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Le CHRU de Nancy prend le virage de la responsabilité populationnelle


Rédigé par Joëlle Hayek le Lundi 6 Novembre 2023 à 10:39 | Lu 1287 fois


Établissement support du groupement hospitalier de territoire (GHT) Sud Lorraine, le CHRU de Nancy s’est engagé dans une démarche de responsabilité populationnelle, qui entend tirer pleinement profit des relations historiques nouées avec ses partenaires locaux. Le point avec Sylia Mokrani, en charge de la Direction ville-hôpital et responsabilité populationnelle.



Pourriez-vous, pour commencer, nous présenter cette Direction créée en 2018 par le CHRU de Nancy ?

Sylia Mokrani : Rattachée au Département ville, médico-social, hôpital, elle s’inscrit dans la continuité des nombreuses coopérations nouées par le CHRU de Nancy avec ses partenaires territoriaux. Pour renforcer encore cette dynamique historique, la Direction l’aborde selon deux axes complémentaires : renforcer et développer des partenariats (ville, hôpital, social, médico-social, collectivités, usagers…), et co-construire des parcours populationnels. C’est la philosophie développée dans l’approche « Responsabilité Populationnelle », une démarche qui entend faire travailler ensemble tous les acteurs d’un bassin de vie pour améliorer la santé de ses habitants, en se basant sur les besoins de cette population. 

Pourriez-vous évoquer plus en détail le premier champ ?

Il s’agit, plus concrètement, de renforcer et d’étendre les synergies existantes à l’échelle du territoire. Cet enjeu impose donc un alignement des projets stratégiques portés par les acteurs d’un territoire (projet régional de santé, projet d’établissement, projet de santé CPTS…), ce qui facilite ensuite la mise en place d’initiatives sur le terrain. Concrètement, au-delà de son rôle au sein du GHT Sud Lorraine dont il est l’établissement support, le CHRU de Nancy est présent et participe activement aux travaux des différentes instances territoriales, Communauté territoriale des professionnels de santé (CPTS), Dispositif d’appui à la coordination (DAC), contrats locaux de santé, etc. Cela nous permet de mener des projets rapidement opérationnels. Ce fut le cas lorsqu’en juillet 2022, les urgences du CHRU avaient été confrontées à un afflux inattendu de patients âgés venant de leur domicile. Une cellule de régulation ville-hôpital a pu être créée en 48 heures seulement avec les partenaires métropolitains pour trouver des solutions adaptées et individualisées. 

Quid du volet responsabilité populationnelle ?

Bien que, comme nous venons de le voir, le CHU ait développé des liens forts avec ses partenaires territoriaux, cette dynamique a besoin d’être mieux structurée et d’intégrer un volet relatif à la prévention et la promotion de la santé. L’approche de responsabilité populationnelle, qui s’appuie donc sur les besoins de la population, propose à ce titre une méthode robuste, à la fois en termes d’outils scientifiques que de gestion de projet. La première étape a été de réaliser une étude de faisabilité, ce qui nous a permis d’identifier une population et une pathologie cibles, en l’occurrence les personnes âgées et le diabète de type 2. Début juillet, l’entrée de notre territoire dans une démarche de responsabilité populationnelle a été officialisée en présence de l’ensemble des partenaires mobilisés – comité territorial des élus, CPTS, Unions régionales des professionnels de santé (URPS), DAC, France Assos Santé, etc., pour un lancement opérationnel à partir du mois de septembre 2023. 

Vous évoquez les territoires expérimentateurs, dont vous connaissez bien les projets pour être également directrice des opérations Responsabilité populationnelle au sein de la Fédération Hospitalière de France (FHF). Pourriez-vous nous en parler ?

La responsabilité populationnelle est en effet une démarche relativement récente en France. En 2018, la FHF a initié des expérimentations autour de deux pathologies, le diabète de type 2 et l’insuffisance cardiaque, dans cinq territoires – l’Aube et le Sézannais, la Cornouaille, le Douaisis, les Deux-Sèvres et la Haute-Saône, où j’étais d’ailleurs moi-même en charge de la démarche en 2020. La responsabilité populationnelle a, depuis, été inscrite dans la loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation de notre système de santé, une reconnaissance législative qui est aussi une reconnaissance du travail de fond mené par la FHF pour la défendre. Depuis le mois d’août 2021, je suis en charge des opérations à la FHF où j’accompagne, avec l’équipe nationale de la fédération, la montée en charge du dispositif dans les cinq territoires pionniers. 

Comment procédez-vous ?

Cela s’est traduit par un travail mené conjointement par l’équipe nationale en charge du projet et les cinq territoires expérimentateurs, afin de proposer un pilotage adapté pour accompagner le déploiement de la démarche et sa montée en charge. Chaque territoire a des spécifiques et des besoins différents ; c’est ce qui fait la force du modèle car, s’il fonctionne pour cinq territoires, il pourra être adapté ailleurs. Cela dit, une expérimentation à grande échelle sur cinq territoires permet également de s’appuyer sur la richesse d’un collectif. Un groupe de travail « chargés de missions » a ainsi été mis en place et structuré pour accompagner localement chaque montée en charge, mais aussi pour réfléchir collectivement aux enjeux transversaux, comme la communication auprès des acteurs territoriaux, l’inclusion des patients, ou encore la mobilisation des professionnels de santé. 

Quelles sont les autres actions menées dans le cadre de ce groupe de travail ?

Offrant une vision transversale, celui-ci permet aussi de s’inspirer des actions ou dispositifs mis en œuvre par certains territoires. Je pense notamment ici au dispositif de « citoyens-ambassadeurs » créé dans le Douaisis pour mener des actions de sensibilisation et de dépistage auprès des populations concernées, en lien étroit avec les professionnels de santé. Le groupe de travail des chargés de missions s’attache enfin à recueillir un certain nombre d’indicateurs qui, au-delà d’assurer le suivi du déploiement, permettent d’ajuster l’accompagnement mis en place. Les derniers chiffres, recueillis fin juin 2023, sont d’ailleurs éloquents et témoignent de la dynamique positive à l’œuvre dans les cinq territoires expérimentateurs : 822 acteurs, dont 70 usagers partenaires, participaient alors activement à la démarche, pour 726 actions menées et 10 511 personnes dépistées. Par ailleurs, 2 400 personnes avaient été incluses aux cohortes concernant le diabète de type 2, et 562 à celles de l’insuffisance cardiaque.

La mobilisation des professionnels de santé représente, vous l’avez dit, un enjeu majeur. Avez-vous identifié ici des leviers et points de vigilance particuliers ?

La responsabilité populationnelle est en effet une démarche longue et exigeante, qui impose de nouer des relations de confiance avec les acteurs territoriaux. Les points de blocage sont d’ailleurs souvent liés à la méconnaissance du dispositif ; d’où la nécessité de prendre le temps de tisser des liens qui seront ensuite fondamentaux pour mettre en œuvre des projets communs. Le dispositif a donc besoin de s’appuyer sur des personnes volontaires, mais il ne s’agit in fine que de la première marche à monter. Il faut ensuite aligner les acteurs dans une même direction stratégique, qui elle-même puisera ses racines dans les besoins identifiés au sein du bassin de vie. Une fois ce jalon également passé, reste un dernier enjeu, et non des moindres : celui du système d’information (SI). Il faut en effet pouvoir échanger des informations et se coordonner. C’est là le rôle des GRADeS, avec lesquels nous travaillons étroitement pour adapter les outils de coordination territoriaux aux modèles de la responsabilité populationnelle. D’ailleurs, deux territoires, parmi les cinq expérimentateurs, disposent déjà d’un SI que l’on pourrait qualifier de « SI populationnel ».

Quels sont ses prérequis ?

Un SI populationnel s’articule plus particulièrement autour d’une dizaine d’enjeux : l’identification et le repérage des patients, la stratification de leur maladie en lien avec les modèles pyramidaux de la responsabilité populationnelle, leur inclusion dans une cohorte permettant d’appliquer un parcours à chaque prise en soins, le soutien et l’information des parties prenantes – un point essentiel : il faut, notamment, que les patients puissent avoir accès aux données les concernant –, et l’extraction des données nominatives et populationnelles afin de pouvoir piloter la démarche. À cet égard, notre territoire a de la chance car, dans la région Grand Est, l’Aube est justement l’un des deux territoires expérimentateurs ayant déjà un SI populationnel. Nous pouvons donc en bénéficier sur le territoire Sud Lorraine. En tout état de cause, le territoire Sud Lorraine aborde la démarche de responsabilité populationnelle de manière positive, car nous disposons déjà des fondations nécessaires et d’une base mature et solide.

Quels sont vos attendus ?

Les expérimentations déjà menées dans les cinq territoires pilotes ont démontré la pertinence du modèle de responsabilité populationnelle et ses impacts positifs sur les organisations de santé locales. Notre système de santé a été pensé pour la prise en charge des pathologies aiguës et repose, à cet égard, essentiellement sur l’hôpital. Or la situation a changé. L’allongement continu de la durée de vie, l’explosion des maladies chroniques, imposent de revoir cette organisation car l’hôpital ne peut relever ces enjeux à lui seul. En 2019, les données recueillies par la FHF auprès des établissements publics de santé avaient par exemple montré que, sur plus de 4,18 millions de séjours MCO concernant des personnes âgées de plus de 75 ans cette année-là, 35,6 % étaient entrés directement par les urgences. Les maladies chroniques ne sont pas en reste : en 2019, plus de 2,21 millions de séjours MCO concernaient des patients diabétiques, dont 30,1 % étaient entrés par les urgences ; et plus de 1,69 million de séjours étaient en lien avec l’insuffisance cardiaque, dont 42,1 % directement arrivés par les urgences. La pression sur l’hôpital s’est accrue, rendant le système actuel difficilement tenable.

Le volume des admissions directes par les urgences et celui des hospitalisations programmées font d’ailleurs partie des indicateurs observés par le groupe de travail de la FHF… 

Ces chiffres sont en effet pertinents pour évaluer l’intérêt des démarches de responsabilité populationnelle. Et, sans surprise, une meilleure articulation des acteurs impliqués dans la prévention, le soin, et le suivi médico-social, voire social, permet d’adapter l’offre au besoin et se traduit par une baisse du premier paramètre et une hausse du second. En permettant à chaque acteur de la prise en soins de jouer pleinement son rôle, nous pouvons donc alléger la pression sur l’hôpital mais aussi organiser des parcours plus fluides, avec des impacts déjà perceptibles en termes de santé publique. C’est justement forts de tous ces constats que le CHRU de Nancy, le GHT Sud Lorraine et ses partenaires ont souhaité s’engager dans cette démarche qui sera structurante pour les organisations sanitaires de demain.

> Article publié dans l'édition de septembre d'Hospitalia à lire ici.

 







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