Ces dernières années, quels ont été les changements majeurs en matière d’imagerie médicale ?
Pr Philippe Grenier : Depuis cinq ans environ, on assiste à un véritable boom de l'intelligence artificielle, notamment en ce qui concerne l'interprétation des images. Mais cette innovation, qui se base sur l’analyse automatisée de données de masse, n’est toutefois pas la seule. Sur le plan des appareillages, le développement de l’imagerie spectrale par comptage de photons représente une rupture technologique majeure dans le domaine des scanners et de leurs détecteurs. À la différence des détecteurs classiques, qui transforment l'énergie des photons en images lumineuses, les détecteurs de nouvelle génération transforment les photons en énergie électrique. Si, auparavant, la résolution spatiale des images était étroitement corrélée à la taille du détecteur, cette dernière peut désormais être réduite, alors même que la résolution spatiale s’améliore de façon considérable.
Quelles sont les applications offertes par cette technologie novatrice ?
Il est désormais possible d’augmenter la résolution en contraste tout en diminuant la dose de rayonnement. Cela est d’autant plus intéressant aujourd’hui que le suivi de certaines pathologies impose de réaliser toujours plus de scanners, y compris chez les patients jeunes. Parmi les autres avantages de l’imagerie à comptage photonique, j’évoquerai également la possibilité de réaliser des images construites avec les photons sélectionnés en fonction de leur énergie. Plus concrètement, les professionnels de santé peuvent, en fonction des besoins, « ôter » les photons d’énergies non nécessaires au diagnostic, voire réaliser des images mono-énergétiques. Ce panel inédit de possibilités offre de nouvelles options de contrastes, pour adapter au mieux les images au patient et à sa pathologie. Ce champ de recherche est d’ailleurs aujourd’hui très étudié pour optimiser l’utilisation de ces scanners révolutionnaires.
Ces solutions sont-elles déjà implantées dans les centres hospitaliers ?
La technologie est encore récente, même si les industriels y travaillent depuis déjà plusieurs années. Certaines machines sont aujourd’hui à l’essai dans des établissements de santé, y compris en France comme aux Hospices Civils de Lyon, dans le service du Pr Philippe Douek, ou au CHU de Lille dans le service du Pr Martine Remy. Tous les constructeurs n’ont pas encore de prototypes à l’essai, mais il est à parier qu’ils devraient tous proposer des modèles d’ici quelques années. Donc, bien qu’elle soit encore très coûteuse, cette technologie devrait à terme s’implanter dans la majorité des centres hospitaliers et notamment les centres académiques. De la même manière, si la plupart des essais se font actuellement dans les domaines cardio-vasculaires et pulmonaires, ces champs devraient progressivement s’élargir. En tout état de cause, les scanners à comptage photonique s’installent progressivement, mais durablement, dans le paysage de l’imagerie médicale.
Identifiez-vous d’autres innovations majeures en matière d’équipements et d’appareillages ?
En tant que radiologue thoracique, j’ai tout naturellement un intérêt particulier pour les technologies adaptées à ma spécialité. Dans ce domaine, on assiste depuis quelques années à des avancées considérables sur le champ des IRM pulmonaires. Il est désormais possible de réaliser des images chez des patients jeunes ayant subi des maladies chroniques, comme la mucoviscidose. Les nouveaux IRM à champ moyen, à 0,55 Tesla – contre 3 Tesla pour l’imagerie cervicale et 1,5 Tesla pour l’abdominale –, offrent des images de qualité supérieure, ce qui est bien sûr bénéfique sur le plan diagnostique.
Vous évoquiez plus haut le développement de l’intelligence artificielle…
Cette technologie est présente dans l’imagerie médicale depuis déjà plusieurs années, mais elle était essentiellement utilisée pour optimiser le réglage des appareils. Son application s’élargit désormais à l’analyse d’images, un champ précieux car le premier défi d’un radiologue est de ne pas manquer une lésion. Le logiciel peut donc, aujourd’hui, détecter une anomalie qu’un radiologue n'aurait potentiellement pas remarquée. Ces algorithmes complexes sont développés pour des utilisations précises, par exemple le cancer du sein ou la visualisation des nodules pulmonaires. Mais l’expertise du médecin demeure nécessaire, notamment pour vérifier la réalité des lésions signalées par l’outil informatique. Les solutions d’IA sont en effet très sensibles et révèlent de nombreux faux positifs. Elles ne sont pas parfaites, et ne peuvent dès lors se substituer au professionnel de santé. Il ne faut pas s’y méprendre, ces technologies sont là pour accélérer l’interprétation et non pour remplacer l’humain.
Quels sont les enjeux actuels de l’IA en imagerie médicale ?
Pour être opérationnels, les algorithmes sont entraînés sur de volumineuses bases de données, qu’il est parfois compliqué de centraliser. Disposer de ces très grandes bases de données est donc l’un des enjeux de l’IA, mais ce n’est pas le seul. Ces solutions sont par exemple aujourd’hui utilisées en seconde lecture, mais elles pourraient bien continuer à évoluer et se diriger vers la caractérisation, l’évaluation et le pronostic. Ce sont des actions beaucoup plus complexes, qui nécessitent non seulement de recourir à des volumes massifs de données, mais aussi à des données parfaitement vérifiées. Sur un autre registre, l’IA qui fusionne les données de l’imagerie avec les données cliniques, biologiques, fonctionnelles, anatomopathologiques, voire génomiques, des patients peut fiabiliser le diagnostic mais aussi fournir des données pronostiques pour par exemple prédire la réponse à un traitement. Cet immense domaine de recherche ouvre de nombreuses possibilités. Pour toutes ces raisons, l’intelligence artificielle suscite aujourd’hui un très grand enthousiasme. Toutefois, celle-ci garde ses limites. Par exemple si l’IA permet d’établir des probabilités diagnostiques ou pronostiques pour un patient donné, elle ne fait pas de médecine de précision. C'est là un point qu’il nous faut garder en tête.
Article publié dans l'édition de décembre 2022 d'Hospitalia à lire ici.
Pr Philippe Grenier : Depuis cinq ans environ, on assiste à un véritable boom de l'intelligence artificielle, notamment en ce qui concerne l'interprétation des images. Mais cette innovation, qui se base sur l’analyse automatisée de données de masse, n’est toutefois pas la seule. Sur le plan des appareillages, le développement de l’imagerie spectrale par comptage de photons représente une rupture technologique majeure dans le domaine des scanners et de leurs détecteurs. À la différence des détecteurs classiques, qui transforment l'énergie des photons en images lumineuses, les détecteurs de nouvelle génération transforment les photons en énergie électrique. Si, auparavant, la résolution spatiale des images était étroitement corrélée à la taille du détecteur, cette dernière peut désormais être réduite, alors même que la résolution spatiale s’améliore de façon considérable.
Quelles sont les applications offertes par cette technologie novatrice ?
Il est désormais possible d’augmenter la résolution en contraste tout en diminuant la dose de rayonnement. Cela est d’autant plus intéressant aujourd’hui que le suivi de certaines pathologies impose de réaliser toujours plus de scanners, y compris chez les patients jeunes. Parmi les autres avantages de l’imagerie à comptage photonique, j’évoquerai également la possibilité de réaliser des images construites avec les photons sélectionnés en fonction de leur énergie. Plus concrètement, les professionnels de santé peuvent, en fonction des besoins, « ôter » les photons d’énergies non nécessaires au diagnostic, voire réaliser des images mono-énergétiques. Ce panel inédit de possibilités offre de nouvelles options de contrastes, pour adapter au mieux les images au patient et à sa pathologie. Ce champ de recherche est d’ailleurs aujourd’hui très étudié pour optimiser l’utilisation de ces scanners révolutionnaires.
Ces solutions sont-elles déjà implantées dans les centres hospitaliers ?
La technologie est encore récente, même si les industriels y travaillent depuis déjà plusieurs années. Certaines machines sont aujourd’hui à l’essai dans des établissements de santé, y compris en France comme aux Hospices Civils de Lyon, dans le service du Pr Philippe Douek, ou au CHU de Lille dans le service du Pr Martine Remy. Tous les constructeurs n’ont pas encore de prototypes à l’essai, mais il est à parier qu’ils devraient tous proposer des modèles d’ici quelques années. Donc, bien qu’elle soit encore très coûteuse, cette technologie devrait à terme s’implanter dans la majorité des centres hospitaliers et notamment les centres académiques. De la même manière, si la plupart des essais se font actuellement dans les domaines cardio-vasculaires et pulmonaires, ces champs devraient progressivement s’élargir. En tout état de cause, les scanners à comptage photonique s’installent progressivement, mais durablement, dans le paysage de l’imagerie médicale.
Identifiez-vous d’autres innovations majeures en matière d’équipements et d’appareillages ?
En tant que radiologue thoracique, j’ai tout naturellement un intérêt particulier pour les technologies adaptées à ma spécialité. Dans ce domaine, on assiste depuis quelques années à des avancées considérables sur le champ des IRM pulmonaires. Il est désormais possible de réaliser des images chez des patients jeunes ayant subi des maladies chroniques, comme la mucoviscidose. Les nouveaux IRM à champ moyen, à 0,55 Tesla – contre 3 Tesla pour l’imagerie cervicale et 1,5 Tesla pour l’abdominale –, offrent des images de qualité supérieure, ce qui est bien sûr bénéfique sur le plan diagnostique.
Vous évoquiez plus haut le développement de l’intelligence artificielle…
Cette technologie est présente dans l’imagerie médicale depuis déjà plusieurs années, mais elle était essentiellement utilisée pour optimiser le réglage des appareils. Son application s’élargit désormais à l’analyse d’images, un champ précieux car le premier défi d’un radiologue est de ne pas manquer une lésion. Le logiciel peut donc, aujourd’hui, détecter une anomalie qu’un radiologue n'aurait potentiellement pas remarquée. Ces algorithmes complexes sont développés pour des utilisations précises, par exemple le cancer du sein ou la visualisation des nodules pulmonaires. Mais l’expertise du médecin demeure nécessaire, notamment pour vérifier la réalité des lésions signalées par l’outil informatique. Les solutions d’IA sont en effet très sensibles et révèlent de nombreux faux positifs. Elles ne sont pas parfaites, et ne peuvent dès lors se substituer au professionnel de santé. Il ne faut pas s’y méprendre, ces technologies sont là pour accélérer l’interprétation et non pour remplacer l’humain.
Quels sont les enjeux actuels de l’IA en imagerie médicale ?
Pour être opérationnels, les algorithmes sont entraînés sur de volumineuses bases de données, qu’il est parfois compliqué de centraliser. Disposer de ces très grandes bases de données est donc l’un des enjeux de l’IA, mais ce n’est pas le seul. Ces solutions sont par exemple aujourd’hui utilisées en seconde lecture, mais elles pourraient bien continuer à évoluer et se diriger vers la caractérisation, l’évaluation et le pronostic. Ce sont des actions beaucoup plus complexes, qui nécessitent non seulement de recourir à des volumes massifs de données, mais aussi à des données parfaitement vérifiées. Sur un autre registre, l’IA qui fusionne les données de l’imagerie avec les données cliniques, biologiques, fonctionnelles, anatomopathologiques, voire génomiques, des patients peut fiabiliser le diagnostic mais aussi fournir des données pronostiques pour par exemple prédire la réponse à un traitement. Cet immense domaine de recherche ouvre de nombreuses possibilités. Pour toutes ces raisons, l’intelligence artificielle suscite aujourd’hui un très grand enthousiasme. Toutefois, celle-ci garde ses limites. Par exemple si l’IA permet d’établir des probabilités diagnostiques ou pronostiques pour un patient donné, elle ne fait pas de médecine de précision. C'est là un point qu’il nous faut garder en tête.
Article publié dans l'édition de décembre 2022 d'Hospitalia à lire ici.