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Impact de la réforme européenne de la responsabilité du fait des produits défectueux sur l’industrie pharmaceutique


Rédigé par Me Ghislaine ISSENHUTH et Me Olivier SAMYN, Associés, LMT Avocats le Mercredi 5 Février 2025 à 17:10 | Lu 68 fois


Près de 40 ans après l’adoption de la directive européenne du 25 juillet 1985 fondant la responsabilité du fait des produits défectueux (1), cette dernière fait l’objet d’une refonte globale opérée par la directive (UE) 2024/2853 du 23 octobre 2024 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, publiée au Journal officiel de l’Union européenne (JOUE) le 18 novembre dernier.



L’adoption de ce texte est justifiée, selon ses rédacteurs, par la nécessité d’harmoniser les règles communes sur le marché européen et de prendre en compte les évolutions liées aux nouvelles technologies, notamment le développement majeur de l’intelligence artificielle. À l’instar de la directive adoptée en 1985, cette nouvelle directive aura à l’évidence un impact majeur pour l’industrie pharmaceutique, la responsabilité du fait des produits défectueux étant le principal fondement invoqué dans les contentieux relatifs aux dommages corporels causés par des produits de santé.

Or, cette directive se présente comme résolument favorable aux victimes et se donne explicitement comme objectif de faciliter leur indemnisation, les rédacteurs notant la difficulté des demandeurs « à obtenir réparation en raison des restrictions à l’introduction des demandes de réparation et de la difficulté à rassembler des preuves de la responsabilité, compte tenu notamment de la complexité technique et scientifique croissante » (2).

Une redéfinition notionnelle marginale

Si la terminologie est tantôt modifiée – les notions de producteurs et de fournisseurs étant notamment substituées par celles de fabricant et de distributeurs – et tantôt redéfinie – la notion de produit étant étendue pour inclure notamment les logiciels –, la directive n’apporte en revanche pas de changement substantiel à la notion fondamentale de défectuosité, un produit étant considéré comme défectueux « lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle une personne peut légitimement s’attendre ou qui est requise par le droit de l’Union ou le droit national » (3).

Le législateur européen précise toutefois, au sein des considérants de la directive, que « les avertissements ou autres informations fournis avec un produit ne peuvent être considérés comme suffisants pour garantir la sécurité d’un produit défectueux […]. Par conséquent, la responsabilité découlant de la présente directive ne peut être évitée par la simple énumération de tous les effets secondaires imaginables d’un produit » (4).

Cette précision, bien que compréhensible du point de vue des victimes, apparait regrettable en ce qu’elle est de nature à accroitre sensiblement la sévérité des juridictions nationales à l’égard des fabricants de médicaments, et à limiter la possibilité pour un laboratoire de s’exonérer de sa responsabilité, malgré une parfaite exécution de ses obligations règlementaires. 

L’allongement important du délai de forclusion

Le délai actuel de prescription de trois ans, qui court à compter de la connaissance du dommage, de la défectuosité et de l’identité du responsable, ne fait l’objet d’aucune modification (5). La directive maintient également le délai dit de « forclusion », qui fait obstacle à l’introduction d’une action au-delà de dix ans après la mise en circulation du lot du produit litigieux, même si le délai de prescription n’a pas commencé à courir dans cet intervalle (6).

Ce délai de forclusion, justifié par la nécessité de ne pouvoir « rendre le producteur responsable des défauts de son produit sans une limitation de durée » (7), fait l’objet de critiques en ce qu’il est susceptible de faire obstacle à une action de la victime sur le fondement des produits défectueux, notamment en matière de médicaments lorsque les effets indésirables ne se manifestent que plusieurs années après l’administration. 

Sensible à ces critiques, la directive prévoit que ce délai pourra désormais être porté à vingt-cinq ans lorsque la victime n’aura pas été en mesure d’engager une procédure en raison de l’apparition lente de ses symptômes. Cet allongement non négligeable entrainera sans nul doute des conséquences notables en matière assurantielle. 

Vers un renversement de la charge de la preuve

Les rédacteurs de la directive font état d’un désavantage des demandeurs par rapport aux fabricants dans l’accès et la compréhension des informations sur le mode de fabrication et le fonctionnement des produits, estimant que « cette asymétrie des informations peut nuire à la juste répartition des risques, en particulier dans les cas présentant une complexité technique ou scientifique » (8).

En conséquence, la directive prévoit la possibilité pour les juridictions de recourir à des présomptions pour établir la responsabilité des fabricants, en l’absence d’éléments permettant de conclure avec certitude à la défectuosité du produit ou au lien de causalité avec le dommage invoqué. 

La défectuosité du produit pourra ainsi être déduite (i) du refus de divulguer des éléments de preuve par le défendeur, ce dernier pouvant en effet être contraint à une telle divulgation ; (ii) de sa non-conformité aux exigences obligatoires en matière de sécurité ; ou encore (iii) du fait que le dommage a été causé par un « dysfonctionnement manifeste du produit »dans le cadre d’une utilisation prévisible. L’imprécision de cette dernière notion ne peut qu’être regrettée. 

Quant au lien de causalité entre le défaut et le dommage, le demandeur sera dispensé d’en rapporter la preuve certaine s’il parvient à établir « que le produit est défectueux et que le dommage causé est d’une nature généralement compatible avec le défaut en question », formulation dont le caractère vague est également susceptible de laisser un large pouvoir d’appréciation aux juridictions pour présumer le lien de causalité. 

Enfin, tant la défectuosité que le lien de causalité pourront être présumés dans deux hypothèses (9) :
-       lorsque « le demandeur fait face à des difficultés excessives, notamment en raison de la complexité technique ou scientifique », pour en apporter la preuve, les rédacteurs faisant explicitement référence à l’exemple des dispositifs médicaux innovants (10);
-       lorsque le demandeur démontre que la défectuosité ou le lien de causalité est « probable ».

Si ces différentes modifications témoignent d’une volonté de faciliter l’indemnisation des victimes, elles conduisent à faire peser sur les industriels une quasi-responsabilité de plein droit alors que, par nature, l’administration d’une spécialité comporte des risques, la survenue d’effets indésirables faisant partie de l’appréciation du rapport bénéfice / risque dans l’octroi d’une autorisation de mise sur le marché ou dans la délivrance d’un marquage CE. 

Il conviendra de rester attentif à la transposition de ces dispositions en droit interne, qui devra intervenir avant le 9 décembre 2026, et à l’occasion de laquelle l’exonération « pour risque de développement » serait susceptible d’être abrogée. 

> Article paru dans Hospitalia #67, édition de décembre 2024, à lire ici  


Notes
(1) Directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux.
(2) Considérant 3.
(3) Article 7.
(4) Considérant 31.
(5) Article 16.
(6) Article 17.
(7) Directive de 1985, considérant 11.
(8) Considérant 11.
(9) Article 10.
(10) Considérant 48.






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