Déjà fortement présent dans nos vies, le numérique prend de plus en plus de place depuis quelques mois. Télémédecine, parcours, recherche, logistique... La pandémie a renforcé nos usages de ces outils aujourd'hui incontournables. Pourtant, « la montée fulgurante du numérique engendre plusieurs questions éthiques », a indiqué Claude Kirchner, directeur du Comité National Pilote d’Éthique du Numérique (CNPEN), lors d'un colloque intitulé « Numérique et pandémie – les enjeux d'éthique un an après ». Organisé par le CNPEN et l'Institut Covid-19 Ad Memoriam, vendredi 11 juin, l’événement a réuni tout au long de la journée plusieurs spécialistes de l'éthique, du numérique, du médical, du médico-social mais aussi de l'enseignement, des réseaux sociaux ou encore du travail. Une démarche saluée par Cédric O, secrétaire d'État chargé de la Transition numérique et des Communications électroniques, qui, intervenant en vidéo, a souligné la qualité « technique » de ces débats.
La crise comme accélérateur
« La crise a permis de montrer la richesse de l’écosystème des acteurs du numérique en santé », a ainsi noté Hela Ghariani, directrice de projet à la Délégation du numérique en santé du ministère des Solidarités et de la Santé, lors d'une table-ronde dédiée aux systèmes d'information pour les professionnels de santé. « La situation a chamboulé le plan de développement de la société, a nécessité de reprioriser certaines choses notamment en matière de sécurité du parc informatique », a raconté, lors de la même table-ronde, Clément Goehrs, co-fondateur de Synapse Medicine. Pourtant, si le plan de développement a été modifié à court terme, le dirigeant l'a assuré : « Sur le long terme, nous aurions de toute façon effectué ces changements ». C'est peut-être là le principal impact de cette crise : devant l'urgence de la situation de nombreux domaines ont connu une accélération soudaine dans leur développement.
La télémédecine, une situation particulière
Profitant des nombreuses dérogations et adaptations des outils numériques et de notre système de santé, la télémédecine en est l'un des exemples les plus criants. « Dans les premières semaines de crise, nous sommes passés de 10 000 à 1 million de téléconsultation par semaine », a constaté Raja Chatila, professeur de robotique, d'intelligence artificielle et d'éthique à l'ISIR-CNRS, lors d'une table-ronde dédiée à la pratique. « La téléconsultation est entrée dans les mœurs. En témoignent les chiffres : 10 millions de rendez-vous sur Doctolib depuis janvier 2019, et leur nombre par semaine multiplié par dix lors de la première vague Covid », a complété Henri Pitron, directeur de la communication de Doctolib.
Interrogations éthiques autour de la télémédecine et plus largement la médecine
Facilitant le recours aux soins, la digitalisation du parcours des usagers, l'évolution des conditions de travail des professionnels de santé et le suivi des patients, notamment ceux atteints de maladies chroniques, la télémédecine possède de nombreux avantages. Néanmoins, « l’utilisation accrue de la télémédecine pose de nombreuses questions éthiques en termes d’autonomie, d’équité d’accès, de confidentialité, d’interopérabilité, de remise en question du principe de solidarité dans le cas de la consultation de médecins étrangers, d’objets connectés… », a constaté Raja Chatila. Ainsi, la question de la présence d'un tiers lors de la consultation, celle de la sécurité des outils ou de leur simplicité d’utilisation semblent naturellement se poser.
Mais au-delà, « les interrogations éthiques autour de la télémédecine invitent à revisiter l’application des règles dans la médecine au sens large », a souligné le Dr Jacques Lucas, président de l’Agence du Numérique en Santé. Pour lui, puisque le législateur définit la télémédecine comme « une forme de la pratique médicale », celle-ci « est soumise aux mêmes règles légales et déontologiques » et s'inscrit donc dans ces cadres. Les « quatre grands principes de l'éthique médicale » y sont donc inclus : « le principe de bienfaisance » ; « le principe de non-malfaisance » qui intègre la possibilité de demander un examen complémentaire mais pose également le problème de l’exploitation secondaire des données recueillies ; « le principe de justice » qui garantit un accès équitable aux soins et est donc à considérer en lien avec la question des inégalités territoriales d’accès au numérique ; et le « principe de l’autonomie » qui prévoit la possibilité de refuser la télémédecine.
Mais au-delà, « les interrogations éthiques autour de la télémédecine invitent à revisiter l’application des règles dans la médecine au sens large », a souligné le Dr Jacques Lucas, président de l’Agence du Numérique en Santé. Pour lui, puisque le législateur définit la télémédecine comme « une forme de la pratique médicale », celle-ci « est soumise aux mêmes règles légales et déontologiques » et s'inscrit donc dans ces cadres. Les « quatre grands principes de l'éthique médicale » y sont donc inclus : « le principe de bienfaisance » ; « le principe de non-malfaisance » qui intègre la possibilité de demander un examen complémentaire mais pose également le problème de l’exploitation secondaire des données recueillies ; « le principe de justice » qui garantit un accès équitable aux soins et est donc à considérer en lien avec la question des inégalités territoriales d’accès au numérique ; et le « principe de l’autonomie » qui prévoit la possibilité de refuser la télémédecine.
Le problème de l’hypercentralisation et du traitement des données
Parmi ces problématiques, la question du stockage et du traitement des données de santé se pose de plus en plus, y compris auprès du grand public. Ces derniers mois, l'hébergement du Health Data Hub par Microsoft, et les réactions associées, en sont la parfaite illustration. « Nous nous inquiétons toujours de l’hébergement et du traitement de données sensibles hors de l’Europe », a précisé Valérie Peugeot, membre de la Commission Nationale Informatique et Libertés (CNIL), elle aussi présente à ce colloque.
Outre les questions de souveraineté, cette situation illustre aussi l'un des enjeux actuels en matière de numérique : l'hypercentralisation des données. « On assiste à un changement majeur sur les comportements : l’utilisation massive des Cloud et l’hypercentralisation des données chez quelques acteurs », s'est ainsi inquiété Adrien Parrot, président d'InterHop, une association qui milite « pour des logiciels libres et une utilisation autogérée des données de santé à l'échelle locale ».
Outre les questions de souveraineté, cette situation illustre aussi l'un des enjeux actuels en matière de numérique : l'hypercentralisation des données. « On assiste à un changement majeur sur les comportements : l’utilisation massive des Cloud et l’hypercentralisation des données chez quelques acteurs », s'est ainsi inquiété Adrien Parrot, président d'InterHop, une association qui milite « pour des logiciels libres et une utilisation autogérée des données de santé à l'échelle locale ».
L'accès au numérique et la formation des acteurs
Mais ces questions n'arrivent pas seules, puisque, comme évoqué plus haut, l'éthique prévoit également l'accès égal aux soins pour tous. « La dématérialisation du monde de la santé n’est pas un bonheur pour tous, il faut en être conscient », a rappelé Valérie Peugeot. « L’accélération à marche forcée de la numérisation peut engendrer de l’inégalité », a-t-elle ajouté, s'inquiétant particulièrement pour les personnes les plus fragiles, qui ne bénéficient pas déjà du meilleur accès aux soins. Pour pallier ce problème, ces spécialistes insistent sur la nécessité d'équiper, d’aménager et de former usagers comme professionnels du numérique. « On observe actuellement une hyper-responsabilisation, voire parfois une culpabilisation des citoyens, mais il faut aussi qu'ils puissent être accompagnés dans leurs choix, a précisé Valérie Peugeot. Cela n’est d’ailleurs pas spécifique au monde de la santé. Que ce soit en termes de sécurité ou d'usages, nous devons travailler en amont avec les acteurs et les utilisateurs du numérique, y compris du numérique en santé ».