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Imagerie

Des perspectives prometteuses pour l’IA en échocardiographie


Rédigé par Joëlle Hayek le Mardi 26 Septembre 2023 à 14:20 | Lu 1464 fois


Dans un contexte marqué par des tensions croissantes sur leurs ressources expertes, alors même que la part de patients souffrant de pathologies chroniques continue de croître, les établissements de santé sont à la fois incités à revoir leurs organisations et à tirer pleinement profit des technologies à leur disposition. Les algorithmes d’intelligence artificielle, notamment, ont un rôle à jouer pour accompagner et appuyer cette évolution des pratiques, sans rien céder à la qualité des prises en charge. Exemple en échographie cardiaque.




« À l’instar des autres spécialités hospitalières, la cardiologie est confrontée à une pénurie de médecins en exercice, y compris dans les zones qui étaient jusque-là relativement préservées. Or le vieillissement de la population se traduit par une augmentation sensible des pathologies cardiovasculaires. L’échographie cardiaque représente ici l’examen de référence », rappelle le Professeur Erwan Donal, responsable de l’équipe d’échocardiographie du CHU de Rennes. « C’est effectivement devenu le complément direct de l’examen clinique », abonde le Professeur Thierry Le Tourneau, responsable des explorations fonctionnelles cardiovasculaires au CHU de Nantes, en évoquant une procédure standardisée et structurée, qui fait l’objet de recommandations élaborées par les Sociétés de Cardiologie. « Il convient d’acquérir et d’analyser un cycle complet d’images bidimensionnelles (2D) et de flux Doppler sur un ensemble de modalités, y compris les Dopplers tissulaires, mais aussi d’évaluer la déformation des fibres myocardiques selon la technique de Strain, et de plus en plus de réaliser des acquisitions 3D, en particulier dans le cadre de la cardiologie interventionnelle. Le nombre de mesures à effectuer et de données à analyser peut donc être conséquent, particulièrement en cas de profil complexe », détaille-t-il. « Sans oublier le temps nécessairement passé auprès du patient pour expliquer les résultats de l’examen, présenter la stratégie thérapeutique et préciser les modalités de suivi », souligne le Docteur Jean-Étienne Ricci, médecin cardiologue à la Clinique du Millénaire de Montpellier. Autant de contraintes qui voient les délais de rendez-vous s’allonger.

Mettre en place un meilleur screening des patients à risque

Confrontés à des ressources en tension et peut-être encore appelées à se raréfier, les établissements de santé cherchent aujourd’hui des alternatives pour pouvoir réaliser plus d’examens à effectifs cardiologiques constants. « Il nous faut développer de nouvelles organisations et mobiliser les dernières avancées de la technologie », souligne le Docteur Ricci. Plusieurs pistes émergent, comme la délégation de tâches pour les examens de premier niveau – dits examens de débrouillage –, assistée par des technologies d’intelligence artificielle. « L’on estime que près de 20 % des patients orientés vers un service de cardiologie n’ont en réalité rien à y faire. En mettant des échographes portables et intelligents à disposition des prescripteurs, l’on peut améliorer la pertinence des demandes, et de ce fait mieux utiliser les ressources spécialisées », ajoute le Professeur Donal. « Au CHU de Nantes, ces outils sont par exemple déjà utilisés par les médecins urgentistes et les anesthésistes-réanimateurs, par ailleurs formés à la détection de certaines anomalies comme l’épanchement épicardique ou la dysfonction ventriculaire. Il leur est dès lors plus simple d’identifier les patients chez lesquels il serait utile de réaliser un examen plus poussé », illustre le Professeur Le Tourneau.

Mieux mobiliser les ressources paramédicales

Aussi pertinent soit-il, ce screening gagnerait à s’accompagner d’une refonte organisationnelle pour alléger les cardiologues lors de la réalisation d’une échocardiographie standard. Le Diplôme Universitaire d’échographie cardiaque est ainsi ouvert aux professionnels paramédicaux (IDE, Manipulateurs radio), pour la formation puis la réalisation des examens en autonomie, suivie d’une validation cardiologique. « Il s’agit toutefois d’une formation longue et coûteuse, difficilement généralisable dans le contexte actuel », nuance Thierry Le Tourneau. Une « évolution des mentalités » est également nécessaire avant que cette organisation n’entre dans les mœurs, précise pour sa part Erwan Donal. Une autre possibilité réside dans le recours à du personnel formé à la seule acquisition des images, sur le modèle des manipulateurs en radiologie opérant dans les services d’imagerie médicale. « Les pays anglo-saxons ont franchi le pas depuis déjà plusieurs années », explique Jean-Étienne Ricci. Le cardiologue se concentrerait alors sur la relecture des images, dans une organisation similaire à celle mise en œuvre en téléradiologie. Une expérimentation nationale de télé-cardiologie associée à l’échographie cardiaque est d’ailleurs actuellement menée en partenariat avec la ville, pour apporter l’expertise cardiovasculaire au domicile des patients difficilement déplaçables. « Mais il s’agit, une fois de plus, d’un changement culturel pour les médecins cardiologues. Un certain délai sera nécessaire avant que le mouvement ne prenne de l’ampleur », note Thierry Le Tourneau.

Quand intelligence rime avec performance

Ce sont néanmoins autant de solutions d’avenir, dans lesquelles la technologie peut justement venir en appui aux professionnels non-cardiologues. « Il existe, depuis quelques années, de l’IA directement embarquée par les grands constructeurs sur les échocardiographes, mais celle-ci est très limitée. Nous voyons néanmoins émerger des IA qui vont nettement plus loin », précise le Dr Ricci. Une IA capable de réaliser des mesures automatisées avec reconnaissance artificielle des images, est ainsi testée avec succès dans le laboratoire d’échocardiographie du CHU de Rennes. « La cadence des techniciens d’échographie cardiaque était ralentie par la réalisation des mesures et la préparation des comptes-rendus, qui sont des tâches somme toute chronophages. Le recours à des technologies intelligentes permet donc d’améliorer la performance des équipes », note Erwan Donal, qui espère que ces bénéfices seront à terme perceptibles par les cardiologues eux-mêmes. « Le gain de temps peut ici être notable. Certaines IA permettent déjà de modéliser, en volume, les ventricules ou les valves mitrales, à partir d’images 2D/3D. Le contourage du myocarde peut pour sa part être quasi totalement automatisé », indique le Pr Le Tourneau. Le spécialiste peut ainsi se concentrer sur les mesures les plus complexes, tout ayant plus de temps à consacrer à l’échange avec son patient – un colloque singulier difficilement délégable à la machine, comme le souligne fort justement le Dr Ricci.

Une nouvelle technologie plus experte

Et les avancées technologiques vont crescendo. « Il est désormais possible de réaliser une télé-interprétation de l’échographie cardiaque, automatisée par l’intelligence artificielle », décrit Thierry Le Tourneau. Concrètement, les images acquises par l’échographe sont transmises au format DICOM sur un serveur sécurisé et soumises à l’analyse d’un algorithme expert, qui va effectuer des mesures automatisées et en transmettre le détail au médecin, complété d’une pré-interprétation des résultats. « Nous sommes en train de tester cette solution au CHU de Nantes et les résultats semblent satisfaisants – sous réserve que l’acquisition initiale des images ait été correctement effectuée. Pour le professionnel non-cardiologue, cette technologie permettrait alors de bénéficier de paramètres quantitatifs et non uniquement qualitatifs. Le cardiologue, lui, pourrait réduire encore la durée de l’examen, tout en proposant une interprétation plus fine des résultats », souligne-t-il. « Le cardiologue peut en effet se concentrer sur l’acquisition des images et des boucles, déléguant les mesures à la machine. L’IA les effectuera non seulement de manière plus précise, mais aussi plus reproductible, ce qui est tout autant utile pour la recherche que pour le suivi des patients », ajoute le Dr Ricci. Lui aussi teste actuellement cette nouvelle technologie « pouvant réaliser des mesures et des analyses avancées, avec génération d’un compte-rendu détaillé. Elle peut donc aider les cardiologues non experts, ou les autres professionnels de santé qui se forment à l’échocardiographie mais sont encore dans la courbe d’apprentissage ». Ses capacités d’apprentissage importantes pourraient en outre rapidement trouver des applications en onco-cardiologie, mais aussi pour la détection précoce de l’insuffisance cardiaque, des valvulopathies ou encore de l’amylose cardiaque. 


Des belles perspectives mais aussi des jalons à passer

Tout aussi optimiste, le Pr Donal teste actuellement ses capacités d’analyse en volume dans le cadre de ses activités de recherche, avec l’espoir qu’à terme, la technologie puisse trouver sa place au sein des examens de routine. « Les technologies IA sont encore relativement méconnues, et celles déjà disponibles sont loin d’être utilisées à hauteur de leur potentiel. La ”boîte noire” du deep learning, notamment, est souvent source d’inquiétudes. Or, comme pour tout système apprenant, le résultat final d’une IA est fonction de la qualité des données ingurgitées par la machine. La vigilance est donc ici de mise mais ce paramètre reste maîtrisable. Cela dit, un contrôle humain des résultats demeure nécessaire, dès lors que l’IA a une application clinique », indique-t-il. 

Toutes les pistes évoquées jusque-là visent in fine le même objectif : déléguer et automatiser la réalisation des tâches techniques afin de recentrer le cardiologue sur l’interprétation finale de l’examen, où réside toute son expertise, et pouvoir ainsi continuer à prendre en charge les patients dans des conditions optimales. Mais il reste néanmoins quelques jalons à passer, d’une part sur le plan culturel – l’arrivée de nouvelles générations de médecins devant néanmoins accélérer la dynamique –, et de l’autre sur celui des infrastructures. L’IA appliquée à l’échocardiographie impose en effet la disponibilité d’un réseau solide, sécurisé, conforme aux exigences règlementaires sur la sécurisation des données de santé, et correctement dimensionné pour assurer le partage, le stockage et l’archivage des images, sur le modèle des PACS mis en œuvre pour l’imagerie médicale. « Les recommandations des sociétés savantes vont dans ce sens, mais peu d’établissements ont sauté le pas. Il faut que notre spécialité prenne rapidement ce virage car il sera structurant pour nos futures organisations et nos futurs outils », conclut le Pr Le Tourneau.

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