Tout commence début 2020, lorsque les experts réunis au sein de l’association The Shift Project ont souhaité se pencher plus en détail sur le bilan carbone du secteur de la santé. « C’est un domaine sur lequel nous étions nombreux à travailler avant même de rejoindre le laboratoire d’idées au service de la transition écologique qu’est le Shift Project. En ce qui me concerne par exemple, j’avais commencé par m’intéresser à l’impact environnemental et la soutenabilité de la santé numérique, avant d’élargir le scope au secteur de la santé dans son ensemble », explique Laurie Marrauld, cheffe de projet Santé pour le Shift Project, par ailleurs enseignante-chercheuse et titulaire de la Chaire RESPECT – pour Résilience en santé, prévention, environnement, climat et transition – à l’École des hautes études en santé publique (EHESP) de Rennes. Quelques semaines seulement après le lancement officiel des travaux, un confinement national était décrété en réaction à la pandémie Covid, mettant la France à l’arrêt. « C’était là une occasion unique pour travailler sur le modèle français et proposer, en sortie de confinement, une production correspondant aux objectifs de la Conférence de Paris sur le climat, ou COP 21 », poursuit-elle.
Un contexte favorable
Dès le mois de juillet 2020, le groupe de travail Santé propose un premier état des lieux, « reposant essentiellement sur la littérature », avant de s’atteler à reconstituer le bilan carbone des activités sanitaires. « Travaillant principalement à partir de données physiques, nous avons étudié plus de 300 postes d’émissions de gaz à effet de serre, réunis en une dizaine de catégories. Malgré un périmètre très légèrement incomplet et des hypothèses parfois conservatrices, nous sommes arrivés à un total de 46 millions de tonnes de CO2, soit près de 8 % des émissions nationales, ce qui est significatif », indique Laurie Marrauld. Publié en novembre 2021, le rapport Décarboner la santé pour soigner durablement a rapidement un large écho. Il faut dire que le contexte était favorable, entre la prise de conscience environnementale initiée par la crise Covid, la succession d’épisodes caniculaires durant les précédents mois estivaux, et la crise énergétique issue des difficultés d’approvisionnement gazier liées à la guerre en Ukraine. « Les sollicitations étaient nombreuses, nous poussant à organiser plus d’une centaine de conférences pour présenter nos travaux et recommandations. Ce rapport du Shift Projet a en outre permis de nourrir le volet santé du Plan de transformation de l’économie française », sourit-elle.
Des travaux complémentaires sur le volet des médicaments
Mais l’industrie pharmaceutique demande des éclaircissements sur les facteurs d’émission des médicaments. « Il s’agit du premier poste d’émissions de gaz à effet de serre, évalué à 15,6 millions de CO2, soit 33 % des émissions totales du secteur de la santé », précise l’enseignante-chercheuse. Le groupe de travail Santé décide donc de reprendre ses données, dévoilant au printemps 2023 un rapport mis à jour et complété d’une note méthodologique sur le volet des médicaments. « Nous nous sommes ici basés, pour l’essentiel, sur le ratio monétaire, faute de données suffisantes sur l’analyse du cycle de vie des médicaments. Or ce ratio est effectivement discutable, car le prix d’acquisition d’un médicament est bien souvent décorrélé de son coût de production », poursuit Laurie Marrauld.
Les mises à jour apportées n’ont toutefois pas « fondamentalement » modifié les résultats : les émissions sur le volet Médicament ont ainsi été ré-évaluées à 14,5 millions de tonnes de CO2, soit 29 % des émissions totales. Pour aller plus loin, le Shift Project et le Leem, l’organisation professionnelle de l’industrie pharmaceutique en France, cherchent désormais à « mieux identifier les sources d’émissions carbone lors des différentes étapes du cycle de production d’un médicament », annonce-t-elle. Des travaux qui devraient aboutir au cours du premier semestre 2024 et constituer « un levier fort pour initier un changement de pratiques au sein de l’industrie pharmaceutique, d’autant que celle-ci dispose d’une forte capacité d’innovation pour mener sa décarbonation à bien », note-t-elle.
Les mises à jour apportées n’ont toutefois pas « fondamentalement » modifié les résultats : les émissions sur le volet Médicament ont ainsi été ré-évaluées à 14,5 millions de tonnes de CO2, soit 29 % des émissions totales. Pour aller plus loin, le Shift Project et le Leem, l’organisation professionnelle de l’industrie pharmaceutique en France, cherchent désormais à « mieux identifier les sources d’émissions carbone lors des différentes étapes du cycle de production d’un médicament », annonce-t-elle. Des travaux qui devraient aboutir au cours du premier semestre 2024 et constituer « un levier fort pour initier un changement de pratiques au sein de l’industrie pharmaceutique, d’autant que celle-ci dispose d’une forte capacité d’innovation pour mener sa décarbonation à bien », note-t-elle.
Une répartition toujours plus fine des émissions carbone
Dans sa V2, le rapport du Shift Project propose également une répartition des émissions de gaz à effet de serre (hors médicaments et dispositifs médicaux) en fonction de la typologie des acteurs de santé. Ainsi, les établissements de santé représentent 38 % des émissions, la médecine de ville 23 %, les établissements et services pour personnes âgées 21 %, les établissements et services pour personnes handicapées 17 %, et les administrations et complémentaires de santé 1 %. « Il y avait une réelle demande en ce sens, ce qui nous a d’ailleurs poussés à aussi proposer une répartition par postes d’émissions pour chacun de ces secteurs. Le bilan carbone ne doit pas être considéré comme une photographie à un instant T, mais bien comme un diagnostic initial à partir duquel l’on peut réfléchir au traitement, c’est-à-dire aux réponses à y apporter. Or il faut, pour cela, attribuer le pouvoir d’agir aux personnes ayant la responsabilité de ces émissions », précise Laurie Marrauld. L’alimentation représente ici un exemple parlant. Bien que la matière première soit fournie par l’industrie agroalimentaire, ce sont les établissements de santé eux-mêmes qui passent commande des produits. « Cette étape étant sous leur responsabilité, ils ont donc un rôle à jouer en matière de décarbonation », souligne-t-elle.
Former et informer
Également titulaire de la Chaire RESPECT à l’EHESP, qui elle-même considère la transition écologique sous le double prisme de la santé publique et des sciences de gestion, l’enseignante-chercheuse indique observer un « foisonnement d’initiatives » sur le terrain, toutefois issues pour l’essentiel de volontés individuelles. « Ces démarches seront véritablement porteuses lorsqu’il y aura systématiquement un alignement des directions générales et des encadrants dans les pôles et les services, afin d’orienter les pratiques de décarbonation », note-t-elle en insistant ici sur l’importance de la formation. Laurie Marrauld évoque également la nécessaire réflexion à mener autour de l’incitation à la réorientation écologique et, « progressivement », de l’évolution de la règlementation. « Il faut former mais aussi informer. Or, dans les établissements de santé, un grand nombre des émissions carbone provient des flux extérieurs. C’est là une porte d’entrée qu’il serait utile de règlementer, pour accentuer la transparence des fournisseurs sur leur propre bilan carbone », insiste-t-elle.
Au Royaume-Uni, par exemple, cette transparence sera obligatoire à l’horizon 2028 pour les industriels souhaitant être référencés au sein du National Health Service (NHS). « Cela devrait faire tache d’huile auprès des fournisseurs internationaux. Mais d’autres leviers pourraient également être activés en France, en matière d’autorisation de mise sur le marché ou de remboursement par la collectivité », poursuit la cheffe de projet, évoquant aussi le potentiel développement d’un outil de transparence carbone afin que « chaque professionnel de santé puisse connaître l’impact carbone du produit, dispositif ou équipement utilisé. Il ne s’agit aucunement de culpabiliser les utilisateurs, mais bien de les informer et de nourrir leur propre capacité de résilience ».
Au Royaume-Uni, par exemple, cette transparence sera obligatoire à l’horizon 2028 pour les industriels souhaitant être référencés au sein du National Health Service (NHS). « Cela devrait faire tache d’huile auprès des fournisseurs internationaux. Mais d’autres leviers pourraient également être activés en France, en matière d’autorisation de mise sur le marché ou de remboursement par la collectivité », poursuit la cheffe de projet, évoquant aussi le potentiel développement d’un outil de transparence carbone afin que « chaque professionnel de santé puisse connaître l’impact carbone du produit, dispositif ou équipement utilisé. Il ne s’agit aucunement de culpabiliser les utilisateurs, mais bien de les informer et de nourrir leur propre capacité de résilience ».
Une démarche au long cours
Cette réflexion est au cœur des travaux de la Chaire RESPECT, qui étudie notamment l’évolution des organisations et les leviers du changement en matière de transition écologique. « Nous regardons également la manière dont le bilan carbone est perçu en fonction des différents acteurs. Un directeur d’établissement aurait par exemple tendance à le considérer comme un outil de comptabilité, alors qu’un professionnel de santé pourrait être tenté de le voir comme un dispositif peu en phase avec la réalité du terrain. Tout l’enjeu réside donc dans notre capacité à pouvoir incarner cet outil de gestion macro-économique dans les pratiques quotidiennes », explique Laurie Marrauld en insistant ici sur la recherche d’un « consensus » pour prévenir la résistance au changement.
Elle évoque également la nécessité de ne pas perdre de vue l’image globale : « Le groupe de travail du Shift Project se concentre sur les émissions de gaz à effet de serre, car c’est là notre spécialité. Mais la décarbonation est une démarche globale, nous en sommes bien conscients. C’est pourquoi, après les facteurs d’émissions en tant que tels, nous comptons désormais nous pencher sur la prévention et la promotion de la santé, qui elles aussi représentent des leviers de décarbonation. Nous chercherons, plus concrètement, à objectiver les coûts et les gains environnementaux des actions de prévention ». Une nouvelle « brique » qui vient matérialiser l’ambition au long cours partagée par le Shift Project et la chaire RESPECT : mettre en avant, dans les politiques transversales santé-environnement, les « co-bénéfices en termes de santé, climat et réduction des inégalités ».
> Article publié dans l'édition de septembre d'Hospitalia à lire ici.
Elle évoque également la nécessité de ne pas perdre de vue l’image globale : « Le groupe de travail du Shift Project se concentre sur les émissions de gaz à effet de serre, car c’est là notre spécialité. Mais la décarbonation est une démarche globale, nous en sommes bien conscients. C’est pourquoi, après les facteurs d’émissions en tant que tels, nous comptons désormais nous pencher sur la prévention et la promotion de la santé, qui elles aussi représentent des leviers de décarbonation. Nous chercherons, plus concrètement, à objectiver les coûts et les gains environnementaux des actions de prévention ». Une nouvelle « brique » qui vient matérialiser l’ambition au long cours partagée par le Shift Project et la chaire RESPECT : mettre en avant, dans les politiques transversales santé-environnement, les « co-bénéfices en termes de santé, climat et réduction des inégalités ».
> Article publié dans l'édition de septembre d'Hospitalia à lire ici.