Par Me Ghislaine ISSENHUTH, Avocat au Barreau de Paris, et Me Olivier SAMYN, Associé, LMT Avocats
À propos de l’arrêt prononcé par la première Chambre civile de la Cour de Cassation le 27 novembre 2019 dans le cadre du contentieux fleuve lié au valproate de sodium.
L’arrêt prononcé le 27 novembre 2019 par la 1ère chambre civile de la Cour de cassation est l’occasion de revenir sur deux points intéressant la responsabilité du fait des produits défectueux :
- en premier lieu, la Cour de cassation confirme sa jurisprudence : le délai de prescription de la responsabilité du fait des produits défectueux court bien à compter de la remise du rapport d’expertise,
- en second lieu, une juridiction d’appel ne peut se contenter d’écarter un moyen mais doit justifier les motifs de ce rejet.
- en premier lieu, la Cour de cassation confirme sa jurisprudence : le délai de prescription de la responsabilité du fait des produits défectueux court bien à compter de la remise du rapport d’expertise,
- en second lieu, une juridiction d’appel ne peut se contenter d’écarter un moyen mais doit justifier les motifs de ce rejet.
Délai de prescription de l’action en responsabilité du fait des produits défectueux
La question du point de départ, lorsqu’il s’agit du délai de prescription en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, est centrale. D’après les articles 1245-15 et 1245-16 du Code civil, cette action est enfermée dans un double délai :
- un délai de prescription de trois ans, qui court à compter de la date à laquelle le demandeur a eu, ou aurait dû, avoir connaissance du dommage (i), du défaut (ii) et de l’identité du producteur (iii),
- un délai de forclusion, qui éteint l’action au plus tard dix ans après la mise en circulation du produit.
Classiquement, le débat porte sur la date à laquelle le demandeur a eu, ou aurait dû, avoir connaissance du défaut du produit et de son imputabilité au dommage. En l’espèce, l’enfant étant né avec des malformations congénitales, se posait la question de savoir si les demandeurs avaient eu connaissance du dommage dès la naissance de l’enfant, comme ils le soutenaient lors du rapport d’expertise. Celui-ci avait été déposé après diverses investigations diligentées afin de déterminer l’origine de la pathologie de l’enfant.
Sur ce point, la Cour de cassation a confirmé la position de la Cour d’appel d’Orléans, et par conséquent sa propre jurisprudence : les demandeurs disposaient des éléments leur permettant d’avoir connaissance du défaut du produit et de son implication dans le dommage, au jour du dépôt du rapport d’expertise et non lors de la naissance de l’enfant.
- un délai de prescription de trois ans, qui court à compter de la date à laquelle le demandeur a eu, ou aurait dû, avoir connaissance du dommage (i), du défaut (ii) et de l’identité du producteur (iii),
- un délai de forclusion, qui éteint l’action au plus tard dix ans après la mise en circulation du produit.
Classiquement, le débat porte sur la date à laquelle le demandeur a eu, ou aurait dû, avoir connaissance du défaut du produit et de son imputabilité au dommage. En l’espèce, l’enfant étant né avec des malformations congénitales, se posait la question de savoir si les demandeurs avaient eu connaissance du dommage dès la naissance de l’enfant, comme ils le soutenaient lors du rapport d’expertise. Celui-ci avait été déposé après diverses investigations diligentées afin de déterminer l’origine de la pathologie de l’enfant.
Sur ce point, la Cour de cassation a confirmé la position de la Cour d’appel d’Orléans, et par conséquent sa propre jurisprudence : les demandeurs disposaient des éléments leur permettant d’avoir connaissance du défaut du produit et de son implication dans le dommage, au jour du dépôt du rapport d’expertise et non lors de la naissance de l’enfant.
La cause exonératoire de responsabilité
Le régime de responsabilité du fait des produits défectueux a été mis en place afin de faciliter l’action pouvant être engagée par le demandeur. Ce dernier doit en effet apporter la preuve de la défectuosité du produit et non de la faute du producteur, ainsi que spécifié par l’article 1245 du Code civil : « Le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime. ».
Le fabricant est donc confronté à une responsabilité objective dont il ne peut se dégager qu’à des conditions extrêmement restrictives. Ainsi, selon l’article 1245-10, 5° du Code civil, « Le producteur est responsable de plein droit à moins qu’il ne prouve : […] 5° que le défaut est dû à la conformité du produit avec les règles impératives d’ordre législatif ou réglementaire. ».
Aussi, dès lors que la défectuosité d’un médicament est en jeu, se pose la question de l’impact des décisions prises par l’administration. En effet, la défectuosité d’un médicament est appréciée au regard des informations délivrées au patient et notamment à travers la notice d’information (Civ. 1, 24 janvier 2006, n°03-19534 ; Civ. 1, 19 mars 2009, n°08-10143). Or, la notice d’information fait partie, avec les résumés des caractéristiques du produit (RCP) destinées aux professionnels de santé, de l’autorisation de mise sur le marché – dont l’actualisation est soumise à l’accord de l’ANSM.
En l’espèce, le fabricant soutient que « sa présentation dans les documents d’information, et notamment la notice, était conforme aux règles impératives édictées par l’autorité compétente ». Dès lors, si l’administration refuse la demande de modification du RCP et de la notice sollicitée par le fabricant, et que ce refus a privé le patient de la possibilité de bénéficier de l’information adéquate, le fabricant peut-il être tenu responsable de la défectuosité des produits ? Ou, au contraire, peut-il s’exonérer de sa responsabilité au motif qu’il s’est conformé à une décision de l’administration ?
Cette question délicate n’a pas été tranchée par la Cour d’appel, qui a simplement écarté le moyen sans l’examiner. Logiquement, la Cour de cassation a censuré la décision de la Cour d’appel, qui ne répond donc pas aux conclusions du défendeur, alors que l’article 455 du Code de procédure civil impose que les jugements soient motivés et reprennent les prétentions et les moyens des parties.
Pour mémoire, la Cour de cassation ne tranche pas les litiges qui lui sont soumis sur le fond mais indique si, en fonction des faits qui ont été souverainement appréciés dans les décisions qui lui sont déférées, les règles de droit ont été correctement appliquées. En conséquence, la Cour de cassation a renvoyé à la Cour d’appel de Paris le soin de trancher la question de savoir si le fabricant peut, ou non, se prévaloir de l’exonération prévue à l’article 1245-10, 5° du Code civil, laissant cette délicate interrogation en suspens.
Le fabricant est donc confronté à une responsabilité objective dont il ne peut se dégager qu’à des conditions extrêmement restrictives. Ainsi, selon l’article 1245-10, 5° du Code civil, « Le producteur est responsable de plein droit à moins qu’il ne prouve : […] 5° que le défaut est dû à la conformité du produit avec les règles impératives d’ordre législatif ou réglementaire. ».
Aussi, dès lors que la défectuosité d’un médicament est en jeu, se pose la question de l’impact des décisions prises par l’administration. En effet, la défectuosité d’un médicament est appréciée au regard des informations délivrées au patient et notamment à travers la notice d’information (Civ. 1, 24 janvier 2006, n°03-19534 ; Civ. 1, 19 mars 2009, n°08-10143). Or, la notice d’information fait partie, avec les résumés des caractéristiques du produit (RCP) destinées aux professionnels de santé, de l’autorisation de mise sur le marché – dont l’actualisation est soumise à l’accord de l’ANSM.
En l’espèce, le fabricant soutient que « sa présentation dans les documents d’information, et notamment la notice, était conforme aux règles impératives édictées par l’autorité compétente ». Dès lors, si l’administration refuse la demande de modification du RCP et de la notice sollicitée par le fabricant, et que ce refus a privé le patient de la possibilité de bénéficier de l’information adéquate, le fabricant peut-il être tenu responsable de la défectuosité des produits ? Ou, au contraire, peut-il s’exonérer de sa responsabilité au motif qu’il s’est conformé à une décision de l’administration ?
Cette question délicate n’a pas été tranchée par la Cour d’appel, qui a simplement écarté le moyen sans l’examiner. Logiquement, la Cour de cassation a censuré la décision de la Cour d’appel, qui ne répond donc pas aux conclusions du défendeur, alors que l’article 455 du Code de procédure civil impose que les jugements soient motivés et reprennent les prétentions et les moyens des parties.
Pour mémoire, la Cour de cassation ne tranche pas les litiges qui lui sont soumis sur le fond mais indique si, en fonction des faits qui ont été souverainement appréciés dans les décisions qui lui sont déférées, les règles de droit ont été correctement appliquées. En conséquence, la Cour de cassation a renvoyé à la Cour d’appel de Paris le soin de trancher la question de savoir si le fabricant peut, ou non, se prévaloir de l’exonération prévue à l’article 1245-10, 5° du Code civil, laissant cette délicate interrogation en suspens.
Une évolution législative en perspective
L’article 150 de la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017 a instauré un fonds indemnitaire pour les victimes du valproate de sodium ou de ses dérivés, géré par l’ONIAM (Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales).
L’amendement n°II-2197 à la loi de finances pour 2020, déposé à l’Assemblée nationale et adopté en première lecture institue, dans le cadre spécifique des demandes indemnitaires adressées à l’ONIAM, une présomption d’imputabilité des dommages causés par le valproate de sodium à un manque d’information de la mère :
- pour les malformations congénitales, lorsque le produit a été prescrit à compter du 1er janvier 1982, et
- pour les troubles du développement comportemental et cognitif, lorsque le produit a été prescrit à partir du 1er janvier 1984.
Selon l’exposé des motivations de cet amendement :
« Pour tirer les conséquences complètes de cette mesure, il est proposé de supprimer au premier alinéa du II de l’article L. 1142-24-16 du code la santé publique les mots « au regard des obligations légales et réglementaires s'imposant au produit », qui sont en contradiction avec le régime de présomption. En effet, le maintien de la rédaction actuelle du II de cet article pourrait conduire à exclure du dispositif les victimes ayant subi des dommages à une date à laquelle aucune obligation d’information ne pesait avec certitude sur le laboratoire ou le médecin. »
Cet amendement s’inscrit manifestement en contradiction avec le régime de la responsabilité des produits défectueux et souligne la complexité de la question que la Cour d’appel de Paris va être amenée à trancher à la suite de l’arrêt de la Cour de cassation du 27 novembre dernier.
L’amendement n°II-2197 à la loi de finances pour 2020, déposé à l’Assemblée nationale et adopté en première lecture institue, dans le cadre spécifique des demandes indemnitaires adressées à l’ONIAM, une présomption d’imputabilité des dommages causés par le valproate de sodium à un manque d’information de la mère :
- pour les malformations congénitales, lorsque le produit a été prescrit à compter du 1er janvier 1982, et
- pour les troubles du développement comportemental et cognitif, lorsque le produit a été prescrit à partir du 1er janvier 1984.
Selon l’exposé des motivations de cet amendement :
« Pour tirer les conséquences complètes de cette mesure, il est proposé de supprimer au premier alinéa du II de l’article L. 1142-24-16 du code la santé publique les mots « au regard des obligations légales et réglementaires s'imposant au produit », qui sont en contradiction avec le régime de présomption. En effet, le maintien de la rédaction actuelle du II de cet article pourrait conduire à exclure du dispositif les victimes ayant subi des dommages à une date à laquelle aucune obligation d’information ne pesait avec certitude sur le laboratoire ou le médecin. »
Cet amendement s’inscrit manifestement en contradiction avec le régime de la responsabilité des produits défectueux et souligne la complexité de la question que la Cour d’appel de Paris va être amenée à trancher à la suite de l’arrêt de la Cour de cassation du 27 novembre dernier.