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À Nice, le CI3P entend faire reconnaître les savoirs expérientiels des patients


Rédigé par Joëlle Hayek le Lundi 6 Novembre 2023 à 10:06 | Lu 1507 fois


Entité unique en France, le Centre d’innovation du partenariat avec les patients et le public (CI3P) est né fin 2019 au sein de l’Université Côte d’Azur. Rattaché à la Faculté de médecine, il porte une approche nouvelle, cherchant à favoriser la reconnaissance des savoirs expérientiels des patients pour co-construire la relation de soin. Autre originalité, et non des moindres : le Centre est co-dirigé par un médecin, David Darmon, et un patient, Luigi Flora, co-concepteur du modèle relationnel de soins dit de Montréal.






« Moi-même atteint d’une maladie chronique, je mobilise les savoirs issus de cette expérience depuis le début des années 2000, d’abord dans le cadre d’associations de patients puis, de plus en plus, en réponse à des sollicitations par des professionnels de santé. Ce dernier volet avait été initié il y a une quinzaine d’années, lorsqu’en tant que patient j’avais pris le virage de l’autonomisation. Ce fut une réelle découverte pour les professionnels de santé qui m’accompagnaient alors. La dynamique était lancée », explique Luigi Flora en évoquant un autre événement fondateur : un échange avec un patient qui, pour son cancer, avait été soigné en France et au Royaume-Uni. 

« En France, m’avait-il dit, l’on est biologiquement vivant mais socialement mort. Au Royaume-Uni, c’est l‘inverse. Cela m’avait interrogé : ne serait-il pas possible de gagner sur les trois champs, la maladie physique, la maladie psychique et la maladie sociale, qui représentent somme toute la ‘triple pleine’ de tout malade chronique ? », poursuit-il.

Pour mener cette réflexion plus loin, mais peut-être aussi chercher à donner plus de crédit à un concept alors assez disruptif, il décide de porter ses idées en milieu académique, étudiant le savoir expérientiel mobilisé par les patients et issu de leur connaissance de la maladie, et sa complémentarité avec le savoir clinique détenu par les professionnels de santé, lui-même basé sur les données de la science. 

Naissance du modèle de Montréal

Préparant sa thèse de recherche sur le patient formateur – qui sera soumise en 2012 –, le futur Dr Luigi Flora co-écrit, avec le Dr Emmanuelle Jouet et le Pr Olivier Las Vergnas, spécialistes des sciences de l’éducation, une note de synthèse sur les savoirs expérientiels de la vie avec la maladie. Nous étions alors en 2010. Cette même année, il est approché par le Professeur Catherine Tourette-Turgis pour participer au lancement de la première Université des patients dans une Faculté de médecine française, en l’occurrence à l’Université Pierre et Marie Curie, aujourd’hui Sorbonne Université. Puis par les responsables de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal, au Québec, pour collaborer avec prendre le Bureau de l’expertise patient partenaire, dirigé par Vincent Dumez et devenu par la suite la Direction collaboration et partenariat patient. « Nous avions alors véritablement pu faire entrer le patient dans la formation pédagogique des professionnels de santé, tout en accompagnant la concrétisation de cette dynamique dans les milieux de soins », souligne-t-il. 

En 2014, les travaux de l’équipe de Montréal sont repérés comme innovation pédagogique par la fondation Macy’s, sous la veille scientifique de l’Université de Harvard, aux États-Unis. Depuis, le partenariat de soins avec le patient est connu comme le modèle de Montréal. L’année suivante, Luigi Flora fait la connaissance du Dr Jean-Michel Benattar, un praticien français de passage au Québec, fondateur de la Maison de la médecine et de la culture (MMC). De retour de ce côté-ci de l’Atlantique pour assister à une session organisée par cette association niçoise travaillant à l’éducation en santé des citoyens, il rencontre le Pr Patrick Baqué, doyen de la Faculté de médecine de l’Université Côte d’Azur, qui soutient la création d’un Diplôme universitaire (DU) sur l’Art de soin, sous la coordination médicale du Dr David Darmon, vice-président en charge de la politique de santé de l’Université. Cette innovation pédagogique née en 2017, parallèlement à la création de l’« UniverCité de Soin », est primée dès l’année suivante par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. « Nous est alors venue l’idée de créer une entité co-dirigée par un médecin et un patient. C’est ainsi que le Centre d’innovation du partenariat avec les patients et le public, ou CI3P, voit le jour fin 2019, avec le soutien financier de l’Agence Régionale de Santé Provence-Alpes-Côte d’Azur », sourit Luigi Flora.
 

Une « alliance des savoirs »

« Le Pr Baqué avait depuis toujours la volonté d’ouvrir la Faculté de médecine à d’autres perspectives. Son soutien était pour nous précieux car le partenariat avec le patient, l’autonomisation du patient et la réception de son savoir expérientiel comme complémentaire du savoir médical étaient des concepts nouveaux auxquels il fallait acculturer la communauté médico-soignante », note David Darmon. Jusque-là, la voix des patients était en effet essentiellement portée par les associations de malades, mobilisées pour la défense de leurs droits. Le CI3P, lui, prône une nouvelle relation basée sur la co-construction. « Ce sont in fine deux volets complémentaires dans la relation de soins. Les droits des patients doivent être défendus, mais il faut également donner aux malades la possibilité de co-construire leur prise en soins, d’en être véritablement acteurs », poursuit-il en évoquant ici une « responsabilité sociale » de l’Université. « N’est-ce pas son rôle, que de former les professionnels de santé aux besoins de la population ? Or c’est bien de cela qu’il s’agit », souligne le Dr Darmon. 

Une vision semble-t-il désormais partagée par les tutelles, qui elles aussi en appellent à une meilleure intégration de l’expérience patient dans les organisations hospitalières. Dans le cadre de sa procédure de certification, la Haute Autorité de Santé (HAS) a par exemple récemment lancé des travaux sur les indicateurs PROMs et PREMs, visant à mesurer la qualité des soins perçue par les usagers. « C’est là un jalon de taille, explique-t-il. Le partenariat patient, c’est-à-dire la reconnaissance de ce qu’il peut apporter, ouvre la voie à une prise de décision partagée. Le médecin est dans son rôle lorsqu’il expose les options thérapeutiques issues des données de la science. Mais seul le patient connaît le fardeau des soins au quotidien. C’est de l’alliance de ces savoirs que pourra être retenue l’option la plus bénéfique », insiste David Darmon en mettant cette complémentarité au cœur du concept de médecine personnalisée : « Dans l’imaginaire collectif, la médecine personnalisée est basée sur le recours à l’intelligence artificielle. Mais elle ne peut en réalité être mise en œuvre sans cette alliance humaine, à laquelle la technologie ne peut pas– encore – se substituer ».
À Nice, le CI3P entend faire reconnaître les savoirs expérientiels des patients

Enseignement, recherche et soins

Composée de médecins universitaires et non universitaires, d’étudiants en médecine, de patients partenaires, d’enseignants-chercheurs en sciences humaines et sociales et d’un représentant de l’association citoyenne MMC, l’équipe du CI3P a développé une méthodologie éprouvée qu’elle applique aujourd’hui aux trois sphères de l’enseignement, de la recherche et des soins. « Nous mobilisons, sur ces trois volets, un référentiel de compétences identifié au cours de la thèse que j’avais soutenue en 2012, et intégré au modèle de Montréal. Il s’agit, plus concrètement, de former et d’accompagner les patients partenaires dans la diffusion de leur savoir expérientiel, car il y a ici un réel enjeu éthique : il ne s’agit pas de leur faire revivre l’épreuve de la maladie mais bien de leur permettre de la percevoir autrement, dans un retournement de situation où ses enseignements seront utiles à d’autres », indique Luigi Flora. En ce qui concerne plus spécifiquement la recherche, le CI3P a également conçu un certain nombre de protocoles avec, en ligne de mire, des critères fondateurs comme l’amélioration de la qualité des soins et la réduction des multi-morbidités. 

Enfin, sur le champ des soins, « les briques sont plus difficiles à mettre en place, qu’il s’agisse de l’hôpital, des centres de santé ou des médecins de ville : il faut recruter des patients, maîtriser les éventuelles problématiques de leadership, procès en légitimité et revendications qui n’auraient ici pas leur place. Ce volet, retardé par la pandémie Covid, est d’ailleurs plus récent. Non seulement nous souhaitions prendre le temps de confirmer notre méthodologie, mais il nous avait aussi paru impensable d’inciter des malades chroniques, donc fragiles, à intervenir auprès des professionnels de santé alors que nous étions en plein épisode épidémique », détaille David Darmon.

Le « dialogue horizontal », fondement d’une médecine basée sur les preuves

En tout état de cause, les co-directeurs de CI3P sont sur une ligne commune : ils travaillent pour « le bien commun » car, estiment-ils, en renforçant l’éducation en santé des citoyens afin qu’ils puissent mieux mobiliser leurs compétences au bénéfice de leurs propres soins, la charge mentale de la communauté médico-soignante s’en verra réduite, à une époque où l’épuisement des professionnels de santé est régulièrement sous les projecteurs. « C’est un cercle vertueux qui permet de préparer l’avenir », note le Dr Darmon, d’autant que, dans ce « dialogue horizontal », le savoir expérientiel et le savoir médical ne s’opposent pas. Il explique : « C’est le principe même de l’Evidence-Based Medicine, la médecine basée sur les preuves : les savoirs cliniques actuels, les préférences et savoirs des patients, c’est-à-dire les données issues de la vie réelle, et l’expérience des professionnels de santé – car eux-mêmes portent un savoir expérientiel – sont trois sphères qui se recoupent. Nous reprenons somme toute ce schéma et cherchons à le formaliser sur le plan méthodologique, à lui trouver un moyen d’expression, pour que tous puissent en tirer pleinement profit. Le trinôme médecin-patient-patient partenaire a de tout temps joué un rôle actif dans les avancées de la science. Aux débuts de l’épidémie VIH, par exemple, les nombreuses innovations mises en œuvre par les patients eux-mêmes pour la prise en charge de la maladie, ont par la suite été validées médicalement », rappelle David Darmon.

Des projets à foison

S’il concentre aujourd’hui ses actions sur la région PACA, eu égard à son financement par l’ARS, le Centre d’innovation du partenariat avec les patients et le public est observé avec attention dans le reste de la France – et des pays francophones. « Notre cercle d’impact géographique continue de s’élargir. Créée en 2021, la e-formation basée sur le DU Art du soin en partenariat avec le patient  recrute désormais bien au-delà des frontières régionales ou nationales », précise Luigi Flora. Il évoque également le Colloque international sur le partenariat du soin avec le patient, né en 2019 à Nice et qui, depuis, s’est également tenu à Rennes et sera l’an prochain accueilli à Lyon. Lors de sa première édition, cette rencontre qui se veut désormais annuelle, avait notamment permis de poser les fondations de l’Alliance sans frontière du partenariat de soins avec les patients, un réseau  fédérant des Français, des Suisses, des Belges et des Canadiens autour de valeurs et d’intentions communes. Un an plus tard, en 2020, est créée sous son égide la première revue internationale entièrement dédiée au partenariat de soins avec le patient. Elle a, depuis, rejoint la plateforme de publication en libre accès Épisciences, portée par le CNRS, et enrichit désormais les bases de l’Evidence-Based Medicine
Loin de s’en tenir là, les co-directeurs du CI3P fourmillent encore de projets : « Nous cherchons aussi à créer un écosystème numérique pour appuyer les pratiques du partenariat de soins avec le patient. Nous avons ainsi déjà dévoilé une application mobile, dite ‘Avec P’ – « P » étant les patients, les proches, les professionnels de santé et la population –, et constitué un Living Lab pour expérimenter de nouveaux dispositifs et favoriser leur diffusion à l’échelle de la Cité, au sens premier du terme », indique Luigi Flora. David Darmon, lui, travaille en parallèle à la constitution d’un Entrepôt de données de santé pour les soins primaires, « une nécessité mise en lumière par l’épidémie Covid », souligne-t-il. Autant de projets qui font écho à « l’état d’esprit » ayant présidé à la naissance du CI3P, à savoir favoriser la production et la diffusion des connaissances pour créer une communauté des savoirs dont pourra se nourrir celle des soins.

> Article publié dans l'édition de septembre d'Hospitalia à lire ici.
 
 






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