Connectez-vous S'inscrire
Le magazine de l'innovation hospitalière
Actu

Relever le défi de l’empowerment infirmier


Rédigé par Joëlle Hayek le Mercredi 3 Juillet 2024 à 14:15 | Lu 417 fois


Professeure des universités à l’Université Clermont Auvergne, où elle est membre du Laboratoire Clermont Recherche Management (CleRMa), mais aussi co-fondatrice et co-titulaire de la chaire de recherche Santé et Territoires, Corinne Rochette revient, pour Hospitalia, sur le concept d’empowerment infirmier, « véritable marqueur d’innovation organisationnelle » qu’il reste à construire en activant les bons leviers. Rencontre.



Comment en êtes-vous venue à travailler sur l’empowerment infirmier ?

Pr Corinne Rochette : Cette thématique s’inscrit dans les travaux plus larges de la chaire Santé et Territoires, créée en avril 2018 et qui porte des projets de recherche autour des problématiques de santé contemporaines en lien avec les territoires, notamment ceux de l’ex-région Auvergne. Son fil conducteur est celui de la santé pour tous, un objectif pouvant être atteint de plusieurs manières, notamment en investissant le champ de l’innovation managériale et des transformations organisationnelles. C’est dans cet axe que s’insèrent les travaux sur l’empowerment infirmier, qui ont d’ailleurs donné lieu à une thèse soutenue en 2022 par Murrim Ceccato, chercheuse au CleRMa.

Pourriez-vous, pour commencer, nous expliquer cette notion ?

L’empowerment infirmier trouve ses fondements dans le concept de l’hôpital magnétique*, qui apparaît aux États-Unis au tournant des années 1980, alors que de nombreux hôpitaux nord-américains étaient exposés à des problématiques de pénuries de soignants. L’hôpital magnétique s’articule autour de plusieurs dimensions, dont celles d’un leadership infirmier de type transformationnel, d’un mode de management participatif favorable à l’empowerment des soignants, d’une autonomisation des soignants dans leur sphère de décision clinique, et d’un climat relationnel collégial avec les médecins. Il s’agit donc, concrètement, de donner aux infirmiers le pouvoir d’agir, de les responsabiliser afin qu’ils puissent trouver une autre place – par rapport à celle qui leur est traditionnellement dévolue – au sein des organisations et de la gouvernance hospitalières. 

Quelle est ici la position des hôpitaux français ?

Leurs spécificités culturelles et organisationnelles n’ont pas permis aux concepts d’hôpital magnétique et d’empowermentinfirmier de s’y ancrer de la même manière qu’en Amérique du Nord. Pour autant, des initiatives commencent à voir le jour, mais elles restent encore assez timides et n’adoptent pas tout à fait le même format. Je pense notamment ici aux infirmiers coordinateurs et, plus récemment, aux infirmiers en pratique avancée (IPA), ce sont là des marqueurs de ces évolutions. Ces actions sont essentiellement portées par les directions des soins. Il reste à instaurer ou renforcer le portage institutionnel, particulièrement pour développer la recherche en sciences infirmières, qui constitue un levier majeur d’empowerment. Cela dit, certains établissements ont déjà sauté le pas.

Pourriez-vous évoquer quelques exemples ?

Le CHU de Clermont-Ferrand a ainsi sollicité notre chaire pour accompagner les soignants souhaitant s’engager dans des projets de recherche en sciences infirmières. La direction est ici tout à fait disposée à leur permettre de dégager du temps, mais aussi à mettre des ressources méthodologiques à leur disposition. Nous travaillons aussi sur ce champ avec le Cancéropôle Auvergne-Rhône-Alpes (CLARA), qui a d’ailleurs engagé une réflexion plus large sur l’évolution du métier infirmier. Je citerais également le Centre de lutte contre le cancer Léon-Bérard, à Lyon, où nous travaillons sur les binômes médecin-IPA. Ceux-ci fonctionnent déjà très bien, car ils sont basés sur une confiance mutuelle, une notion d’ailleurs centrale pour l’autonomisation des soignants. L’empowerment des infirmiers est, d’abord et avant tout, une question d’individus : il faut avoir envie de s’y engager, mais il faut aussi qu’il y ait, en face, une réelle volonté de travailler différemment ensemble. 

Y a-t-il ici un gap générationnel ?

Je ne l’ai pas observé. Il est effectivement possible que certaines habitudes s’installent avec le temps, rendant la remise en question plus difficile. Mais les plus jeunes ne sont pas non plus ceux qui s’engageraient le plus dans des actions favorisant l’empowerment infirmier. Les plus enclins à prendre ce virage sont surtout, à mon sens, des trentenaires ou quadragénaires, qui ont déjà une certaine expérience de l’exercice hospitalier. Ils ont ainsi pu acquérir une bonne connaissance du périmètre d’action de chacun, et surtout nouer des relations de confiance avec les autres métiers hospitaliers puisque, comme je le disais, c’est là la porte d’entrée principale d’un leadership infirmier plus affirmé.

Identifiez-vous des leviers qui permettraient d’accélérer cette dynamique ?

Il faudrait déjà faire évoluer la formation des infirmiers, pour y intégrer les enjeux relatifs au management d’un projet de recherche. Les jeunes infirmiers les découvrent souvent à leur arrivée à l’Hôpital. Il y a bien sûr eu quelques avancées notables ces dernières années, par exemple la création en 2019 d’une section du Conseil national des universités pour les sciences infirmières, ou l’ouverture, en mars 2024, de la toute première école universitaire de recherche en sciences infirmières. Mais il serait aussi pertinent d’ouvrir le sujet dès les Instituts de formation en soins infirmiers (IFSI). Naturellement, il faudrait également aborder les évolutions du métier d’infirmier dans la formation des médecins, afin que l’espace collaboratif avec les soignants soit aussi envisagé sous d’autres angles. Sans oublier la formation des directeurs d’hôpitaux, pour qu’ils soient enclins à leur laisser plus de place dans les instances de gouvernance, et à flécher les ressources financières et temporelles nécessaires à leurs projets. C’est d’ailleurs là un réel défi, car comme vous le savez les budgets et les effectifs hospitaliers sont sous tension.

Le mot de la fin ?

En autonomisant ses soignants, l’Hôpital pourra pleinement tirer profit de l’intelligence collective au bénéfice des patients. Cet empowerment est aussi un levier pour fidéliser son personnel infirmier, en lui offrant un environnement professionnel dans lequel il pourra véritablement progresser et s’épanouir, ce qui renforcera en retour son implication. Tout le monde y gagnera.

(*) Défini en 2008 par l’American Nurses Credentialing Center comme un « établissement qui satisfait à un ensemble de critères appréciant les pratiques de ressources humaines, organisationnelles et managériales identifiées pour rendre optimal l’exercice professionnel des soignants ».

> Article paru dans Hospitalia #65, édition de mai 2024, à lire ici 
 






Nouveau commentaire :
Facebook Twitter