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« Le soignant en 2050 », ou la recherche d’un avenir désirable


Rédigé par Joëlle Hayek le Mercredi 23 Octobre 2024 à 08:03 | Lu 129 fois


Le 4 juillet dernier, le projet de design fiction « Le soignant à l’hôpital en 2050 » était officiellement lancé à l’IFSI-IFAS Tenon, porteur de cette initiative novatrice en partenariat avec l’hôpital Tenon (AP-HP). Ambitionnant de réfléchir, de manière « créative et non réactive » à la transformation des métiers du soin pour « imaginer un avenir souhaitable » – selon les mots de Nacéra Benchérif, la directrice de l’IFAS-IFSI et cheffe de projet –, cette démarche enthousiasmante, à ce jour unique en France, se déploiera sur trois ans. Hospitalia la suivra jusqu’à son terme.



Difficultés de se projeter dans l’avenir avec un présent pesant, complexité des environnements de travail et incertitudes multiples, crise structurelle de l’hôpital public, défection des métiers du soin et quête de sens, nouvelles attentes des usagers, accélération de la transition numérique mais aussi écologique… Les enjeux auxquels fait aujourd’hui face l’hôpital public sont multiples et appellent des réponses nouvelles. Ce constat semble partagé par tous ceux se frottant à ce monde si particulier, qui recherchent néanmoins la posture adéquate. « Deux options se posent à nous : soit nous subissons ces enjeux, soit nous entrons dans l’action afin de réfléchir à un avenir désirable pour tous, et nous nourrir ainsi de l’énergie de l’optimisme », a tancé Nacéra Benchérif, la très dynamique directrice de l’IFSI-IFAS Tenon, à l’initiative de laquelle le projet de design fiction « Le soignant en 2050 » a vu le jour. 

Estimant que les nouvelles dynamiques aujourd’hui à l’œuvre dans le monde de la santé supposaient de « faire un pas de côté », elle a souhaité la création d’un espace pour ouvrir la discussion et engager des expérimentations, et pouvoir ainsi « identifier les lignes de force et les fils à tirer » pour imaginer l’avenir des métiers du soin. Le choix d’une approche par le design-fiction n’est pas anodin. Cette méthode de prospective autorise en effet une grande liberté créative, car elle impose de « s’extirper des contraintes actuelles pour se projeter d’abord vers un futur préférable, puis de revenir au présent et d’imaginer le chemin vers cet avenir souhaité, en matérialisant des scénarios possibles, en les mettant en débat, et en développant un regard critique sur leurs implications sociales, culturelles et éthiques », a précisé Matthieu Robert, lui-même designer en santé à l’AP-HP et membre du comité de pilotage du projet.

Un projet longuement mûri

Ce n’est pas la première fois que des équipes des Hôpitaux de Paris se penchent sur l’épineuse question du soignant de demain. De mai 2020 à juin 2021, déjà, des espaces de discussion sur le métier de soignant avaient été organisés au sein du Département médico-universitaire (DMU) ARCHIMEDE de l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière, avec huit cadres de santé. « Il nous fallait néanmoins développer une approche managériale innovante pour donner envie aux jeunes professionnels de s’engager dans cette réflexion collective », a noté Nacéra Benchérif. Une nouvelle expérimentation a donc été menée de septembre 2021 à juin 2022, toujours au sein du DMU, associant une dizaine de soignants et quatre cadres de santé. Le format est repensé, avec des ateliers d’une demi-journée de travaux dirigés « dedans », et d’une demi-journée « hors les murs » pour trouver l’inspiration. 

« Le bilan était plutôt positif, avec des échanges nourris sur le métier de soignant et une confrontation de points de vue avec d’autres métiers pour favoriser l’interdisciplinarité. Mais il y avait aussi des axes d’amélioration, notamment le manque de moyens qui a de facto imposé le bénévolat aux participants », a-t-elle indiqué. Autre sujet de frustration, et non des moindres : un poste de soins du futur avait été imaginé au cours des réflexions, sorte d’espace hybride pour les professionnels de santé et les patients. Mais le projet n’avait pas pu être matérialisé. Or, comme l’a rappelé Matthieu Robert, « la méthode du design-fiction repose sur la possibilité de rendre crédible la potentialité d’un concept. La matérialisation concrète d’un prototype aide à faire tendre la fiction vers la réalité ». Face à ce regret, exprimé par les participants, de n’avoir pas pu fournir une production utile pour l’institution – « leur en a-t-elle donné les moyens ? » –, Nacéra Benchérif a de nouvelles ambitions pour « Le soignant en 2050 » : « Le projet se déroulera pendant trois ans. Je souhaiterais que les participants produisent un chef-d’œuvre par année, sur le modèle de ce qui se fait chez les Compagnons du Devoir ».

« Oxygéner le regard »

Les ateliers seront ainsi lancés dès le mois d’octobre et notamment animés par les membres du comité de pilotage. Ils accueilleront 15 étudiants en soins infirmiers, 3 infirmiers tuteurs et 2 patients partenaires, pour une fin des travaux programmée en 2027. On l’aura compris, le projet, qui entre dans le cadre de l’Atelier de réflexion sur le travail (ART) « Innovation et prospectives », entend développer une démarche prospective via une expérimentation menée en interprofessionnalité sur le sens du travail des soignants, en mobilisant la méthode du design-fiction pour faire matérialiser, par les participants, ce que pourrait être le métier du soignant à l’hôpital en 2050 : nouvelles compétences, interactions dans le travail, place du patient et du patient partenaire, nouveaux environnements, nouvelles interfaces… 

« Interprofessionnalité » est d’ailleurs ici un mot clé : « L’entre-soi est certes agréable, mais il faut oxygéner le regard pour ouvrir de nouvelles perspectives. Cette diversification des visions se retrouve au sein du comité de pilotage du projet, mais aussi dans les différents groupes de partenaires », a souligné Nacéra Benchérif. De nombreuses questions doivent en effet être pensées collectivement, « et je suis convaincue par la nécessité de décloisonner et d’horizontaliser les organisations. Il y a bien sûr des inquiétudes sur l’avenir, mais il nous faut domestiquer cette peur et expérimenter ensemble, ouvrir des interstices », a-t-elle ajouté. 

Recherche-action

Un appel à l’action auquel souscrivent les autres membres du comité de pilotage. « À l’hôpital peut-être plus qu’ailleurs, le rôle de chacun est instauré. Mais il n’est pas nécessairement figé. En créant des espaces de discussion pour sortir de schémas établis, en osant les mélanges, ce projet prospectif s’inscrit aussi dans le domaine de la recherche-action, et peut devenir un lieu d’apprentissage collectif », a ainsi noté Fréderic Brugeilles, sociologue et psychosociologue. « Souvent, les cadres de santé se sentent un peu en décalage avec les attentes des jeunes générations. En permettant des échanges horizontaux, les travaux autour du Soignant en 2050, pourront nous donner de la matière pour mieux les comprendre, et donc mieux les accompagner », a illustré Caroline Pichon, coordinatrice générale des soins à l’hôpital Tenon. Une telle démarche coopérative est encore rare au sein de l’hôpital public, a déploré Anne Grinfeld, ancienne cadre de santé et autrice, missionnée pour tenir le journal de bord du projet : « J’ai connu de nombreuses collaborations mais peu de coopérations, qui impliquent de coconstruire une vision qui corresponde à la somme de nos regards – ce qui implique aussi une part de déconstruction de soi »

Le Dr Éric Bouvard, médecin gériatre à l’hôpital Tenon et représentant de la communauté médicale au sein du projet de design-fiction, a lui-même abondé : « Les médecins et les paramédicaux travaillent mal ensemble, ils ne communiquent pas. Mais cela n’est pas irrémédiable, d’autant que les métiers du soin sont en train de changer. Ce que nous commençons aujourd’hui, sera à terme utile pour tous, car nous chercherons justement à imaginer un avenir souhaitable ». L’enjeu étant donc d’instaurer de la démocratie dans les pratiques, « pour trouver des réponses concertées à des besoins collectifs. À cet égard, ce projet est aussi un projet de recherche paramédicale, dans le sens où il vise l’interdisciplinarité », a noté Nathalie Nion, cadre supérieure de santé chargée de mission à la Direction de la recherche et de l’innovation au GHU Sorbonne Université. « Ne rien s’interdire est, finalement, l’enjeu adressé par cet exercice qui nous montre la voie : osons expérimenter ! », a enfin lancé Aurélien Pierre, expert au sein du Pôle Performance des ressources humaines de l’ANAP.

> Article paru dans Hospitalia #66, édition de septembre 2024, à lire ici 
 






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