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Cogito des DG de CHU : Public/privé, le mythe d’une offre de soins égalitaire


Rédigé par Rédaction le Mercredi 27 Avril 2022 à 15:23 | Lu 933 fois


La Conférence des directeurs généraux de CHRU prend chaque mois la plume pour rédiger un cogito afin de donner son avis sur un sujet d’actualité. Ce mois-ci : Public/privé, le mythe d’une offre de soins égalitaire.
(NDLR : les intertitres sont de la rédaction)



Cogito des DG de CHU : Public/privé, le mythe d’une offre de soins égalitaire
À la croisée des chemins, les enjeux de régulation des missions dévolues aux secteurs privé et public ont vocation à évoluer sur la base de constats solides et documentés. La tension actuelle sur les services d’urgence illustre ce besoin d’articulation et de clarification des rôles de chacun.

Dans les mythes du moment, il y a celui d’une mobilisation uniforme des établissements privés pendant la phase pandémique aiguë. Alors que l’épidémie est loin d’être éteinte et que certaines régions sont en difficulté majeure pour faire face à la pression pesant sur des services d’urgence saturés faute souvent d’un aval adapté, le mythe d’un secteur privé qui aurait « fait ses preuves » se renforce.

Dans les mythes, celui d’une offre de soins qui ne connaîtrait que peu d’écarts entre son cadre de droit et son effectivité de fait, quels que soient les territoires, demeure en dépit des constats allant à l’encontre de ce principe. Une libre et juste répartition des médecins sur le territoire, sans contrainte réglementaire (à l’opposé de tous les pays européens), uniquement guidée par la « main invisible » de l’offre de soins et par quelques dispositifs incitatifs, certes accrus ces dernières années, constitue ainsi un mythe sanitaire bien vivace et conforte le sentiment que la permanence des soins ambulatoires est assurée, modulo quelques atypies territoriales.

Les réalités ne sont pas favorables aux mythes et, parmi celles qui sont indéniables, figurent la prise en charge des patients covid à 82% par le secteur public, un mécanisme de financement du Ségur qui favorise mécaniquement les établissements qui n’ont pas ou peu pris en charge les patients Covid et, depuis peu, le constat que certains établissements privés désarment les prises en charge en urgences notamment en nuit et week-ends.

Un constat adossé à plusieurs mécanismes

Ce dernier constat est adossé à plusieurs mécanismes : difficultés de recrutement du secteur privé (Auvergne Rhône-Alpes, Bretagne...) ponctuellement adossées à des grèves (Hauts-de-France, Nou- velle-Aquitaine...), des restructurations (ARA...), ou des choix organisationnels (désengagement de SOS Médecins en nuit profonde) Ce recul de l’offre de soins privée en matière d’urgence, y compris de la part des trois plus importants groupes privés implantés sur le territoire (et dont les comptes de résultat 2021 récemment publiés confirment pour certains une hausse majeure des résultats financiers), peut s’expliquer par plusieurs mécanismes :

• la volonté potentielle de regrouper les ressources humaines, alors que les difficultés de recrutement touchent le secteur tant public que privé ;

• la nécessité de garder des marges de manœuvre dans la politique de recrutement (afin de demeurer compétitif face au secteur public) ;

• la combinaison de deux facteurs structurellement liés à la réforme du financement des urgences, qui peuvent jouer dans le sens d’un risque de désengagement du secteur privé de cette activité :

     > le passage d’une tarification à l’acte à un paiement forfaitaire (calculé sur l’âge pondéré par l’intensité des prises en charge) pose la question des honoraires versés in fine aux médecins libéraux des urgences privées. En effet, la rémunération de la plupart des praticiens du secteur privé est liée aux honoraires et donc aux actes réalisés. Le nouveau système de financement des urgences décorrèle le nombre d’actes du niveau de rémunération des médecins libéraux [1]. Il est ainsi probable que le nouveau système de financement devienne désincitatif,

     > la forfaitisation de la rémunération de prescriptions d’actes médico-techniques de biologie et d’imagerie introduit une nouvelle forme de responsabilisation financière des structures d’urgence privées dans la logique du prescripteur-payeur. Désormais, les actes médico-techniques de biologie et d’imagerie prescrits aux urgences sont mis à la charge de la structure qui les a prescrits et forfaitisés à travers un modulateur venant compléter les forfaits âges par passage aux urgences (supplément tarifaire). Il s’agit d’une rupture fondamentale avec le système antérieur pour les urgences privées qui ne supportaient pas cette charge du fait de la facturation directe à l’acte par les laboratoires et centres d’imagerie [2].
 

Saturation des urgences et permanence des soins

Le secteur public n’est pas concerné par ces négociations mais il doit principalement gérer la question des surcoûts et de la pertinence dans la prise en charge aux urgences (sujet complexe à traiter uniquement de la part des opérateurs tant il implique des enjeux de santé publique et d’organisation sanitaire dans les territoires).

Si plusieurs établissements publics ont mobilisé la presse régionale pour inviter les patients à appeler le 15 avant de se rendre aux urgences hospitalières, c’est que leurs urgences sont confrontées à un risque de saturation, du fait notamment :
  • de manque de lits d’aval en nombre et adaptés aux pathologies (notamment pour des patients âgés), ce qui pose également la question de la prise en charge du sujet âgé polypathologique dans le secteur privé ;
  • d’arrivées aux urgences dues à des retards de prise en charge (patients âgés notamment et plus sensiblement dans certains territoires d’outre-mer) ;
  • de difficultés d’aval internes aux établissements, majorées par un absentéisme qui demeure élevé ;
  • ​de difficultés d’adressage interne des patients covid dans des services de spécialités qui ont besoin de reprendre les activités de patients non covid trop long- temps déprogrammés ;
  • de cliniques privées qui tendent à fermer leurs urgences en nuit profonde et le week- end, transférant dès lors leur patientèle vers les établissements publics ;
  • d’établissements de SSR très inégalement mobilisés pour répondre aux questions d’aval.
 
Alors que les cellules territoriales de gestion des lits vont se remettre en œuvre dans certaines régions, souvent à l’initiative des ARS et des CHU, la réquisition n’est que peu utilisée par les préfets (mal vécue, peu incitative, sans effet sur les agents en arrêt maladie...), la mise en ordre de marche de l’intérim médical se fait attendre et les leviers de la remobilisation de la PDSA manquent encore aux ARS. Ces dernières n’offrent pas de réponses aux effets reconventionnels qui se mettent en place de la part de la ville pour assurer la permanence des soins.

L'hôpital ne peut être le seul remède

Plus que jamais l’action doit s’imposer à la réaction, l’analyse à l’émotion. Ainsi, des schémas territoriaux de la permanence des soins semblent nécessaires pour éviter l’inadéquation entre les besoins effectifs des populations et les possibilités de prises en charge des services d’urgence (publics ou privés). L’analyse des services d’accès aux soins pourra également documenter les moyens nécessaires aux urgences hospitalières et, plus largement, aux éventuels rééquilibrages de contrainte entre les secteurs public/privé. L’offre privée ne doit pas être diabolisée mais recentrée pour assumer totalement les missions de service public pour lesquelles elle est rémunérée. Enfin, la permanence des soins doit être revalorisée, en ville comme à l’hôpital, et le rôle de l’HAD doit être creusé et densifié.

Dans cette réflexion, les ARS doivent être en capacité d’assurer pleinement leur fonction de régulation. Celle-ci implique rappeler aux opérateurs disposant d’une autorisation en soins d’urgence que cette autorisation est un engagement de service public.

La crise actuelle des urgences n’est pas la traduction de la crise hospitalière mais celle de tout un système de santé dont l’hôpital ne peut être le seul remède.

Notes

[1]  Dans le système antérieur, le financement des urgences non suivies d’hospitalisation se concentrait sur les actes techniques liés aux prises en charge chirurgicales auxquels s’ajoutaient la consultation et le forfait ATU + un forfait annuel pour la structure (le FAU) indexé sur le nombre de consultations réalisées. L’acte médical était donc le déclencheur à la fois de la rémunération directe du professionnel libéral et du financement de la structure des urgences. Désormais, la tarification des passages non suivis d’hospitalisation se fait de façon déconnectée du nombre de passages pour plus de la moitié (via la dotation populationnelle) et de façon déconnectée des actes réalisés par les professionnels pour l’autre moitié (via des forfaits croissant en fonction de l’âge).
[2] Donc, avec la réforme du financement, les structures d’urgence privées reçoivent le financement intégral des passages non suivis d’hospitalisation (dont celui pour les actes de biologie et d’imagerie) et doivent renégocier avec leurs opérateurs habituels les contrats de prestations. Dès lors, soit les structures d’urgence privées absorbent la contrainte financière et travaillent à limiter les prescriptions de biologie et d’imagerie pour rester dans le forfait, soit elles partagent la contrainte et donc la valeur du forfait avec leurs sous-traitants via une renégociation tarifaire au risque de les perdre).
 






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