Quelle est la position de la Conférence des DG de CHU sur la transition numérique du système de santé ?
Monique Sorrentino : Nous le savons, le développement extraordinaire des technologies numériques appliquées à la santé sera d'une immense aide pour le système dans son ensemble, y compris les hôpitaux. Le numérique de santé est ainsi aujourd’hui en pleine phase d'extension et d'accélération, soutenu par la succession des nombreux programmes mis en œuvre par la force publique pour que nos établissements puissent accélérer leurs investissements sur ce champ plus que jamais stratégique. Car, il faut l’admettre, le monde de la santé accuse un certain retard sur le niveau des équipements, le taux d’informatisation, voire la part des budgets alloués à ces dépenses. Les programmes publics, passés comme ceux à venir, entendent justement pallier ces difficultés, pour que tous puissent prendre de plain-pied le virage numérique. Mais encore aujourd’hui, nos hôpitaux ne peuvent, malheureusement, pas investir et recruter autant qu’ils le souhaiteraient.
Quel est le rôle d’un directeur général pour favoriser la transformation numérique de son établissement ?
Monique Sorrentino : Un directeur général n’opère pas seul. Il est assisté par une équipe, et travaille notamment en tandem avec les présidents de Commissions médicales d'établissement (CME) pour définir la politique générale de l’établissement, portant aussi sur le déploiement d’outils numériques, les modalités de gestion des données de santé ou encore l’intégration des technologies d’intelligence artificielle. L’objectif est ici d’assoir une vision partagée par la communauté médico-soignante, et d’accompagner les équipes hospitalières sur ces sujets qui, parfois, nécessitent des arbitrages. En parallèle, nous essayons nous-mêmes de nous y former, pour améliorer notre compréhension des enjeux numériques. Mais, comme je le disais plus haut, nous ne travaillons pas seuls. Plusieurs professionnels de l’hôpital, et en particulier les membres des commissions numériques locales avec représentation des médecins, apportent leur expertise. Cette approche collaborative est importante car le numérique en santé est un monde complexe aux frontières mouvantes. Il recouvre plusieurs réalités, les outils métiers, la data, l’IA, les entrepôts de données, la recherche clinique… et impose de nécessaires synergies entre ses composants pour que nous puissions toujours mieux soigner nos patients.
Ces dernières années, les dynamiques locales ont connu un bouleversement majeur avec la création des Groupements hospitaliers de territoires (GHT). Quel a été son impact sur le développement du numérique dans les hôpitaux ?
Monique Sorrentino : La constitution des GHT et la rédaction de projets médicaux partagés n’ont pas été sans effets, avec la construction de schémas directeurs informatiques désormais pensés à l’échelle du territoire. Mais nous n’avons parcouru que la moitié du chemin. Dans la grande majorité des GHT français, le chemin est encore long pour que la convergence des systèmes d'information soit finalisée. Mais, bien qu’elle ne soit pas encore arrivée à son terme, cette mutualisation a déjà des effets positifs, par exemple pour les établissements de petite taille, qui peuvent ainsi bénéficier du support de structures plus matures sur le sujet. Les attentes sont en tout cas nombreuses, car cette convergence facilitera la prise en charge des patients d’un même territoire, en simplifiant et en accélérant les échanges de données entre tous les acteurs d’un parcours de soins. Ce qui facilitera d’ailleurs le déploiement de la responsabilité populationnelle, telle qu’elle a été établie par la Fédération hospitalière de France. J’en suis persuadée, les technologies numériques seront d’une aide précieuse pour améliorer la pertinence des actions de prévention et offrir des réponses plus adaptées aux besoins sanitaires d’un territoire donné.
Jean-Christophe Calvo : La transformation numérique de l’hôpital est aujourd’hui bel et bien une réalité, même si elle est plus récente que dans d’autres secteurs d’activité. Passer « du papier au numérique » a d’ailleurs été un défi en soi. En ce qui concerne la convergence des systèmes d’information des GHT : tous les CHU sont actuellement engagés sur cette voie, mais leur niveau d’avancement est très hétérogène. Les schémas directeurs des systèmes d’information de territoire ont toutefois été tous finalisés, et plusieurs bilans sont attendus au cours des prochains mois afin de réactualiser les plans d’action et préciser la trajectoire pour les quatre à cinq prochaines années. Mais, comme nous l’évoquions, la convergence informatique ne sera probablement pas terminée à cette échéance, d’autant que ce n’est pas le seul défi à relever. Nous devons également prendre en compte les enjeux actuels autour de la cybersécurité, mais aussi, par exemple, l'accélération de la télé-expertise, le développement de nouveaux services numériques à destination des patients, la dématérialisation accrue des parcours et le nécessaire renforcement de nos liens avec la ville.
Êtes-vous, au sein de la Commission des systèmes numériques des DG de CHU, en contact régulier avec l’écosystème industriel ?
Monique Sorrentino : Notre lien avec le monde industriel est permanent. Ses acteurs sont régulièrement invités à participer aux travaux de notre Commission, mais aussi pour des interventions ponctuelles sur une thématique particulière au niveau de la Conférence des DG de CHU. Ces échanges sont essentiels, pour exprimer des besoins mais aussi faire remonter certaines inquiétudes. L’écosystème industriel de la e-santé est aujourd’hui très riche, mais ce foisonnement n’est pas toujours perçu d’un bon œil par les hôpitaux, car une entreprise doit avoir une certaine taille critique pour être viable, disposer de capacités d’investissements suffisantes et garantir des développements sur le long terme. Savez-vous que seuls deux logiciels de dossier patient informatisé sont aujourd’hui en fonction sur tout le territoire des États-Unis, contre cinq logiciels majeurs en France ? Si la concentration du marché n’est pas forcément souhaitable, son éparpillement n’est pas non plus sécurisant. À cet égard, nous sommes particulièrement vigilants sur les « petites » solutions qui se développent un peu partout. Elles peuvent certes être séduisantes, mais il nous veiller à maintenir un système d'information structuré, avec des outils interopérables.
Jean-Christophe Calvo : L'interopérabilité représente d’ailleurs une réelle difficulté. Mais c'est aussi le cas de la qualité de vie au travail, en particulier en ce qui concerne la charge mentale liée à l’informatique. Les soignants n’acceptent plus, aujourd’hui, de disposer de logiciels non ergonomiques et vieillissants. Si l’on considère cet outil central qu’est le DPI, nous sommes, en 2024, sur une ergonomie similaire à celle qui était proposée en 2015 pour les solutions grand public. Cet écart est de plus en plus mal toléré par les professionnels de santé. C’est un point sur lequel nous alertons régulièrement les industriels, d’autant qu’il est directement lié aux enjeux d’interopérabilité : sans surprise, les soignants poussent parfois des solutions plus séduisantes, qui ne sont toutefois pas interopérables avec nos systèmes d’information.
Identifiez-vous d’autres enjeux à relever pour que la transformation numérique des établissements de santé se fasse à un rythme plus soutenu ?
Monique Sorrentino : J’évoquerai ici les difficultés de recrutement dans les services informatiques hospitaliers, auxquelles nous avons malheureusement du mal à faire face. La rémunération des informaticiens des établissements publics de santé reste encore éloignée du secteur privé et ne favorise pas toujours l’attractivité. La problématique se retrouve dans d’autres métiers de l’hôpital. Le directeur de l’établissement se retrouve alors, bien souvent, face à un choix cornélien dès lors qu’il lui faut arbitrer sur le sujet : si nous voulons de la qualité, il faut mieux la rémunérer, mais une telle décision est difficilement tenable en interne par rapport à tous les corps de métier hospitaliers et par rapport aux règles statutaires.
Jean-Christophe Calvo : Étant arrivé assez tardivement dans le monde de la santé, j'ai également pu observer une relative méconnaissance des opportunités de carrière offertes par l'informatique hospitalière, qui sont pourtant nombreuses. L’hôpital peut permettre des parcours professionnels intéressants. Nous devons le faire savoir, en particulier auprès des étudiants en informatique, bien peu nombreux à connaître les métiers de l’hôpital – en-dehors, naturellement, du volet soignant. Parallèlement à cet effort de communication, il nous faut aussi mieux mobiliser les dispositifs de formation par alternance, qui sont d’ailleurs en plein essor. Au CHRU de Nancy, par exemple, nous accueillons aujourd’hui 13 alternants en informatique, alors qu’il n’y en avait aucun il y a seulement quatre ans. La possibilité d’apprécier rapidement l’impact de leurs actions est largement plébiscitée par ces jeunes qui, pour beaucoup, restent dans nos équipes une fois leur formation terminée.
> Article paru dans Hospitalia #64, édition de février 2024, à lire ici
Monique Sorrentino : Nous le savons, le développement extraordinaire des technologies numériques appliquées à la santé sera d'une immense aide pour le système dans son ensemble, y compris les hôpitaux. Le numérique de santé est ainsi aujourd’hui en pleine phase d'extension et d'accélération, soutenu par la succession des nombreux programmes mis en œuvre par la force publique pour que nos établissements puissent accélérer leurs investissements sur ce champ plus que jamais stratégique. Car, il faut l’admettre, le monde de la santé accuse un certain retard sur le niveau des équipements, le taux d’informatisation, voire la part des budgets alloués à ces dépenses. Les programmes publics, passés comme ceux à venir, entendent justement pallier ces difficultés, pour que tous puissent prendre de plain-pied le virage numérique. Mais encore aujourd’hui, nos hôpitaux ne peuvent, malheureusement, pas investir et recruter autant qu’ils le souhaiteraient.
Quel est le rôle d’un directeur général pour favoriser la transformation numérique de son établissement ?
Monique Sorrentino : Un directeur général n’opère pas seul. Il est assisté par une équipe, et travaille notamment en tandem avec les présidents de Commissions médicales d'établissement (CME) pour définir la politique générale de l’établissement, portant aussi sur le déploiement d’outils numériques, les modalités de gestion des données de santé ou encore l’intégration des technologies d’intelligence artificielle. L’objectif est ici d’assoir une vision partagée par la communauté médico-soignante, et d’accompagner les équipes hospitalières sur ces sujets qui, parfois, nécessitent des arbitrages. En parallèle, nous essayons nous-mêmes de nous y former, pour améliorer notre compréhension des enjeux numériques. Mais, comme je le disais plus haut, nous ne travaillons pas seuls. Plusieurs professionnels de l’hôpital, et en particulier les membres des commissions numériques locales avec représentation des médecins, apportent leur expertise. Cette approche collaborative est importante car le numérique en santé est un monde complexe aux frontières mouvantes. Il recouvre plusieurs réalités, les outils métiers, la data, l’IA, les entrepôts de données, la recherche clinique… et impose de nécessaires synergies entre ses composants pour que nous puissions toujours mieux soigner nos patients.
Ces dernières années, les dynamiques locales ont connu un bouleversement majeur avec la création des Groupements hospitaliers de territoires (GHT). Quel a été son impact sur le développement du numérique dans les hôpitaux ?
Monique Sorrentino : La constitution des GHT et la rédaction de projets médicaux partagés n’ont pas été sans effets, avec la construction de schémas directeurs informatiques désormais pensés à l’échelle du territoire. Mais nous n’avons parcouru que la moitié du chemin. Dans la grande majorité des GHT français, le chemin est encore long pour que la convergence des systèmes d'information soit finalisée. Mais, bien qu’elle ne soit pas encore arrivée à son terme, cette mutualisation a déjà des effets positifs, par exemple pour les établissements de petite taille, qui peuvent ainsi bénéficier du support de structures plus matures sur le sujet. Les attentes sont en tout cas nombreuses, car cette convergence facilitera la prise en charge des patients d’un même territoire, en simplifiant et en accélérant les échanges de données entre tous les acteurs d’un parcours de soins. Ce qui facilitera d’ailleurs le déploiement de la responsabilité populationnelle, telle qu’elle a été établie par la Fédération hospitalière de France. J’en suis persuadée, les technologies numériques seront d’une aide précieuse pour améliorer la pertinence des actions de prévention et offrir des réponses plus adaptées aux besoins sanitaires d’un territoire donné.
Jean-Christophe Calvo : La transformation numérique de l’hôpital est aujourd’hui bel et bien une réalité, même si elle est plus récente que dans d’autres secteurs d’activité. Passer « du papier au numérique » a d’ailleurs été un défi en soi. En ce qui concerne la convergence des systèmes d’information des GHT : tous les CHU sont actuellement engagés sur cette voie, mais leur niveau d’avancement est très hétérogène. Les schémas directeurs des systèmes d’information de territoire ont toutefois été tous finalisés, et plusieurs bilans sont attendus au cours des prochains mois afin de réactualiser les plans d’action et préciser la trajectoire pour les quatre à cinq prochaines années. Mais, comme nous l’évoquions, la convergence informatique ne sera probablement pas terminée à cette échéance, d’autant que ce n’est pas le seul défi à relever. Nous devons également prendre en compte les enjeux actuels autour de la cybersécurité, mais aussi, par exemple, l'accélération de la télé-expertise, le développement de nouveaux services numériques à destination des patients, la dématérialisation accrue des parcours et le nécessaire renforcement de nos liens avec la ville.
Êtes-vous, au sein de la Commission des systèmes numériques des DG de CHU, en contact régulier avec l’écosystème industriel ?
Monique Sorrentino : Notre lien avec le monde industriel est permanent. Ses acteurs sont régulièrement invités à participer aux travaux de notre Commission, mais aussi pour des interventions ponctuelles sur une thématique particulière au niveau de la Conférence des DG de CHU. Ces échanges sont essentiels, pour exprimer des besoins mais aussi faire remonter certaines inquiétudes. L’écosystème industriel de la e-santé est aujourd’hui très riche, mais ce foisonnement n’est pas toujours perçu d’un bon œil par les hôpitaux, car une entreprise doit avoir une certaine taille critique pour être viable, disposer de capacités d’investissements suffisantes et garantir des développements sur le long terme. Savez-vous que seuls deux logiciels de dossier patient informatisé sont aujourd’hui en fonction sur tout le territoire des États-Unis, contre cinq logiciels majeurs en France ? Si la concentration du marché n’est pas forcément souhaitable, son éparpillement n’est pas non plus sécurisant. À cet égard, nous sommes particulièrement vigilants sur les « petites » solutions qui se développent un peu partout. Elles peuvent certes être séduisantes, mais il nous veiller à maintenir un système d'information structuré, avec des outils interopérables.
Jean-Christophe Calvo : L'interopérabilité représente d’ailleurs une réelle difficulté. Mais c'est aussi le cas de la qualité de vie au travail, en particulier en ce qui concerne la charge mentale liée à l’informatique. Les soignants n’acceptent plus, aujourd’hui, de disposer de logiciels non ergonomiques et vieillissants. Si l’on considère cet outil central qu’est le DPI, nous sommes, en 2024, sur une ergonomie similaire à celle qui était proposée en 2015 pour les solutions grand public. Cet écart est de plus en plus mal toléré par les professionnels de santé. C’est un point sur lequel nous alertons régulièrement les industriels, d’autant qu’il est directement lié aux enjeux d’interopérabilité : sans surprise, les soignants poussent parfois des solutions plus séduisantes, qui ne sont toutefois pas interopérables avec nos systèmes d’information.
Identifiez-vous d’autres enjeux à relever pour que la transformation numérique des établissements de santé se fasse à un rythme plus soutenu ?
Monique Sorrentino : J’évoquerai ici les difficultés de recrutement dans les services informatiques hospitaliers, auxquelles nous avons malheureusement du mal à faire face. La rémunération des informaticiens des établissements publics de santé reste encore éloignée du secteur privé et ne favorise pas toujours l’attractivité. La problématique se retrouve dans d’autres métiers de l’hôpital. Le directeur de l’établissement se retrouve alors, bien souvent, face à un choix cornélien dès lors qu’il lui faut arbitrer sur le sujet : si nous voulons de la qualité, il faut mieux la rémunérer, mais une telle décision est difficilement tenable en interne par rapport à tous les corps de métier hospitaliers et par rapport aux règles statutaires.
Jean-Christophe Calvo : Étant arrivé assez tardivement dans le monde de la santé, j'ai également pu observer une relative méconnaissance des opportunités de carrière offertes par l'informatique hospitalière, qui sont pourtant nombreuses. L’hôpital peut permettre des parcours professionnels intéressants. Nous devons le faire savoir, en particulier auprès des étudiants en informatique, bien peu nombreux à connaître les métiers de l’hôpital – en-dehors, naturellement, du volet soignant. Parallèlement à cet effort de communication, il nous faut aussi mieux mobiliser les dispositifs de formation par alternance, qui sont d’ailleurs en plein essor. Au CHRU de Nancy, par exemple, nous accueillons aujourd’hui 13 alternants en informatique, alors qu’il n’y en avait aucun il y a seulement quatre ans. La possibilité d’apprécier rapidement l’impact de leurs actions est largement plébiscitée par ces jeunes qui, pour beaucoup, restent dans nos équipes une fois leur formation terminée.
> Article paru dans Hospitalia #64, édition de février 2024, à lire ici