Ces dernières années, du fait des tensions qui pèsent sur le marché de l’emploi médical, un déséquilibre de l’offre et de la demande s’est installé, permettant à certaines entreprises d’intérim d’augmenter les niveaux de rémunération exigés, plaçant les établissements dans l’obligation d’arbitrer entre la nécessité d’assurer la continuité des soins, la fermeture de services ou le paiement de praticiens intérimaires au-delà du plafond réglementaire.
Au-delà des aspects éthiques souvent mis en avant (ces praticiens, qui ont parfois démissionné de leurs anciens statuts hospitaliers jugés insuffisamment attractifs et trop contraignants, pour exercer comme intérimaires dans leurs anciens établissements, sont qualifiés de « mercenaires »), le sujet mérite d’être abordé sous un angle technique et politique, à l’aune d’un cadre légal et réglementaire que le Gouvernement voudrait affermir à compter du 3 avril pour l’ensemble du territoire.
En 2017, un décret a plafonné les revenus dans l’intérim médical autour de 1 200 euros maximum pour 24 heures. Lors des concertations du Ségur de la santé menées avec l’ensemble des acteurs – patients, professionnels de santé, conférences, fédérations, institutionnels –, la régulation de l’emploi médical temporaire est apparue comme majeure pour apporter une réponse structurelle aux défis du système hospitalier, et pour ramener vers les établissements des professionnels privilégiant un intérim beaucoup plus rémunérateur. En 2021, la loi du 26 avril visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification, dite « loi Rist », a donc augmenté la contrainte sur la mise en œuvre de ce plafond [1].
Or, les conditions qui auraient permis de préparer sereinement les conséquences de cette mesure de moralisation n’ont pas été réunies.
Dans l’après-crise des Gilets jaunes, les ARS ont privilégié le maintien des activités les plus consommatrices d’intérimaires (urgences, obstétrique, activités opératoires non programmées dans les petits établissements des déserts médicaux), encourageant les chefs d’établissement à maintenir des rémunérations dérogatoires. Les groupements hospitaliers de territoire, qui devraient piloter la réorganisation de l’offre dans un souci de qualité et de sécurité équitable en tout point de leur territoire, sont empêchés par manque d’outils juridiques leur permettant d’agir efficacement vis-à-vis des établissements les plus fragiles, toujours autonomes. Les élus locaux défendent le maintien de l’offre au sein de leur territoire, faute d’avoir pu travailler à des propositions convaincantes de revitalisation de l’accès aux soins et de sécurisation des territoires après la fermeture de certaines activités.
Contrairement à une conviction trop souvent répandue, la proximité ne garantit pas la sécurité des soins, faute d’une activité suffisante et d’une organisation adaptée, mais aussi parce que le turn-over de médecins intérimaires augmente les risques, par rapport à la présence d’équipes permanentes au sein desquelles les professionnels se connaissent.
Au-delà des aspects éthiques souvent mis en avant (ces praticiens, qui ont parfois démissionné de leurs anciens statuts hospitaliers jugés insuffisamment attractifs et trop contraignants, pour exercer comme intérimaires dans leurs anciens établissements, sont qualifiés de « mercenaires »), le sujet mérite d’être abordé sous un angle technique et politique, à l’aune d’un cadre légal et réglementaire que le Gouvernement voudrait affermir à compter du 3 avril pour l’ensemble du territoire.
En 2017, un décret a plafonné les revenus dans l’intérim médical autour de 1 200 euros maximum pour 24 heures. Lors des concertations du Ségur de la santé menées avec l’ensemble des acteurs – patients, professionnels de santé, conférences, fédérations, institutionnels –, la régulation de l’emploi médical temporaire est apparue comme majeure pour apporter une réponse structurelle aux défis du système hospitalier, et pour ramener vers les établissements des professionnels privilégiant un intérim beaucoup plus rémunérateur. En 2021, la loi du 26 avril visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification, dite « loi Rist », a donc augmenté la contrainte sur la mise en œuvre de ce plafond [1].
Or, les conditions qui auraient permis de préparer sereinement les conséquences de cette mesure de moralisation n’ont pas été réunies.
Dans l’après-crise des Gilets jaunes, les ARS ont privilégié le maintien des activités les plus consommatrices d’intérimaires (urgences, obstétrique, activités opératoires non programmées dans les petits établissements des déserts médicaux), encourageant les chefs d’établissement à maintenir des rémunérations dérogatoires. Les groupements hospitaliers de territoire, qui devraient piloter la réorganisation de l’offre dans un souci de qualité et de sécurité équitable en tout point de leur territoire, sont empêchés par manque d’outils juridiques leur permettant d’agir efficacement vis-à-vis des établissements les plus fragiles, toujours autonomes. Les élus locaux défendent le maintien de l’offre au sein de leur territoire, faute d’avoir pu travailler à des propositions convaincantes de revitalisation de l’accès aux soins et de sécurisation des territoires après la fermeture de certaines activités.
Contrairement à une conviction trop souvent répandue, la proximité ne garantit pas la sécurité des soins, faute d’une activité suffisante et d’une organisation adaptée, mais aussi parce que le turn-over de médecins intérimaires augmente les risques, par rapport à la présence d’équipes permanentes au sein desquelles les professionnels se connaissent.
Des risques de court terme
Les chefs d’établissement, responsables de l’intérêt général dans le fonctionnement hospitalier, vont être en première ligne de cette réforme. S’ils l’ont appelée de leurs vœux pour contrecarrer les mécanismes de concurrence salariale qui pénalisent le système de santé, ils constatent aujourd’hui que les conditions d’une mise en œuvre sont pour le moins acrobatiques et anticipent des risques de court terme :
- la contrainte ne repose que sur les établissements publics de santé, ce qui risque de renforcer encore la fuite des médecins hospitaliers vers les cliniques à but lucratif et la distorsion concurrentielle sur les rémunérations et les conditions de travail ;
- certaines entreprises d’intérim, à l’encontre desquelles aucune sanction n’est envisagée, annoncent d’ores et déjà leur intention de contourner la réglementation, notamment en augmentant les « frais de gestion » facturés aux établissements pour couvrir certains frais accessoires (logement, transport, etc.) et ainsi compenser la baisse de rémunération des intérimaires ;
- la réforme largement résumée à la situation des intérimaires passe sous silence l’existence de contrats de gré à gré parfois encore plus dérogatoires, mais plus complexes à contrôler, poussant certains établissements à une fuite en avant ;
- l’usage de contrats de praticiens contractuels pour faire face à des « difficultés particulières de recrutement ou d’exercice pour une activité nécessaire à l’offre de soins » [2] va augmenter, accroissant encore les iniquités de rémunération entre praticiens d’un même service et poussant à la démission du statut de PH une génération de médecins déjà fortement éprouvée par les déprogrammations de la crise sanitaire.
Redonner aux établissements des moyens réels de fonctionnement
Mais c’est surtout le risque de restructuration sauvage de l’offre qui est à craindre si ce scénario de fermeture se confirmait. Il faudrait alors y voir la somme de plusieurs échecs :
- celui du travail de pédagogie et de conviction à conduire auprès des praticiens et des opérateurs qui les salarient [3] pour s’entendre sur le besoin de préserver notre système de santé ;
- celui d’un recensement des risques anticipé, homogène et lisible pour l’ensemble des territoires, qui aurait permis de distinguer les structures qui ne doivent pas fermer « quoi qu’il en coûte » et celles dont la présence sur le territoire est à questionner au regard des risques pour les patients et de la possibilité d’organiser des parcours sécurisés ;
- celui d’un travail d’information et de concertation, en particulier auprès des élus locaux et des représentants des usagers pour accompagner en proximité la nécessaire réforme de l’offre de soins, permettant dès lors de spécialiser les établissements, notamment au sein de GHT, et d’organiser de réelles cohérences dans les parcours de soins à l’échelle des territoires ;
- celui enfin de la fonction de conseil des comptables publics qui, sous l’impulsion de l’ordonnance du 22 mars 2022 créant le régime de responsabilités des ordonnateurs publics, préféreraient bloquer les paiements ou judiciariser la relation avec les ordonnateurs plutôt que de questionner la balance entre l’intérêt général et l’absence de dérogation au cadre réglementaire.
Les chefs d’établissement ne seront pas les débiteurs de ces échecs sur lesquels ils attirent en vain l’attention depuis plusieurs années. Ils refusent également que les enjeux de la réforme de l’organisation de système de santé soient masqués derrière une nouvelle réforme de la gouvernance hospitalière, alors que par ailleurs les enjeux de financement et de prise de responsabilités dans les territoires semblent parfois méconnus par une partie des acteurs. La sortie du « tout partout » constitue une des priorités permettant de rendre des marges de manœuvre et de redonner aux établissements des moyens réels de fonctionnement et d’organisation sécurisée de l’offre. À défaut, réformer la gouvernance s’apparenterait à une fausse querelle, éloignée de vrais enjeux autrement plus décisifs.
Notes
[1] Par le biais d’un article 33 rédigé comme suit : « Art. L. 6146-4. Le directeur général de l’agence régionale de santé, lorsqu’il est informé par le comptable public de l’irrégularité d’actes juridiques conclus par un établissement public de santé avec une entreprise de travail temporaire, en application de l’article L. 6146-3, ou avec un praticien pour la réalisation de vacations, en application du 2° de l’article L. 6152-1, défère ces actes au tribunal administratif compétent. Il en avise alors sans délai le directeur de l’établissement concerné ainsi que le comptable public : « Lorsque le comptable public constate, lors du contrôle qu’il exerce sur la rémunération du praticien ou sur la rémunération facturée par l’entreprise de travail temporaire, que leur montant excède les plafonds réglementaires, il procède au rejet du paiement des rémunérations irrégulières. Dans ce cas, il en informe le directeur de l’établissement public de santé, qui procède à la régularisation de ces dernières dans les conditions fixées par la réglementation. » La loi devait entrer en application à compter du 27 octobre 2022.
[2] Praticiens recrutés au titre du 2°de l’article R. 6152-338 du Code de la santé publique.
[3] Et notamment des agences d’intérim médical, avec lesquelles les établissements publics de santé passent des marchés, qui pourraient s’engager à prévoir des contrats au tarif réglementaire à leur niveau.
[2] Praticiens recrutés au titre du 2°de l’article R. 6152-338 du Code de la santé publique.
[3] Et notamment des agences d’intérim médical, avec lesquelles les établissements publics de santé passent des marchés, qui pourraient s’engager à prévoir des contrats au tarif réglementaire à leur niveau.