés par exemple pour les projets de santé régionaux, leurs propositions sont-elles véritablement prises en compte ? C’est là un autre point de vigilance. Les priorités dégagées par les tutelles répondent, en premier lieu, à des enjeux organisationnels. Or les patients connaissent bien les réalités locales et peuvent imaginer des solutions pragmatiques qui mériteraient le statut « d’expérimentations organisationnelles innovantes du système de santé ». Dans une démocratie sanitaire avancée comme la nôtre, l’aménagement du territoire s’envisage dans de nouveaux cadres où les patients-citoyens ont toute leur place.
1 - Sous la direction des Professeurs Véronique des Garets et Arnaud Rivière, au sein du laboratoire VALLOREM Val de Loire Recherche en management (EA6296) – IAE (Institut d’Administration des Entreprises) de l’Université François Rabelais de Tours.
2 - Gilles PAQUET, « La gouvernance en tant que manière de voir : le paradigme de l’apprentissage collectif » (2001). Linda CARINAL et Caroline ANDREW, La démocratie à l’épreuve de la gouvernance, Les Presses de l’Universités d’Ottawa, 9-55.
3 - Travaux publiés dans la revue académique Recherches en Sciences de Gestion (Numéro 119, novembre 2017).
Celle-ci s’inscrit dans un long cheminement législatif en faveur de la démocratie sanitaire. Les équipes médicales et soignantes y sont donc de mieux en mieux sensibilisées. Celles qui font l’effort de voir la maladie à travers les yeux du patient, définissent avec lui une stratégie thérapeutique qui tienne compte de son projet de vie. Mais cela suppose qu’elles aient eu le temps de reconsidérer leur rôle pour ne pas être uniquement prestataires d’un acte médical, mais un accompagnant, un référent. Pour beaucoup, l’échange d’égal à égal avec un patient a quelque chose de déstabilisant. Or, pour qu’il y ait véritablement coopération, pour qu’une nouvelle alliance thérapeutique soit nouée, il faut que chacun y mette les formes et sache apprendre de l’autre.
Quels autres points de vigilance identifiez-vous ?
Une difficulté a justement trait au positionnement des équipes médicales et soignantes vis-à-vis de la multiplicité des profils qu’ils prennent en charge : les patients-experts coexistent avec des patients dépendants ou souffrant de pathologies neurologiques ; un même patient peut par ailleurs avoir des besoins relationnels différents selon les temps de son parcours, aigus ou en routine. On attend beaucoup des professionnels de santé, qu’ils sachent s’adapter en temps réel au comportement de leur interlocuteur – ce qui suppose une agilité particulière, en plus de leur qualité d’humanité.
Justement, comment mieux prendre en considération la parole du patient ?
Peut-être faudrait-il organiser des rencontres soignant/soigné, pour identifier les décalages éventuels entre la vision du professionnel de santé – focalisée sur l’aspect médical de la prise en charge –, et celle du patient, qui mettra par exemple plutôt l’accent sur les séquelles et les difficultés rencontrées au quotidien. Certaines équipes sont bien conscientes de cet écart, et vont jusqu’à consulter les forums de discussion pour identifier des problématiques parfois sous-estimées. Le patient a justement ici un rôle à jouer, en partageant avec les soignants sa connaissance des communautés agissantes. Par ailleurs, pourquoi ne pas mettre à profit les TIC pour réaliser des enquêtes régulières sur la qualité de vie des patients, pour interroger les aidants, les soignants de ville, et tous ceux qui ont une place à prendre dans le processus de soins ? Les professionnels de santé pourront alors mieux se familiariser avec l’écosystème d’une pathologie, où le volet médical ne représente qu’une dimension parmi d’autres.
Les représentants des usagers n’ont-ils pas également là un rôle à jouer ?
Les sièges qui leur sont désormais réservés dans les conseils de surveillance des hôpitaux ou les conseils territoriaux de santé des Agences Régionales de Santé (ARS) traduisent la reconnaissance de leur pouvoir par les autorités publiques. Mais, une fois consultés par exemple pour les projets de santé régionaux, leurs propositions sont-elles véritablement prises en compte ? C’est là un autre point de vigilance. Les priorités dégagées par les tutelles répondent, en premier lieu, à des enjeux organisationnels. Or les patients connaissent bien les réalités locales et peuvent imaginer des solutions pragmatiques qui mériteraient le statut « d’expérimentations organisationnelles innovantes du système de santé ». Dans une démocratie sanitaire avancée comme la nôtre, l’aménagement du territoire s’envisage dans de nouveaux cadres où les patients-citoyens ont toute leur place.
1 - Sous la direction des Professeurs Véronique des Garets et Arnaud Rivière, au sein du laboratoire VALLOREM Val de Loire Recherche en management (EA6296) – IAE (Institut d’Administration des Entreprises) de l’Université François Rabelais de Tours.
2 - Gilles PAQUET, « La gouvernance en tant que manière de voir : le paradigme de l’apprentissage collectif » (2001). Linda CARINAL et Caroline ANDREW, La démocratie à l’épreuve de la gouvernance, Les Presses de l’Universités d’Ottawa, 9-55.
3 - Travaux publiés dans la revue académique Recherches en Sciences de Gestion (Numéro 119, novembre 2017).
Interview réalisée par Joëlle Hayek dans le numéro 41 d'Hospitalia, magazine à consulter en intégralité ici.