« Nourriture d’hôpital », ce terme, souvent employé de façon négative, illustre bien l’idée que se font la plupart des gens sur les plateaux-repas servis dans les établissements hospitaliers. Si beaucoup de cuisines centrales travaillent chaque jour à l’amélioration des goûts, l’unité 23 du Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Bordeaux a décidé d’aller plus loin. Ce service, spécialisé dans la prise en charge des maladies auto-immunes, des maladies inflammatoires et des maladies infectieuses, dispose de 15 lits dont trois Lits Identifiés Soins Palliatifs (LISP).
Des salades de fruits et des verrines comme point de départ
« Ces lits entraînent une majoration de temps soignant d’environ 0,3 Équivalent Temps Plein (ETP) chacun,explique Cécile Rougier, cadre de santé pour l’Équipe mobile plaies et cicatrisation. En soins palliatifs, on adapte les soins en fonction de la personne ». Cet ajustement constant aux besoins des patients a entraîné l’équipe sur une nouvelle voie : celle de la réadaptation des repas. « Tout est parti d’un jeune infirmier, Sylvain, qui adorait la cuisine, raconte la cadre de santé. Il a commencé, en plein été, à couper des fruits et à les assembler avec des yaourts pour en faire des verrines. L’initiative a beaucoup plu à l’équipe comme aux patients ».
Un financement de la Fondation de France
Petit à petit, l’idée prend de l’ampleur, un nom, les « Belles assiettes », est trouvé, et plusieurs structures suivent l’équipe de l’unité 23 dans la démarche. Ainsi dès 2016, soit quelques mois à peine après ces premières verrines yaourt-fruit, l’initiative obtient un financement de la Fondation de France lors de l’appel à projet « Humanisation des soins ». « L’enveloppe de 6 000 euros que nous avons obtenue grâce à ce financement nous a permis d’investir dans beaucoup de matériel : de la vaisselle “comme à la maison”, des plateaux colorés, un réfrigérateur, des épices, des huiles… Nous avons même pu obtenir une centrifugeuse, un presse-fruit et une sorbetière », détaille Cécile Rougier.
Une attention forte portée à l’aspect visuel des plats
Des assiettes et des plateaux colorés, des fruits coupés, de la purée présentée à l’emporte-pièce ou plus simplement des boissons sorties de leur bouteille, les membres du personnel de l’unité de l’hôpital Saint-André ne manquent pas d’idées pour améliorer la présentation des plats et des collations, en travaillant les couleurs, les tailles et les formes. « Publiés dans la revue Clinical Nutrition, en octobre 2016, les résultats d’une étude ont montré que la seule amélioration de l'aspect visuel des plateaux permettait d'augmenter la consommation alimentaire chez près de 20 % des patients », explique Cécile Rougier. À Bordeaux, les résultats n’ont pas été très différents. L’enquête effectuée auprès des patients comme des familles a également mis en évidence l’adhésion de tous et leur soutien à la démarche. « Mais le plus gratifiant est de voir les assiettes vides à la fin du repas », confie la cadre de santé.
Trois « Belles assiettes » réalisées par repas
Aujourd’hui rompue à l’exercice, l’équipe de cette unité de médecine interne sert trois à cinq « Belles assiettes » par repas. « En réaliser plus serait trop compliqué. Dresser les plateaux et faire chauffer les plats un par un dans un micro-onde plutôt que dans le chariot, demande un temps supplémentaire non négligeable, note Cécile Rougier. Nous nous sommes donc donnés pour objectif de servir au moins trois de ces plateaux améliorés, soit au minimum un pour chaque LISP ». Au-delà d’une attention toute particulière portée au soin, les « Belles assiettes » visent à accroître l’attrait des patients pour la nourriture, sans pour autant s’attacher à augmenter leur prise de poids. « Les personnes qui bénéficient de la démarche au sein de notre service sont en fin de vie et généralement dénutries », détaille Cécile Rougier. Les équipes privilégient donc la qualité et le visuel à la quantité, qui écœure souvent les personnes en perte d’appétit. « Le vide est aussi important que l’espace occupé », ajoute la soignante. Outre une diminution des portions et une amélioration visuelle, le goût est aussi intégré dans la démarche puisque les aliments peuvent au besoin être enrichis avec du fromage, du beurre, des épices, des fines herbes... Non contre-indiqués dans les régimes des patients, ces éléments permettent à l’équipe d’ajouter là encore du « plaisir » et de « l’envie ».
Une initiative qui a fait des petits
Les cuisines du CHU, où sont réalisés chaque jour les plateaux-repas transformés par le service, ont pris part au mouvement en livrant régulièrement des fruits et des légumes frais, afin que les plateaux puissent être complétés avec des salades de fruits, smoothies et autres jus. Mais les agents de production culinaire ne sont pas les seuls à avoir suivi les équipes de l’unité dans leur aventure. Après une communication interne, d’autres services du CHU de Bordeaux ont aussi intégré les « Belles assiettes » dans leur quotidien. Les patients des services d’Oncologie Digestive de l’hôpital du Haut-Lévèque, ou ceux de l’Unité Hospitalière Sécurisée Interrégionale (UHSI), profitent déjà de ces plateaux-repas améliorés. L’UHSI, qui a mis en place les « Belles assiettes » depuis janvier 2018, note d’ailleurs « l’enthousiasme » des patients à la vue des nouveaux plateaux ainsi que l’apparition d’un « dialogue autour de la composition de l’assiette favorisant la relation soignant-soigné ». Ces bienfaits, déjà observés par les soignants de l’unité de médecine interne, poussent de nombreux services à s’inscrire dans la démarche. C’est notamment le cas des unités de Cancérologie et Médecine Gériatrique à l’hôpital Saint-André, dont les patients devraient prochainement, eux aussi, bénéficier de ces repas repensés.
*L’unité 23 a, depuis, fusionné avec une autre pour former l’unité 28.
Article publié sur le numéro de septembre d'Hospitalia à consulter ici.
*L’unité 23 a, depuis, fusionné avec une autre pour former l’unité 28.
Article publié sur le numéro de septembre d'Hospitalia à consulter ici.