Quatorze millions de Français, soit 28% de la population âgée de plus de 18 ans, est aujourd’hui éloignée du numérique, une catégorie qui regroupe à la fois les « ‘non-internautes’ qui ne se connectent jamais à internet, et les internautes qualifiés de ‘distants’ dont les compétences numériques sont faibles au point de ne pas pouvoir réaliser certaines opérations simples », expliquent les auteurs de ce rapport remis le 12 juillet dernier à Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État chargé du numérique. Cette situation est, « sans surprise », corrélée à l’âge et à la catégorie socio-professionnelle – en effet, « les ouvriers, personnes sans activité professionnelle et retraités, ou encore les individus les moins diplômés et aux revenus les plus faibles », sont surreprésentés parmi les personnes éloignées du numérique.
Les bénéfices d’une meilleure autonomie numérique relèvent principalement de « quatre grands domaines » : l’économie numérique, l’emploi et la formation, la relation avec les services publics, et enfin l’inclusion sociale et le bien-être, domaine qui recouvre notamment la santé. À chaque fois, l’étude s’est attachée à donner une estimation des bénéfices à attendre d’une meilleure autonomie numérique « en supposant le déploiement d’une stratégie d’inclusion numérique visant à accompagner un tiers de la population cible sur dix ans ». Ces travaux ne quantifient donc pas les coûts de mise en oeuvre d’une stratégie visant à atteindre cet objectif, ni ne mesurent les bénéfices d’une formation poussée au numérique ou ses conséquences en termes d’usages dans les lieux de socialisation. Ils laissent par ailleurs à « d’autres » le soins de se pencher sur « les enjeux liés aux mutations de la société que l’intelligence artificielle, l’internet des objets, les données de masse, l’industrie 4.0 pourraient entraîner ».
UN MEILLEUR ACCÈS À L’INFORMATION MÉDICALE…
« Internet peut améliorer l’accès aux soins ainsi que leur qualité et leur efficacité », affirment les auteurs sans ambages. Ainsi en ce qui concerne les diagnostics médicaux : d’après le Conseil National de l’Ordre des Médecins (CNOM), en 2012, près de 60% des Français se tournaient en priorité vers internet pour rechercher des informations en santé, en particulier avant une consultation. Un constat qui a poussé l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) à soutenir et mieux référencer les sites les plus pertinents. Un travail pédagogique reste néanmoins à faire puisque, d’après l’INSERM, « seules 42% des personnes consultant des sites Web de santé vérifient la source et la date de mise à jour de l’information obtenue en ligne ».
En tout état de cause, cet accès à l’information en ligne « pourrait permettre à l’assurance maladie de réaliser des économies en réduisant le nombre de consultations inutiles », estime le rapport, en citant une étude britannique (2011) selon laquelle « 29,5% dès lors atteindre 35 millions d’euros pour les patients et 70 millions pour l’assurance maladie, en se fondant sur « le coût d’une consultation en secteur 1 (25 euros) et la base de remboursement de la sécurité sociale (16,5 euros) sur une population estimée à 4,2 millions de Français des personnes utilisant internet vont au moins une fois de moins par an chez le médecin ». France Stratégie suppose dès lors que, si 30% des personnes éloignées du numérique réduisent leur nombre annuel de consultations d’une unité après avoir appris à utiliser internet, « cela concernerait 4,2 millions de personnes » en France. Les économies potentielles pourraient ». Avec, à la clé, « une hausse du bien-être de la population française » grâce à un meilleur service de santé.
… ET UN ACCÈS FACILITÉ AUX SOINS
Les auteurs se sont également penchés sur l’une des causes principales de renoncement aux soins : les délais d’obtention des rendez-vous, qu’ils estiment « préoccupants ». En effet, note le rapport, entre 2012 et 2017, le délai moyen d’obtention d’un rendez-vous chez un spécialiste libéral est passé de 48 à 61 jours, ce qui augmente d’autant le risque de non présentation du patient : « 100 millions de consultations, y compris dans le secteur paramédical, seraient ainsi perdues chaque année en France, ce qui représente l’équivalent de 30 000 postes de praticiens », d’après les chiffres avancés par le magazine Capital en février 2018.
Les auteurs s‘intéressent ici particulièrement aux plateformes de rendez-vous en ligne, qui permettraient « de réduire le délai et le coût d’obtention d’un rendez-vous, et de combler au plus vite les désistements afin de minimiser les pertes financières pour les médecins ». La baisse du renoncement aux soins aurait également « l’avantage d’éviter les coûts induits par une intervention tardive ». Cela dit, le numérique ne permet pas de répondre aux causes structurelles que sont « le numerus clausus, le vieillissement de la population des médecins et la mauvaise répartition géographique des spécialistes ». Dans certaines zones géographiques, celles-ci représentent les facteurs principaux des délais d’obtention des rendez-vous, et donc du renoncement aux soins, insiste France Stratégie, estimant que les consultations en ligne auraient ici un rôle à jouer.
NUMÉRIQUE ET CAPITAL SOCIAL
La notion de capital social « recouvre à la fois le nombre et la qualité de contacts qu’un individu entretient avec d’autres individus, ainsi que son engagement civique, c’est-à-dire la participation à une communauté ». Or les possibilités ouvertes par internet pour maintenir des contacts avec son entourage et ainsi rehausser son capital social sont nombreuses. France Stratégie cible ici en premier lieu « les personnes avec un handicap, les personnes les plus isolées géographiquement, les personnes âgées, les personnes exclues socialement […] qui peuvent le plus tirer parti d’internet pour développer leur réseau social ». Or le capital social réduit « le sentiment de solitude et de dépression » et renforce « les gestes de solidarité […] et le sentiment d’appartenance à une communauté ». En l’accroissant, internet contribue donc « à la réduction du sentiment d’isolement ». C’est d’ailleurs là un enjeu dont les établissements médico-sociaux semblent de plus en plus se saisir, en favorisant l’accès de leurs résidents au numérique.